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mardi 28 février 2023

Blindés en Ukraine : Pourquoi les russes ne semblent-ils pas évoluer ? Le char d'assaut TPK.

Le conflit en Ukraine est un conflit comme nous en avons rarement vu depuis 1945 : il se déroule géographiquement en Europe, il un front fixé, des opérations de grande ampleur, et surtout, il engage quelques milliers de véhicules blindés.

Et les pertes russes, surtout en blindés lourds (artillerie automotrice et chars d'assaut) ont poussé certains "penseurs" de la défense à annoncer, haut et fort, que le char est mort, longue vie à lui.

Pertes russes en chars d'assaut au 28/02/2023 source

Et, en voyant la Russie passer les 1000 chars d'assaut perdus (détruits) en ce mois de février, nous sommes en droit de nous questionner sur le rôle du char dans la guerre moderne. Lui qui était déjà déclaré obsolète par 20 ans de conflits asymétriques, serait-il désormais inutile dans le cadre des conflits symétriques ?


Efrem Lukatsky AP

La réponse est plus complexe que cela.

A cause de plusieurs facteurs. Tout d'abord, l'âge des matériels. Si la Russie a engagé des chars relativement modernes, comme le T-90M ou les T-72B3, la vaste majorité de son parc blindé, même au premier jour de l'offensive, est assez vieux pour voter depuis quelques années, et certains matériels sont d'âge canonique (je ne manquerai pas de faire un petit article sur l'engagement du T-62 en Ukraine par la Russie prochainement).
Ces chars fabriqués ou remis à niveau dans les années 80 ou 90 ne possèdent souvent pas les capteurs ou capacités pour se défendre contre d'autres blindés équivalents mais remis à niveau (comme le T-84 Ukrainien, engagé en petits nombres), ou même une infanterie bien retranchée et camouflée armée de missiles anti-chars modernes.


IRINA RYBAKOVA | PRESS SERVICE OF THE UKRAINIAN GROUND FORCES/REUTERS

Un autre facteur est celui de la tactique. Maintes fois, surtout au début du conflit, nous avons vu des vidéos des méthodes utilisées par les russes. Par exemple, engagement de MBT en milieu urbain sans protection par l'infanterie (un char d'assaut est et a toujours été une cible facile en milieu urbain à cause de la visibilité réduite de l'équipage). Cette méthode avait déjà mené à la catastrophe l'armée Russe en Tchétchénie, qui avait foncé avec ses T-72 dans Grozny sans protection.
Les russes montrent aussi fièrement qu'ils utilisent des chars comme "points durs" pour le tir en cloche sur les positions ukrainiennes. Ce qui en fait des cibles faciles pour un tir de contre-batterie ukrainien.
 
Genya Savilov | AFP/Getty Images

Un autre facteur, sur lequel nous allons nous étendre un peu plus ici, est celui de l'expérience.

L'expérience des officiers supérieurs, qui doivent adapter leur stratégie aux tactiques ukrainiennes.

Mais aussi, et surtout, l'expérience des équipages russes.

Red Dawn / REUTERS | Jorge Silva

L'expérience est acquise de plusieurs façons. Les tankistes français ont l'expérience d'exercices menés en condition réelles. Certains ont l'expérience du terrain, souvent en AMX-10RC (le Leclerc étant cantonné au territoire national pour des raisons de politique interne des armées). Fort heureusement, les troupes de la cavalerie française n'ont pour le moment pas eu l'expérience réelle du combat de char tel que nous l'imaginions à la grande époque de la Guerre Froide, lorsque les chars Soviétique allaient percer les défenses allemandes dans la passe de Fulda, pour se déverser dans les plaines de l'Ouest.

Les tankistes russes, eux, sont engagés dans du combat réel depuis février 2022. Ils affrontent toutes les menaces possibles pour un char (sauf les attaques d'hélicoptères au Hellfire, pour le moment). Mais ils ne semblent pas monter en capacité de combat, et ils semblent même faire, semaines après semaine, toujours les mêmes erreurs. N'ont-ils pas, en février à Vulhedar, fait de jolies colonnes, qui sont allées s'écraser contre les champs de mine des ukrainiens, avant que les survivants soient abandonnés ou pilonnés par l'artillerie?

Chargeur automatique sur T-72

La raison de cette apparente absence d'évolution, et donc de prise d'expérience, est simple : les chars russes sont conçus selon la théorie du Total Party Wipe.

Total Party Wipe/Total Party Kill est une expression venant du jeu de rôle, qui exprime la destruction totale, et involontaire, d'une équipe de joueurs. Suite a un mauvais équilibrage d'un affrontement, d'erreurs des joueurs, ou par la faute de mauvais jets de dés, l'équipe est éliminée, sans survivants. La campagne est terminée, et chacun rentre chez lui dépité, et devra créer un nouveau personnage pour la fois suivante. Et, plus important pour notre réflexion, personne n'a gagné d'expérience.

Et c'est là que le bât blesse dans les forces blindées russes : le taux de destruction des équipages est proche de 100%. Et si chaque char détruit équivaut à un TPK, cela signifie qu'aucun équipage ne peut monter en expérience, car aucun équipage ne survit assez longtemps pour développer les techniques et réflexes nécessaires à leur amélioration.

"Mais enfin, me répondrez-vous, sûrement que, dans toutes les évolutions et designs russes, cette spécificité des chars TPK, une fois cernée, sera corrigée ! Le char sera modifié de façon a mieux protéger l'équipage !"

La réponse est, malheureusement pour les tankiste russes, négative.

Les chars russes actuels (on ne compte pas le T-14, qui n'a pas prouvé qu'il existe ailleurs que dans les délires de la propagande du Kremlin) sont tous basés sur des designs développés lors de la période soviétique. Dans l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, une chose à toujours été vraie : l'humain ne coûte pas cher. Mieux, il est prêt à mourir pour la patrie. La rumeur veut que la formation d'un équipage de T-62 pouvait se faire en moins de 6 mois, tellement le véhicule est simple. Avec les mêmes ressources matérielles, l'Union Soviétique se faisait donc des forces gigantesques. Une partie de ces forces existe toujours, même si pas forcément utilisable, suite à des décennies de manque d'entretien et de vente des éléments importants.

L'union soviétique, c'était, à la "grande" époque, 10 000 chars de générations fortement variables, de qualité globalement faible. Mais la quantité est une qualité en elle-même, et face à peut-être 4000 chars occidentaux dans les plaines d'Allemagne de l'Ouest, et avec quelques milliers de blindés issues des satellites d'Europe de l'Est, les jeux n'étaient pas faits.

Pour cette raison, les chars russes sont simples et tirent vite, avant d'être résistants ou équipés d'optiques correctes. Le T-72 (et son dérivé le T-90) est par exemple équipé d'un chargeur automatique à carrousel. Ce carrousel se trouve directement sous la tourelle et n'est pas isolé du compartiment d'équipage, pour des raisons de simplification de la maintenance et du remplissage. Le T-72 n'est pas non plus équipé de panneaux d'évacuation des gaz, pour simplifier la fabrication. Le contrecoup de ces économies rend les destructions de T-72 très impressionnantes. Et on imagine difficilement que les membres d'équipages pourront survivre à ce type de destruction catastrophique de leur véhicule.

Le problème rencontré par l'armée russe dans ce domaine est donc double : Ils n'engagent pas assez de troupes et de véhicules pour profiter de l'avantage numérique, et leurs équipements ne génère aucune expérience chez les troupes, à cause du concept du TPK.

La livraison de blindés Occidentaux à l'Ukraine

Livraison des premiers Leopard 2 à l'Ukraine par la Pologne
/ Photo services de presse gouvernemental ukrainien

Bien entendu, le souci de l'Ukraine est qu'elle était, jusqu'à présent, limitée à l'utilisation de chars soviétiques, présentant le même problème de TPK que ceux des russes.

C'est là que l'entrée en scène des livraisons de chars occidentaux est bien plus importante que certains voudraient nous le faire croire.

Pour les forces de l'OTAN, la question a toujours été inversée. Un Homme est un Homme, dans les démocraties occidentales. Même s'il est prêt à mourir pour sa patrie, le soldat coûte cher, il doit donc être rentabilisé. Les armées occidentales s'équipent donc avec des véhicules adaptés à leurs armées de taille réduite, mais très entraînées. Les chars occidentaux comme le Leclerc, l'Abrams, le Leopard ou le Challenger sont conçus autour de piliers inversés par rapport à ceux des russes : la survivabilité, la performance, avant le nombre et le prix. L'expérience de terrain lors de l'engagement du M1 Abrams (Armée Américaine ou export) a montré une survivabilité élevée, avec aucun mort lors de Desert Storm (engagement contre T-72 Irakiens et incidents de feu ami), et l'Abrams est aussi capable d'engager des cibles au-delà de la portée efficace des chars russes, dû ses optiques plus évoluées. De même, les Leclercs engagés par l'UAE au Yemen ont montré une capacité de survie élevée face aux armes anti-char et aux mines déployées par les Houtis. Avec un seul mort et un blessé sur 4 véhicules endommagés (mais réparables) en 2016, la vaste majorité des équipages sont capables de retourner au complet au combat.

Et cette survivabilité élevée est primordiale pour l'Ukraine, qui cherche avant tout à garder sa population en vie, militaires compris. L'adoption de chars aux standard occidentaux leur permettra, à nombre de véhicules déployés égal, de sauvegarder les vies des équipages, et toucher les russes de plus loin.

Chaque T-64 remplacé par un Leopard, un Abrams ou un Challenger est un multiplicateur de force pour l'Ukraine, face à une Russie qui engage des chars de plus en plus anciens, souvent reconditionnés dans l'urgence, ou volés dans les stocks de T-90S déjà payés par l'Inde...