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samedi 11 mars 2023

Blindés en Ukraine : L'armée ukrainienne et les T-62 capturés

 Disclaimer : Ce papier a été partagé à l'origine en tant que fil Twitter le 27 septembre 2022, en anglais. Les données ayant changé depuis et les éditions seront indiquées entre [crochets]. 

Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et force des décisions éditoriales.

Comme mentionné dans l'article précédent l'armée russe engage des chars d'assaut T-62 en Ukraine.

Lors de ses contre-offensives de la seconde moitié de 2022, l'Ukraine a capturé des quantités non négligeables de ces T-62, souvent simplement car ils ont étés abandonnés pour cause de panne.

[Au 11/03/2023, d'après le site Oryx, qui recense les pertes russes et ukrainiennes en open source, les Ukrainiens auraient capturé 45 chars T-62]

Rapport entre les T-62 détruits, abandonnés et capturés, comparé aux chiffres sur la totalité du parc Russe. Les chars T-62 sont majoritairement capturés, à cause de leurs problèmes de fiabilités dus à leur âge, et au manque de sabotage des équipements laissés sur le terrain par les troupes russes.
 

[Pour illustration, une galerie de T-62 capturés entre Août et Novembre 2022 :]










Face aux quantités de véhicules capturés, une question se pose : Cela vaut-il le coup (et le coût) de rapatrier ces véhicules sur les arrières, et les ukrainiens n'auraient-ils pas meilleur temps de les saboter, ou de les enterrer comme casemates, comme les russes l'ont fait des IS-3 et T-10 sur la frontière avec la Chine ?

Eh bien, cela dépend.

Nous avons déjà jeté un œil au T-62 et à ses défauts.

Le T-62 est un char décent, mais ancien et inférieur aux T-64BV déjà alignés par l'armée ukrainienne.

Et, bien entendu, même pour une utilisation en support d'infanterie ou de nettoyage de poches après une offensive, ils ont avant tout le défaut d'utiliser un canon dans un calibre non standard, le 115mm :

- Munitions non disponibles dans l'arsenal Ukrainien, nécessite de se reposer sur des stocks capturés ;

- Logistiquement complexe, force au stockage de 2 calibres complètement différents pour les chars.

[NDR : Le problème des munitions de 115m avait déjà forcé les Israéliens à mettre au rebut la majorité des T-62 capturés des Égyptiens et Syriens, alors qu'ils ont étés grands utilisateurs du T-54 et T-55, en version standard ou modifiée.]

 

Donc, que faire de tous ces T-62 capturés ?

  • Solution n°1 (Canadienne) : Le T-62 Kangaroo

VBTT Ram Kangaroo canadien en France en 1944, basé sur le Tank, Cruiser, Ram, Mark II

 La première solution est de ressusciter le concept du "Kangaroo" Canadien. Le concept du Kangaroo, utilisé sur le M3, le RAM, les automoteurs Priest et certains Sherman, est relativement simple : prendre un véhicule blindé à chenilles, enlever l'armement (tourelle, canons, racks de munitions), souder une plaque de blindage sur les éventuels trous laissés ouverts dans le blindage, ajouter des places assises dans la caisse.

Pour peu de frais, on se retrouve avec un Véhicule Blindé de Transport de Troupes (VBTT), capable de suivre les chars d'assaut (puisque, souvent, basé sur un châssis de char d'assaut allégé), et présentant le même niveau de protection que ces derniers.

L'autre avantage de cette conversion est la rapidité avec laquelle elle peut être faite. Avec les T-62, quelques semaines pour retirer les équipements inutiles et réviser les moteurs et trains roulants permet de les remettre en service, avec un équipement minimal.

  • Solution n°2 (Israélienne) : Le VCI

Achzarit Israélien

 La seconde solution est de prendre la route utilisée par les Israéliens avec le Véhicule de Combat d'Infanterie (VCI) Achzarit : prendre un char d'assaut (T-55 dans le cas de l'Achzarit), retirer les équipements et le blindage supérieur, souder une nouvelle caisse blindée sur le châssis d'origine au format voulu. Cela permet de créer un véhicule spécialisé capable de porter les fantassins au front, avec un maximum de protection (portes de sortie à l'arrière, profil bas, armement piloté...).

Une firme de Kiev a, à priori, déjà effectué les travaux de conception et dessin pour un VCI basé sur le T-62, jamais produit pour le moment.

BMPV-64, VCI basé sur le châssis du T-64 Ukrainien

  • Solution n°3 (Française) : la remise à niveau

La troisième solution est d'appeler le groupe Nexter en France, et leur demander de fouiller dans leurs vieux cartons.

 

Projet de T-62 en 120mm OTAN, développé par GIAT pour le moyen-orient dans les années 80

Dans les années 80, le marché du rétrofit de chars russes s'ouvre au moyen-orient. De nombreux pays comme l'Egypte se tournent vers l'occident, comprenant que l'URSS est en perte de vitesse, et à l'article de la mort.

GIAT (aujourd'hui devenu Nexter) développe des packs de rétrofit pour les modèles les plus communs. Le T59, qui équipe le T-55 d'un canon de 105mm CN-105 F1 et de la conduite de tir de l'AMX-30, et un projet de modification du T-62.

Le T-62 tel que vu par les ingénieurs de GIAT monterait, sur le berceau d'origine, un canon 120mm OTAN de type CN-120-25 G1, à l'origine destiné à l'AMX-40 pour l'export.

Cette solution permettrait aux Ukrainiens de posséder un char de support d'infanterie équipé d'un canon standard OTAN, capable de défaire les blindés russes les plus lourds, sans avoir à monopoliser un Leopard, plus utile à des endroits où ils sont sûrs de rencontrer des T-72 ou T-80. L'utilisation d'optiques modernes permettrait en outre de ne pas être limité par la qualité du matériel russe, que ce soit en distance d'acquisition ou en capacité de combat de nuit.

Le problème avec cette dernière solution est, malheureusement, double :

D'une part, le canon CN-120 G1 n'a jamais été produit en série, et uniquement monté sur des prototypes. Il serait nécessaire de créer une ligne de production en partant de zéro, ou adapter le CN-120 F1, utilisé sur le Leclerc (dont la production est également arrêtée depuis plusieurs années).

D'autre part, le projet n'a (faute de demandes) à priori jamais dépassé le stade papier. L'étude serait donc à reprendre quasiment de zéro, et pour commencer à retrouver dans les archives chez Nexter.


[NDR : Suite à des photos parues en janvier, il semblerait que les Ukrainiens soient partis de leur propre côté, en transformant certains T-62 capturés en chars de dépannage, pour permettre la récupération près du front des chars et autres véhicules blindés, et les travaux du génie.]

T-62 russe capturé et démonté, en cours de conversion en char de dépannage par les ateliers ukrainiens.


samedi 4 mars 2023

Blindés en Ukraine : la Russie et le T-62 en service actif en 2022-23

 Disclaimer : Ce papier a été partagé à l'origine en tant que fil Twitter le 17 septembre 2022, en anglais. Les données ayant changé depuis et les éditions seront indiquées entre [crochets].

Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et forcent des décisions éditoriales.

[NDR : Article écrit lors de la contre-offensive des forces ukrainiennes sur Kharkiv et Izium, durant laquelle les Ukrainiens ont partagé des photos de stocks de munitions de 125mm et 152mm capturés dans les dépôts de ravitaillement russes.]

Il semblerait que la Russie fournit toutes ses munitions de 125mm (utilisées par les T-72, T-80 et T-90, NDR) à l'Ukraine.
C'est assez logique.

Pourquoi ? Car sur le front, côté russe, apparaît maintenant le légendaire T-62.

Munitions de 125mm russes capturées par l'Ukraine lors de l'offensive sur Izium, septembre 2022

Mais, je vous entends dire, qu'est-ce qu'un T-62 ?

Eh bien, c'est un char d'assaut très intéressant.

Le T-62 est le tout premier char produit par les soviétiques utilisant un canon à âme lisse. Avant cela, l'Union Soviétique avait déjà développé un canon anti-char à âme lisse en 100mm, le MT-12, mais pas de version automotrice ou de char, les T-54 et T-55 étant équipés d'un canon rayé de 100mm.
Le MT-12 a d'ailleurs été lui aussi engagé en Ukraine ces derniers mois.

Canon MT-12 de 100mm en service Ukrainien

Le T-62, comme son nom l'indique, apparaît en 1962. A cette époque, [le Kharkiv Morozov Machine Building Design Bureau rencontre des difficultés dans le développement de ce qui deviendra] le T-64. Le chargement automatique prévu pour le T-64, révolutionnaire pour l'époque (et qui réduit l'équipage de 4 à 3 hommes), ralentit la mise en service des premiers prototypes.
Le T-55, de son côté, commence à montrer son âge (à peine 10 ans, pourtant) suite à la mise en service par les Anglais du nouveau L7 de 105mm sur le Centurion.

T-62 en Afghanistan

L7 qui a été développé spécifiquement pour défaire le T-54/55, suite à la présence accidentelle d'un T-54A dans la cour de l'ambassade anglais de Prague lors de la révolution de 1956, qui a permis aux anglais de faire, à leur guise, l'étude de son blindage. Avant que les soviétiques viennent poliment demander s'ils pouvaient récupérer leur blindé.

Mais je me disperse.

Donc à ce stade, face au L7 anglais et à l'évolution des technologies, le T-55 est insuffisant [et le T-64 pas encore disponible].

T-54 détruit dans les rues de Prague, 1956

[NDR : Ironiquement, les Israéliens produiront le char Tiran-5Sh sur la base de T-55 capturés (ou achetés), avec le canon 100mm soviétique d'origine remplacé par le L7 105mm anglais. Le Tiran-5Sh a été livré à l'Ukraine par la Slovénie, sous la forme du M-55S, mais pour l'instant n'a pas été vu sur la ligne de front.]

Pour l'époque [le début des années 60, donc], le T-62 est un char d'assaut plus que correct : canon de 115mm relativement puissant, mobilité décente, et la capacité d'engager les chars produits à l'Ouest à bonne distance. Leur engagement en 1973 contre Israël lors de la guerre du Yom Kippur montre ses capacités.
Avec le déploiement à grande échelle du T-64 dans les forces soviétiques à partir de la fin des années 60, le T-62 est largement distribué aux nations satellites et alliées.
[Sa simplicité d'utilisation et de maintenance est appréciée par les utilisateurs à travers le monde.]

T-62 Syriens dans les années 70

Donc, en 1973, le T-62 est toujours assez bon pour affronter une force équipée à l'occidentale et bien entraînée. Quid de la suite?

Très bonne question.


En 1991, durant l'opération Tempête du Désert au Koweit, les forces Irakiennes, aguerries par des années de combat contre l'Iran, sont incapables de faire le moindre dommage, avec leurs T-62, contre les forces de la coalition. Les régiments équipés de T-72 ont une performance légèrement plus élevée.

[En Afghanistan, l'Union Soviétique engage le T-62 plutôt que les plus modernes T-64, T-72 ou T-80, basé sur le fait que les chars servent principalement comme soutien à l'infanterie ou aux colonnes de transport.]
L'Armée Rouge y perdra entre 150 (chiffres de Moscou) et 325 (chiffres américains) chars T-62, contre un ennemi qui ne possède ni véhicules blindés, ni troupes anti-chars...

[Un bilan mitigé, donc.]

T-62 Irakien au Koweit, 1991

En 2008, l'armée Russe engage le T-62 en Géorgie. Selon les rapports de l'époque, les T-62 passent leur temps à tomber en panne, et nécessitent d'être réparés avant même d'arriver sur la ligne de front.

Après cela, l'armée Russe déclare le modèle obsolète, et revend son parc roulant aux Syriens. Le reste des véhicules est placé sous cocon, ou ferraillé. Et c'est la fin du service actif du T-62 en Russie, après quasiment 50 ans.

Ou, du moins, c'est ce que l'on croyait.

Colonne de T-62 en Géorgie, 2008

Avant de parler du T-62 en Ukraine, parlons un peu de certaines spécificités techniques du T-62 :

  • Tout d'abord, le T-62, contrairement aux séries T-64, T-72, T-80 et T-90 actuellement en service russe, n'est pas équipé du chargement automatique. C'est un char à l'ancienne, qui utilise une munition d'un seul tenant (obus, propulseur et étui préassemblés), chargée à la main par un membre de l'équipage. De ce fait, l'équipage du T-62 est de 4 hommes, au lieu de 3 dans le reste des chars russes en service actif. 3x T-62 nécessitent donc le même nombre de personnels que 4x T-80.
  • Les étuis vides sont éjectés en automatique, via une trappe à l'arrière de la tourelle. Cela crée un point faible sur la tourelle (portes articulées), qui s'ouvre après chaque tir. Un peu comme un boss de jeux vidéo, d'une certaine façon. Cette éjection automatique semble désactivée sur les chars engagés par la Russie en Ukraine, ce qui signifie que l'équipage est obligé d'évacuer les étuis à la main, réduisant d'autant leur vitesse de tir (la tourelle du T-62 est trop petite pour accueillir les étuis vides, d'où l'extraction automatique).

  • A cause du format du canon 2A20 comparé à la taille de la tourelle, le T-62 nécessite un retour en position neutre après chaque tir, pour permettre le rechargement. Ce qui signifie qu'à chaque rechargement, le tireur va perdre sa cible, et devoir refaire l'acquisition.
T-62MV avec blindage réactif en cours de transfert vers l'Ukraine, 2022

En résumé, la Russie est en train de déployer en Ukraine [depuis septembre 2022] des chars vieux de 60 ans, équipés d'un canon obsolète, d'un équipage dont les rôles ne correspondent pas au reste de leur flotte, contre une armée Ukrainienne moderne, qui a prouvé qu'elle peut se battre contre les derniers chars russes (T-72B3 et T-90M) sur un pied d'égalité.

T-62 russe "Fury" capturé par les forces ukrainiennes, août 2022

Tout va donc pour le mieux du côté russe (l'agresseur, on le rappelle, qui a donc eu tout le temps de s'organiser et préparer ses forces).

Je vous laisserai, pour conclure, avec Nicolas Moran et Ian McCollum, et le T-62 et son armement (en anglais) :



__________________________________

NDR, conclusion au 4/03/2023 :

Le débat sur l'obsolescence des chars de divers pays fait rage depuis l'annonce de la livraison de Leopard 1 à l'Ukraine. Bien entendu, un char obsolète comme le Leopard 1 ou le T-62 ont pour eux la dimension du "mieux que rien": Il est préférable d'avoir un char dépassé que aucun char.
Ces modèles ont d'ailleurs toujours un rôle potentiel à jouer dans une zone de combat : l'appui de l'infanterie (surtout face à des emplacements fortifiés), et les rôles d'arrière-garde, pour nettoyer des poches de résistance après une offensive menée avec du matériel plus avancé.

De même, la question de la reconversion des T-62 capturés par l'Ukraine se pose. J'ai dans mes fils Twitter une petite discussion sur les solutions disponibles à base de T-62, que je devrai poster ici sous peu, après une bonne remise en page et mise à jour.

Concernant l'engagement du T-62 en Ukraine par la Russie, il semblerait qu'il ne va pas s'arrêter, bien au contraire. De multiples informations tombent actuellement sur le reconditionnement de vastes quantités de T-62 en Russie, pour boucher les trous dans les unités équipés anciennement de T-72 ou T-80.
L'armée Russe a également dévoilé dernièrement le T-62 Obr. 2022, qui voit le remplacement des optiques d'origine par un modèle plus moderne, ainsi que l'ajout d'un système de visée thermique et optiques de vision de nuit.

T-62 Obr 2022

La Russie semble donc compenser son manque de capacité de production - qui est une maladie globale, les Etats-Unis eux-mêmes étant incapables de produite plus de 100 Abrams par an - par un reconditionnement accéléré de modèles plus anciens.
La question restant de savoir si le "nouveau" T-62 sera engagé directement contre les T-64BVM et nouveaux Leopard 2 de l'Ukraine, ou seront utilisés pour garnir des unités territoriales délestées de leurs T-72, eux envoyés en Ukraine.

Dans tous les cas, l'armée Russe semble vouloir brûler toutes ses réserves d'hommes et de matériel en Ukraine, selon la stratégie "la quantité est une qualité en elle-même", déjà utilisée pendant la seconde guerre mondiale.

Ce qui devrait mener, à terme, à un affaiblissement global de leurs forces armées.
Avec l'arrivée du BTR-50 en Ukraine, montrant un manque de BMP et BMD disponibles criant, et une fois les stocks de T-62 épuisés, quelle sera la solution Russe ? Ont-ils encore des réserves de T-10 et de T-55 à engager ?
Auront-ils assez de munitions pour même maintenir le T-62 en service ?

Le futur nous le dira.

mardi 28 février 2023

Blindés en Ukraine : Pourquoi les russes ne semblent-ils pas évoluer ? Le char d'assaut TPK.

Le conflit en Ukraine est un conflit comme nous en avons rarement vu depuis 1945 : il se déroule géographiquement en Europe, il un front fixé, des opérations de grande ampleur, et surtout, il engage quelques milliers de véhicules blindés.

Et les pertes russes, surtout en blindés lourds (artillerie automotrice et chars d'assaut) ont poussé certains "penseurs" de la défense à annoncer, haut et fort, que le char est mort, longue vie à lui.

Pertes russes en chars d'assaut au 28/02/2023 source

Et, en voyant la Russie passer les 1000 chars d'assaut perdus (détruits) en ce mois de février, nous sommes en droit de nous questionner sur le rôle du char dans la guerre moderne. Lui qui était déjà déclaré obsolète par 20 ans de conflits asymétriques, serait-il désormais inutile dans le cadre des conflits symétriques ?


Efrem Lukatsky AP

La réponse est plus complexe que cela.

A cause de plusieurs facteurs. Tout d'abord, l'âge des matériels. Si la Russie a engagé des chars relativement modernes, comme le T-90M ou les T-72B3, la vaste majorité de son parc blindé, même au premier jour de l'offensive, est assez vieux pour voter depuis quelques années, et certains matériels sont d'âge canonique (je ne manquerai pas de faire un petit article sur l'engagement du T-62 en Ukraine par la Russie prochainement).
Ces chars fabriqués ou remis à niveau dans les années 80 ou 90 ne possèdent souvent pas les capteurs ou capacités pour se défendre contre d'autres blindés équivalents mais remis à niveau (comme le T-84 Ukrainien, engagé en petits nombres), ou même une infanterie bien retranchée et camouflée armée de missiles anti-chars modernes.


IRINA RYBAKOVA | PRESS SERVICE OF THE UKRAINIAN GROUND FORCES/REUTERS

Un autre facteur est celui de la tactique. Maintes fois, surtout au début du conflit, nous avons vu des vidéos des méthodes utilisées par les russes. Par exemple, engagement de MBT en milieu urbain sans protection par l'infanterie (un char d'assaut est et a toujours été une cible facile en milieu urbain à cause de la visibilité réduite de l'équipage). Cette méthode avait déjà mené à la catastrophe l'armée Russe en Tchétchénie, qui avait foncé avec ses T-72 dans Grozny sans protection.
Les russes montrent aussi fièrement qu'ils utilisent des chars comme "points durs" pour le tir en cloche sur les positions ukrainiennes. Ce qui en fait des cibles faciles pour un tir de contre-batterie ukrainien.
 
Genya Savilov | AFP/Getty Images

Un autre facteur, sur lequel nous allons nous étendre un peu plus ici, est celui de l'expérience.

L'expérience des officiers supérieurs, qui doivent adapter leur stratégie aux tactiques ukrainiennes.

Mais aussi, et surtout, l'expérience des équipages russes.

Red Dawn / REUTERS | Jorge Silva

L'expérience est acquise de plusieurs façons. Les tankistes français ont l'expérience d'exercices menés en condition réelles. Certains ont l'expérience du terrain, souvent en AMX-10RC (le Leclerc étant cantonné au territoire national pour des raisons de politique interne des armées). Fort heureusement, les troupes de la cavalerie française n'ont pour le moment pas eu l'expérience réelle du combat de char tel que nous l'imaginions à la grande époque de la Guerre Froide, lorsque les chars Soviétique allaient percer les défenses allemandes dans la passe de Fulda, pour se déverser dans les plaines de l'Ouest.

Les tankistes russes, eux, sont engagés dans du combat réel depuis février 2022. Ils affrontent toutes les menaces possibles pour un char (sauf les attaques d'hélicoptères au Hellfire, pour le moment). Mais ils ne semblent pas monter en capacité de combat, et ils semblent même faire, semaines après semaine, toujours les mêmes erreurs. N'ont-ils pas, en février à Vulhedar, fait de jolies colonnes, qui sont allées s'écraser contre les champs de mine des ukrainiens, avant que les survivants soient abandonnés ou pilonnés par l'artillerie?

Chargeur automatique sur T-72

La raison de cette apparente absence d'évolution, et donc de prise d'expérience, est simple : les chars russes sont conçus selon la théorie du Total Party Wipe.

Total Party Wipe/Total Party Kill est une expression venant du jeu de rôle, qui exprime la destruction totale, et involontaire, d'une équipe de joueurs. Suite a un mauvais équilibrage d'un affrontement, d'erreurs des joueurs, ou par la faute de mauvais jets de dés, l'équipe est éliminée, sans survivants. La campagne est terminée, et chacun rentre chez lui dépité, et devra créer un nouveau personnage pour la fois suivante. Et, plus important pour notre réflexion, personne n'a gagné d'expérience.

Et c'est là que le bât blesse dans les forces blindées russes : le taux de destruction des équipages est proche de 100%. Et si chaque char détruit équivaut à un TPK, cela signifie qu'aucun équipage ne peut monter en expérience, car aucun équipage ne survit assez longtemps pour développer les techniques et réflexes nécessaires à leur amélioration.

"Mais enfin, me répondrez-vous, sûrement que, dans toutes les évolutions et designs russes, cette spécificité des chars TPK, une fois cernée, sera corrigée ! Le char sera modifié de façon a mieux protéger l'équipage !"

La réponse est, malheureusement pour les tankiste russes, négative.

Les chars russes actuels (on ne compte pas le T-14, qui n'a pas prouvé qu'il existe ailleurs que dans les délires de la propagande du Kremlin) sont tous basés sur des designs développés lors de la période soviétique. Dans l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, une chose à toujours été vraie : l'humain ne coûte pas cher. Mieux, il est prêt à mourir pour la patrie. La rumeur veut que la formation d'un équipage de T-62 pouvait se faire en moins de 6 mois, tellement le véhicule est simple. Avec les mêmes ressources matérielles, l'Union Soviétique se faisait donc des forces gigantesques. Une partie de ces forces existe toujours, même si pas forcément utilisable, suite à des décennies de manque d'entretien et de vente des éléments importants.

L'union soviétique, c'était, à la "grande" époque, 10 000 chars de générations fortement variables, de qualité globalement faible. Mais la quantité est une qualité en elle-même, et face à peut-être 4000 chars occidentaux dans les plaines d'Allemagne de l'Ouest, et avec quelques milliers de blindés issues des satellites d'Europe de l'Est, les jeux n'étaient pas faits.

Pour cette raison, les chars russes sont simples et tirent vite, avant d'être résistants ou équipés d'optiques correctes. Le T-72 (et son dérivé le T-90) est par exemple équipé d'un chargeur automatique à carrousel. Ce carrousel se trouve directement sous la tourelle et n'est pas isolé du compartiment d'équipage, pour des raisons de simplification de la maintenance et du remplissage. Le T-72 n'est pas non plus équipé de panneaux d'évacuation des gaz, pour simplifier la fabrication. Le contrecoup de ces économies rend les destructions de T-72 très impressionnantes. Et on imagine difficilement que les membres d'équipages pourront survivre à ce type de destruction catastrophique de leur véhicule.

Le problème rencontré par l'armée russe dans ce domaine est donc double : Ils n'engagent pas assez de troupes et de véhicules pour profiter de l'avantage numérique, et leurs équipements ne génère aucune expérience chez les troupes, à cause du concept du TPK.

La livraison de blindés Occidentaux à l'Ukraine

Livraison des premiers Leopard 2 à l'Ukraine par la Pologne
/ Photo services de presse gouvernemental ukrainien

Bien entendu, le souci de l'Ukraine est qu'elle était, jusqu'à présent, limitée à l'utilisation de chars soviétiques, présentant le même problème de TPK que ceux des russes.

C'est là que l'entrée en scène des livraisons de chars occidentaux est bien plus importante que certains voudraient nous le faire croire.

Pour les forces de l'OTAN, la question a toujours été inversée. Un Homme est un Homme, dans les démocraties occidentales. Même s'il est prêt à mourir pour sa patrie, le soldat coûte cher, il doit donc être rentabilisé. Les armées occidentales s'équipent donc avec des véhicules adaptés à leurs armées de taille réduite, mais très entraînées. Les chars occidentaux comme le Leclerc, l'Abrams, le Leopard ou le Challenger sont conçus autour de piliers inversés par rapport à ceux des russes : la survivabilité, la performance, avant le nombre et le prix. L'expérience de terrain lors de l'engagement du M1 Abrams (Armée Américaine ou export) a montré une survivabilité élevée, avec aucun mort lors de Desert Storm (engagement contre T-72 Irakiens et incidents de feu ami), et l'Abrams est aussi capable d'engager des cibles au-delà de la portée efficace des chars russes, dû ses optiques plus évoluées. De même, les Leclercs engagés par l'UAE au Yemen ont montré une capacité de survie élevée face aux armes anti-char et aux mines déployées par les Houtis. Avec un seul mort et un blessé sur 4 véhicules endommagés (mais réparables) en 2016, la vaste majorité des équipages sont capables de retourner au complet au combat.

Et cette survivabilité élevée est primordiale pour l'Ukraine, qui cherche avant tout à garder sa population en vie, militaires compris. L'adoption de chars aux standard occidentaux leur permettra, à nombre de véhicules déployés égal, de sauvegarder les vies des équipages, et toucher les russes de plus loin.

Chaque T-64 remplacé par un Leopard, un Abrams ou un Challenger est un multiplicateur de force pour l'Ukraine, face à une Russie qui engage des chars de plus en plus anciens, souvent reconditionnés dans l'urgence, ou volés dans les stocks de T-90S déjà payés par l'Inde...