dimanche 26 mars 2023

Fulda, Ukraine et les contre-performances russes.

Le saillant de Fulda (ou Fulda Gap en anglais), un nom lourd de sens pour ceux qui ont étudié (ou vécu) la Guerre Froide.

Dans un monde où les forces du Pacte de Varsovie s'apprêtaient, à tout moment, à nous envahir, les axes de pénétrations restaient malgré tout peu nombreux. La conflagration devant (forcément) s'effectuer en Europe, et non à la frontière commune URSS/États-Unis entre la Sibérie et l'Alaska, les forces de l'Est devraient projeter leurs chars de bataille pour avancer jusqu'aux Pyrénées (plan des "7 jours" de 1979).

D'après les études de l'OTAN, les chars soviétiques, Polonais, Tchécoslovaques et Hongrois avanceraient à travers l'Allemagne.

 

Topographie de la région de Fulda

Un passage plus au sud, par le Nord de l'Italie étant trop compliqué : le seul axe de progression passerait par l'Autriche (la Yougoslavie étant "non alignée", passer ses frontières pour accéder à la côte était exclus). La frontière Austro-Italienne est cependant constituée de hautes montagnes difficiles à traverser, comme en témoignent les âpres combats entre Austro-Hongrois et Italiens lors de la première guerre mondiale. Les forces de Varsovie auraient ensuite à passer une seconde frontière montagneuse, la frontière Franco-Italienne.

Des trois axes de pénétration en Allemagne (Au nord le long de la côte, au centre à Fulda, au sud via l'Autriche), l'OTAN choisit comme point de défense principal la vallée s'ouvrant sur Fulda, car sa capture permet une progression rapide jusqu'à Francfort, puis le Rhin, dans des plaines facilement praticables par les forces mécanisées soviétiques.

La stratégie de l'OTAN est relativement simple : avoir assez d'unités américaines et de chars de la Bundeswehr pour stopper les russes, le temps que les Etats-Unis puisse déployer plus d'unités en renfort, et que les troupes blindées françaises (les plus proches qui ne seraient pas déjà engagées dans les combats) arrivent de Strasbourg.

Dans cette optique de défense de Fulda, la vaste majorité des matériels occidentaux ont étés conçus pour le combat contre des divisions blindées en plaine : les avions d'attaque tels que l'A-10, les hélicoptères d'attaque permettant le tir off-boresight (tir en "cloche" de missiles guidés à l'aide de mats de rotor), et une concentration sur la distance de tir pour les chars d'assaut et toutes les armes anti-char, permettant de monter des embuscades contre les forces soviétiques, et de les engager sans que les chars russes soient à portée des forces alliées.

Hélicoptère Tigre allemand, équipé d'un pod de guidage sur mat pour le tir à couvert "off-boresight"

Une fois les forces françaises, américaines et anglaises rassemblées sur place, l'OTAN lancerait une grande contre-offensive au niveau de Fulda, repoussant les forces du Pacte jusqu'au rideau de fer, et, théoriquement, jusqu'à Moscou.

  • Pourquoi Fulda peut être importante pour l'Ukraine.

A l'heure où ces lignes sont écrites, l'Ukraine se trouve à un moment pivot face aux Russes : ils ont stoppé la progression de ces derniers, ont repris du terrain grâce à des contre-offensives en septembre-octobre, et ont stabilisé le front (les offensives de l'hiver 2022-2023 se sont soldés par des échecs côté Russe).

A ce stade, le front du secteur sud s'ouvre sur une plaine allant de Kherson à Marioupol, et descendant jusqu'au centre de la Crimée.

Topologie de l'Ukraine. Le front sud, au 26/03/2023, va de Kherson à Zaporozhye.

Les livraisons de matériel au standard OTAN, jusqu'à présent plutôt limitée à du matériel de défense (postes LRAC guidés, systèmes anti-aériens), commence à comprendre des systèmes plus offensifs : l'armée ukrainienne reçoit des chars Leopard 2, des bombes et missiles guidés (JDAM, AGM-88), transports de troupes (VAB, Bradley...), auto-mitrailleuses (AMX-10RC).

Tous ces matériels, si leur âge est avancé pour certains, ont étés conçus dans un but précis, contre-attaquer contre les forces russes (soviétiques) dans les plaines allemandes.

  • La force d'opposition russe

De son côté, si l'armée Russe était impressionnante en 1985, ou en 2021, ses forces se sont amenuisées en compétence et en matériel depuis le début de la guerre, en février dernier.

Suite aux pertes conséquentes depuis février 2022 (au moins 1894 chars détruits, 2240 véhicules de combat d'infanterie, 300 véhicules du génie perdus...), les chars et transports de troupe modernisés laissent de plus en plus la place à des versions anciennes, datant des années 70 (T-72A et T-80B), voire pire. Nous avons déjà fait un point sur l'usage par les russes du vénérable T-62 - dont plusieurs unités ont été détruites lors de l'offensive russe sur Vulhedar début 2023. Mais les dernières informations tendent à pointer vers la sortie de cocon de chars modèle T-54.

 

Si les usines russes continuent manifestement à livrer des chars T-90 et T-72 aux forces armées russes, les pertes sont trop élevées pour qu'elles arrivent, pour le moment, à les compenser. Avec l'arrivée du printemps, l'Ukraine, si elle perçoit assez de matériel de la part de ses alliés, pourrait monter une nouvelle offensive dans les plaines du sud, en appliquant, à son échelle, les stratégies développées par l'Ouest pour le combat à Fulda, et qui ont ensuite permis d'écraser, en un mois de 1991, l'armée Irakienne.

Permettant à tout ce matériel, conçu pour détruire l'armée Russe, de réaliser son "destin".

samedi 25 mars 2023

Mirage 2000 en Ukraine

Disclaimer : Ce sujet a été publié pour la première fois sous forme de fil Twitter le 28 janvier 2023.
Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et force des décisions éditoriales.
 
 
Mirage 2000C de l'Armée de l'Air française

 
Suite à un article du journal anglais Telegraph sur le sujet, les médias (et le gens en général) s'intéressent beaucoup, ces derniers temps, au Mirage 2000 et à la possibilité d'en livrer aux forces aériennes Ukrainiennes, dans le but de remplacer leurs appareils aux standards soviétiques par des appareils aux standards OTAN.

Certains, cependant, avancent que le Mirage 2000 est un appareil "dépassé", voire obsolète.
Pourquoi ?
Car il a été développé dans les années 1970 (comme remplaçant du Mirage III), et mis en service dans les années 1980. Ce qui le rendrait vieux et dépassé.

Ne nous mentons pas, le Mirage 2000, en tant qu'appareil de 4e génération, est relativement vieux lorsque l'on regarde sa mise en service.

Est-ce pour autant grave ?
Pas vraiment, pour plusieurs raisons dont nous allons parler maintenant.
 
Mirage 2000-5

 

  • Raison 1 : Le Mirage est dans la moyenne des plateformes toujours en utilisation.

Le Mirage 2000 n'est pas le seul appareil développé dans les années 70 à toujours être utilisé dans des missions d'interception et d'attaque au sol, loin, très loin, de là.

S'il est déployé en Ukraine, il se retrouvera face aux appareils des VKS, les forces aériennes russes.

Sukhoi Su-27M de l'armée de l'air russe (VKS)


Le cheval de bataille de l'armée de l'air russe, comme nous l'avons déjà vu précédemment, est un mélange de Sukhoi 27, 30 et 35, déployés au-dessus du ciel Ukrainien et de la mer noire, alors que la marine russe déploie le Su-33.
Si les chiffres s'incrémentent, la base de départ reste la cellule du Su-27, qui a fait son premier vol en 1977 et a été modifiée par les assembleurs de Sukhoi dans un but de modernisation.

Les forces russes utilisent également des Mig-31 basés en Crimée, qu'ils utilisent comme intercepteurs moyenne et longue distance (pour éviter de les mettre à portée des défenses anti-aériennes Ukrainiennes).

Mig-31 Russe

Le Mig-31, pour sa part, a volé pour la première fois en 1975.

Du côté des forces de l'OTAN, l'histoire est un peu la même.

Panavia Tornado anglais

Beaucoup de forces européennes déploient toujours le Tornado, un très bon appareil multirôle à géométrie variable, qui devrait disparaître au profit du F-35.
Le Tornado a volé pour la première fois en 1974.

F-15 Eagle

Le F-15 américain, sensé être remplacé par le F-22, ne le sera probablement pas. Sensé être retiré du service en 2010, les diverses versions du F-15 ne devraient pas disparaître des airs avant 2030 au plus tôt.
Premier vol en 1972, pour une entrée en service en 1976.

YF-16 et YF-17 en essais en vol, 1974

Le F-16, proposé également comme appareil multirôle à livrer à l'Ukraine, effectue son premier vol en 1974, et est à l'origine en concurrence avec le YF-17, qui sera redéveloppé pour l'US Navy en tant que F/A-18 Hornet.
La Finlande, en cours de rééquipement sur F-35, débat actuellement la livraison de ses F/A-18 à l'Ukraine.
Les américains ont redéveloppé le F/A-18 C en "Super Hornet" (version plus grosse et plus puissante) en 1995, et le F/A-18E/F reste en service dans l'US Navy aux États-Unis.

En bref : la vaste majorité des armées considérées modernes dans le monde, Russie comprise, utilise des appareils développés à l'origine dans les années 1970.
Est-ce qu'ils sont tous obsolètes pour autant ?

La réponse est non. Car un avion de chasse, ça coûte très, très cher. C'est donc un investissement à long terme, qui est remis à jour régulièrement.
Ces appareils ont donc étés modernisés au cours des années.

  • Raison 2 : La modernisation du Mirage 2000

Bien entendu, le Mirage 2000 n'est pas en reste. Il a été modernisé au fur et à mesure de son service, et la chaîne de production n'a été fermée qu'en 2007, avec la production du dernier Mirage 2000-5 Mk2 à destination de la Grèce.

Mirage 2000-5 Grec
 
La fin de la production n'a pas pour autant stoppé les programmes de rétrofit.
En 2019, l'armée de l'air indienne demandait même l'intégration du missile air-air longue portée Meteor de MBDA sur leurs Mirage 2000-5, pour leur permettre d'avoir un missile BVR (Beyond Visual Range) commun entre le Mirage 2000 et leurs nouveaux Rafale. Cela leur aurait permis d'arrêter d'acheter des missiles MICA-ER pour le seul Mirage.

Missile MBDA Meteor, d'une portée de 200km, avec une no escape zone de 60km.

L'intégration du Meteor ne s'est pas faite, pour des questions bassement pécuniaires. Mais cela montre que le Mirage 2000 est toujours en évolution.

Le fait est que, tout appareil de 4e génération qu'il est, le Mirage 2000 a intégré les technologies développées depuis son entrée en service en 1984, et le Mirage 2000-5 est un intercepteur performant, capable de combat aérien moyenne et courte portée.

Mirage 2000 en configuration d'interception longue distance

  • Raison 3 : l'intégration OTAN
 
Au-delà des technologies inhérentes au Mirage 2000 lui-même, l'appareil offre également un autre avantage : il est complètement intégré dans le système aérien de l'OTAN.
Le Mirage 2000 peut être ravitaillé en vol par les KC-135 et A330MRTT des forces aériennes de l'OTAN.

Le Mirage 2000 est également équipé de systèmes compatibles avec le Link-16.
Peu connu du grand public, le système "Link" est un protocole de communication data, qui permet aux matériels compatibles d'échanger des informations entre eux, en continu, pour s'intégrer dans un champ de bataille virtuel complet.
Le Link-16 permet, entre autres, la communication entre les avions de chasse, les défenses aériennes et les systèmes de radar, au sol comme en vol.

 
Cette communication d'informations en Link-16 permet également le partage d'informations de ciblage. Un Mirage 2000-5 peut ouvrir le feu, avec un missile MICA-ER, sur une cible qu'il n'illumine pas lui-même. Sa cible peut être illuminée par un radar au sol, ou un appareil de surveillance de type AWACS E-3.

Cela signifie qu'un Mirage 2000-5 peut effectuer des tirs "par dessus l'épaule" (sur un appareil se trouvant derrière lui), ou intercepter des cibles qui lui sont invisibles, servant simplement d'avion lanceur au profit d'un radar longue portée ayant identifié des cibles à longue-distance. Permettant par exemple de faire le tri entre un bombardier Tu-95 en phase de tir d'un missile de croisière, et les appareils civils présents dans la même zone.

Mirage 2000D équipé de bombes à guidage laser

Et nous nous sommes limités ici à l'étude des appareils de chasse et d'interception. Le Mirage 2000D biplace et les variantes 2000-5 Mk2 et 2000-9 monoplaces utilisés par la Grèce et les Émirats Arabes Unis possèdent une capacité d'attaque au sol leur permettant l'utilisation du MM39 Exocet anti-navires, du missile de croisière SCALP, ainsi que de tout le panel des bombes guidées ou non, comme les GBU laser et les JDAM à guidage GPS.

  • Pour finir

En résumé, le Mirage 2000 est un appareil multirôle parfaitement capable d'être déployé en Ukraine, sans craindre les appareils de la chasse russe.
Ou même les capacités anti-aériennes déployées par Moscou, grâce à des armes d'engagement à distance lui permettant de se tenir loin de celles-ci.

La version 2000-5, en particulier, permet une intégration dans un système de défense au standard OTAN qui n'est aujourd'hui pas possible avec les Sukhois et Migs déployés par les forces armées ukrainiennes.

Ceux qui le déclarent complètement dépassé n'y connaissent pas grand-chose.


Petites précisions suite aux dernières annonces durant le mois de mars : le déploiement des Mirage 2000C retirés du service en 2022 n'est à priori pas d'actualité, car les moteurs M53 montés sur ceux-ci sont supposés être utilisés sur les Mirage 2000-5 toujours en service sur la base aérienne 116 de Luxeuil. Cependant, certaines rumeurs font état d'appareils disponibles en Grèce et dans les pays du Golfe (EAU et Qatar).

Certains médias ont fait état de formations en cours pour les Ukrainiens à Mont-de-Marsan (BA118) et Nancy (BA133). Si la formation sur Mirage à Mont-de-Marsan est improbable - la BA118 sert plus de base de démonstration pour les délégations étrangères, et n'accueille pas de Mirages en temps normal - une formation de pilotes à Nancy pointerai vers une formation à l'attaque au sol, Nancy-Ochey étant équipée de Mirage 2000D.

dimanche 19 mars 2023

Industrie de l'armement Russe : plus assembleurs que concepteurs ?

Disclaimer : Ce papier est fortement inspiré par un fil Twitter du 10 octobre 2022, en anglais.

 

Depuis la chute de l'URSS en 1991, jusqu'au début de l'invasion de l'Ukraine en février 2022, l'industrie de l'armement russe avait réussi à s'imposer comme second plus gros exportateurs de canon du monde, directement derrière les États-Unis.

Si la Russie a amplement profité du clientélisme technique de l'URSS, s'assurant des contrats dans des pays voulant garder des standards communs (Chine, Vietnam, Syrie, Venezuela...), et de la nécessité de fournir des pièces détachées dans les pays ayant profité des trafics d'armes soviétiques des années 90, elle a également réussi à s'imposer sur des marchés plus ouverts, notamment en Inde ou en Afrique du Nord (Égypte, Algérie...).


Pourtant, cette industrie à l'apparence puissante peine à fournir son propre pays en équipements et matériels modernes.

La Russie perd des quantités incomparables d'équipements sur le champ de bataille Ukrainien, face à une défense et des contre-offensives âpres. Loin d'être capable de remplacer ces matériels, l'industrie de l'armement Russe tend à se replier sur des matériels "Legacy", hérités de l'Union Soviétique, et de plus en plus anciens.

L'industrie russe dans son ensemble, mais plus spécialement l'industrie de l'armement, semblent être en situation de difficulté face aux sanctions Américaines et Européennes. La fermeture d'entreprises étrangères produisant et vendant des pièces techniques sur le sol Russe, tels que les roulements à billes et les paliers, impacte également tous les clients de la défense russe.

L'armée Russe elle-même s'est retrouvée bloquée par des problèmes de pneus, incapable de se fournir, ressortant des gommes datant de l'époque soviétique en 2022.

Pourtant, l'URSS a été quasiment indépendante dans le domaine de l'armement jusqu'à sa chute en 1991. Et, suite à l'invasion de la Crimée en 2014 et les sanctions qui l'ont suivie, l'industrie russe a pu profiter de 8 années pour se réorganiser en vue de l'invasion, et relancer la production nationale, assurer son indépendance technique, et stocker du matériel et des pièces.

Après tout, ce sont les russes qui ont lancé la guerre. En toute logique, ils auraient dû s'y préparer, certainement ?

Pourtant, dès que l'on décide de jeter un œil plus critique, au-delà de la propagande telle que le biathlon des chars, la situation de l'industrie Russe est bien plus logique qu'elle n'y paraît.

Petite analyse.

Phase 1 : les bricolages de l’Étranger

Quiconque s'est un jour penché sur l'industrie de l'armement en France se rend rapidement compte que l'un des très gros marchés courtisés par les entreprises, petites et grandes, est celui de la remise à niveau du matériel soviétique et russe. De toutes les époques, pour tout le monde.

Et les industriels français ne sont pas les seuls à s'être penchés sur la question : tous les pays ayant une capacité industrielle significative ont l'air d'avoir des programmes de remise à niveau pour le matériel Russe.

Pourquoi ce marché est-il si étendu ?

Tout d'abord, simplement pour des raisons de clientèle. L'URSS était un pays extrêmement dispendieux envers les "pays frères", distribuant à la pelle du matériel militaire aux quatre coins du monde. L'URSS était également une machine à standardiser : du fusil AKM aux avions de chasse, les productions soviétiques comme leurs copies externes étaient toutes produites à partir des mêmes documentations techniques, permettant une interchangeabilité et une interopérabilité dont l'OTAN ne peut que rêver.

Et donc, à chaque changement l'alignement, et surtout à la chute de l'URSS, des marchés se sont ouverts pour la remise à niveau de matériel d'origine soviétique.

T-62 Syriens dans les années 70. Équipant de nombreux pays Arabes, les T-62 et T-55 font partie des cibles commerciales pour remise à niveau.

Cette large distribution des équipements signifie aussi que la France, les États-Unis, Israël, l'Afrique du Sud et tout un tas d'autres pays se sont retrouvés à capturer et collecter du matériel soviétique au cours des décennies de la guerre froide. Chaque pièce d'équipement était démontée par les ingénieurs de l'armement pour en connaître les faiblesses, avant d'être mise à la disposition des industriels (d'état ou privés), de façon à permettre de créer les équipements pour les contrer, les brouiller et les détruire. Par la même occasion, ces industriels en profitaient pour concevoir des moyens d'en améliorer les performances, dans l'optique de décrocher de juteux contrats chez de nouveaux alliés, ou des pays non alignés.

Une fois étudiés de fond en comble, les équipements étaient ferraillés, ou remontés pour apparaître dans des musées (Bovington, Saumur pour les blindés, Le Bourget pour l'aviation, etc).

Mil Mi-24 "Hind" Lybien, capturé par la France au Tchad, chargé dans un C-5 du MAC Américain en 1988, pendant l'opération "Mount Hope III"

La raison finale est la perte de vitesse de l'URSS en matière technique, à partie des années 1970. Avec sa structure rigide punissant la pensée "subversive", menant à une fuite des cerveaux vers l'Ouest et à un conformisme d'état ne favorisant pas l'innovation, l'URSS peine à générer de nouvelles technologies, se bornant à développer des systèmes existants, ou à copier les technologies développées à l'Ouest. La méthodologie d'emploi de l'armée russe, mettant l'accent sur la quantité au dépit de la qualité, n'arrange en rien ce problème de perte de vitesse.

La résultante est le développement d'équipements militaires étant sous les standards du "correct", pour les pays de l'Ouest. Ces derniers vont donc intégrer leurs technologies les plus avancées dans les matériels capturés, avec des améliorations telles que l'intégration d'optiques de meilleure qualité, de la géolocalisation, de capacités de combat de nuit... et le passage à des munitions standardisées OTAN, pour remplacer celles d'origine soviétique.

Déjà existant dans les années 60 à 80, ce marché explose avec la fin du Pacte de Varsovie, et le rattachement à l'OTAN et l'Union Européenne de nombreux pays anciennement sous la bonne Soviétique, qui désirent passer aux standards de leurs nouveaux alliés, sans pour autant dépenser leurs maigres (à l'époque) économies a remplacer du matériel d'origine Russe, souvent quasiment neuf et tout à fait exploitable.

Char Israélien Tiran-5Sh : un T-55 soviétique, équipé d'un canon anglais L7 de 105mm OTAN, optiques modernisées, poste radio Israélien, aménagement intérieur amélioré...

Un bon exemple de ce type de modification est le Mi-24 SuperHind de la firme Sud-Africaine ATE dans les années 90. ATE, un assembleur local ayant travaillé sur l'hélicoptère d'attaque Rooivalk de Denel dans les années 80, décident d'appliquer ce qu'ils ont appris au Mi-24 russe (l'un des hélicoptères d'attaque les plus communs en Afrique dans les années 90). Ils débutent avec l'intégration de capacités de vol de nuit et de géolocalisation sur le SuperHind MkI, et, à force d'itérations et de nouvelles intégrations, créent une version du Mi-24 équipée des capacités exactes du Rooivalk de Denel (tourelle téléopérée tout-temps, vol de nuit, tir de missiles guidés télévision ou laser...), tout en gardant le blindage et la capacité de transport spécifique au Mi-24 Hind.

L'aventure du SuperHind s'arrêtera (après la vente d'appareils au standard MkIII à l'Algérie et Azerbaidjan) lorsque ATE partira marcher sur les plates-bandes russes, en proposant la remise à niveau de leur flotte aux Ukrainiens et Kazakhs.

SuperHind Mk.V du Sud-Africain ATE, un exemple de remise à niveau profonde d'un matériel russe, surpassant largement les capacités de l'original.


Phase 2 : Oligarchie et dépendances (aux technologies de l'Ouest)

Dans cette situation, les industriels russes, dirigés par des oligarques proches du pouvoir, et plus désireux de se mettre de l'argent dans les poches que d'assurer l'indépendance technologique de la Russie, n'ont strictement aucun intérêt à développer du neuf.

Pensez : ils peuvent simplement prendre des plateformes qu'ils n'ont pas payées, les sortir des cartons tamponnés "propriété de l'URSS", acheter des éléments sur étagère à l'étranger, et revendre des unités complètes, d'un niveau plus que correct, sans avoir à faire travailler leurs bureaux d'études.

Par exemple, il suffit de prendre un Sukhoi-27, ajouter des kits de modification de chez Sagem, Thales et Elop, mettre une étiquette Su-30 ou Su-35 dessus, et hop, profits maximum (85 millions l'unité).

D'un point de vue purement mercantile, passer de développeur à assembleur est parfaitement logique :

- C'est moins cher
- C'est plus rapide
- C'est plus facile

Les chaines de production existant déjà, il suffit de continuer à les faire tourner. Et, en cas de problème, il suffit de renvoyer le client au service SAV du développeur d'origine...

Électronique de T-90M russe, démonté par les ingénieurs des forces armées Ukrainiennes. Le module Thalès Catherine FC est facilement visible à ses marquages.

 

Phase 3 : Profit


 

La Russie des années 80 était dans un fossé technologique, pourquoi dépenser l'argent si quelqu'un l'a déjà fait à votre place ?

Et c'est ce qu'ont fait les industriels de l'armement russe. Ils se sont mis de l'argent dans les poches en assemblant simplement des kits de rétrofit sur des vieilles plateformes, directement à l'usine.

Et leurs méthodes ne sont devenues que plus efficaces avec les consolidations décidées par Vladimir Poutine dans les années 2000. Sans la concurrence de Mikoyan, Sukhoi a pu facilement prendre l'ascendant dans UAC, et vendre ses équipements à l'état russe et ses alliés en faisant autant de marge qu'humainement possible.


Et ça a marché pendant des années. Tout le monde s'en mettait plein les poches, russes comme fournisseurs. Les pontes du Kremlin eux-mêmes ont probablement profité de ce système pour toucher d'épaisses enveloppes pendant des années.


Puis Vladimir a décidé d'envahir l'Ukraine, et de tout gâcher.

samedi 18 mars 2023

MQ-9 vs Su-27 sur la mer noire

Suite à l'interception d'un MQ-9 "Reaper" américain au-dessus de la mer noire par l'aviation russe du 14 mars 2023, un petit papier "à chaud", ou presque.


  • L'incident

Le 14 mars 2023, lors d'un vol dans l'espace aérien international au-dessus de la mer noire, l'US Air Force déclare avoir perdu un drone MQ-9 "Reaper", présent sur zone pour surveiller le secteur dans le cadre de la protection des frontières de l'OTAN dans la région. L'US Air Force annonce également que le drone a été percuté par un chasseur russe Su-27 lors de manœuvres considérées dangereuses et non professionnelles.

Carte de la mer noire. Roumanie, Bulgarie et Turquie sont des membres de l'OTAN.

La Russie reconnaît qu'un drone américain est tombé dans la mer noire alors que des Sukois l'interceptaient, mais annonce, pour sa part, que les pilotes russes n'ont fait aucune manœuvre contre l'appareil, et qu'il est simplement tombé de lui-même.

Le lendemain, le DoD américain déclasse la vidéo de l'incident, enregistrée par le drone de surveillance, qui fait rapidement le tour du monde :

Faisons donc un tour de l'incident.

  • Le General Atomics MQ-9 "Reaper"

Drone MQ-9 Reaper de General Atomics. Le MQ-9 est destiné à la surveillance armée et à l'attaque au sol/appui-feu.
 

Le MQ-9 est fabriqué par la firme américaine General Atomics Aeronautical Systems, Inc., basée en Californie et issue du pétrolier Gulf Oil, dans les années 60. A l'origine créée pour gérer le développement de réacteurs nucléaires par Gulf, General Atomics crée une branche aviation et drones au début des années 90.

En 1995, General Atomics livre les premiers drones de surveillance RQ-1 (R pour Reconnaissance, Q pour sans pilote).

MQ-1 Pretador en configuration appui-feu

Le RQ-1 est rapidement modifié pour emporter des moyens d'attaque au sol (missiles guidés Hellfire...), et prend en 2002 la désignation officielle MQ-1 (M pour multirôles), et est surnommé "Predator" (prédateur).

Très rapidement, General Atomics travaille sur un "Predator-B". Cette nouvelle version remplace le moteur Rotax à pistons par un turbopropulseur, gagne en tonnage (et donc en voilure et en emport), et aboutit sur le MQ-9, surnommé "Reaper" (la faucheuse).

Le MQ-9 entre en service en 2007, et est utilisé par les Etats-Unis, mais également un grand nombre de forces aériennes de l'OTAN, dont l'Armée de l'Air et de l'Espace française.

Le MQ-9 est un drone de surveillance et d'appui-feu d'environ 2,5 tonnes, capable de rester 14h en vol à une vitesse de croisière de 300 km/h, et piloté depuis une base (souvent loin du front) via satellite.

Comme on peut le voir sur la vidéo de l'incident, le MQ-9 intercepté n'est pas armé, et donc purement en mission de surveillance.

  • Le Sukhoi Su-27

Sukhoi-27 Russe

 Le Sukhoi Su-27 est un chasseur monoplace multirôle, développé dans les années 70 et 80, et qui sert de principal cheval de bataille aux forces aériennes russes depuis la consolidation du bureau d'études et des capacité de productions de Mikoyan (anciennement MiG) et Yakovlev dans le consortium d'état PJSC United Aircraft Corporation en 2006, qui a mené à un phagocytage complet de l'aviation Russe par Sukhoï.

(NDR: Avec la consolidation des capacités d'étude et de production russes, leurs avionneurs sont devenus souvent de simples assembleurs.)

Sukhoi produit aujourd'hui plusieurs modèles de chasseurs basés sur le Sukhoi-27 (Su-30, Su-33 navalisé, Su-35 et Su-34).

Le Sukhoi 27 est entre autres connu pour la manœuvre du Cobra, impressionnante visuellement mais complètement inutile (et fatigante pour la cellule) dans un monde où la majorité des engagements s'effectuent à distance, avec des missiles guidés.

Manœuvre du "Cobra", destinée à esquiver un ennemi en combat rapproché (dogfight)

Le Sukhoi-27 est un appareil multirôle et un intercepteur décent, mais l'entrée de son dérivé Su-35 dans divers tests dans les années 90 et 2000 (en Corée et au Brésil, entre autres) ont montré les limites de la plateforme face aux appareils au standard OTAN.

Le Su-27 et ses dérivés restent la colonne vertébrale de l'armée de l'air Russe, en attendant l'arrivée (annoncée depuis les années 90) du Su-57 de nouvelle génération.

  • Interrogations sur les manœuvres russes

La vidéo plus haut montre qu'avant l'impact, les chasseurs russes (au nombre de deux, d'après les sources officielles) ont commencé par pulvériser du kérosène sur le drone, avant qu'un pilote fasse une fausse manœuvre et le percute, mettant fin à l'interception avec la perte de propulsion et le crash du drone. Pour plus d'informations sur les raisons de l'impact, je vous renvoie à une vidéo sur la chaîne du pilote de chasse ATE, ex-Marine nationale :


Au-delà de l'impact, à priori imprévu et non voulu, la question des actions russes se posent.

Qu'essayaient-ils de faire en projetant du kérosène sur le drone ? La manœuvre est très risquée, le kérosène largué venant du réservoir principal des appareils (qui volent sans réservoir supplémentaires dans la vidéo). Les pilotes prennent donc le risque de ne pas pouvoir rentrer à la base en faisant ces manœuvres.

L'effet du kérosène sur le drone est également un gros point d'interrogation : le kérosène pulvérisé par un vide-vite se disperse et s'évapore, ne laissant qu'un film léger sur certaines surfaces. Il est donc peu probable que le dégazage gène les capacités de surveillance du drone. On peut d'ailleurs constater sur les vidéos que même en filmant directement le passage des avions russes, la caméra (qui est située sous le nez du MQ-9) ne semble pas impactée par les épandages répétés (au nombre de 12, d'après l'US Air Force).

Il est également peu probable que le kérosène déversé en vide-vite puisse avoir un effet sur la motorisation du drone : le MQ-9 utilisant un turbopropulseur, la saturation en kérosène de l'air aspiré nécessiterai d'être extrêmement élevée pour pouvoir stopper la turbine, qui repartirait probablement d'elle-même après quelques secondes, une fois le surplus évacué. Même le moteur à pistons turbocompressé Rotax du MQ-1 n'aurait fait que tourner très riche quelques instants, avant de repartir normalement.

Vue en coupe d'un turbopropulseur. Le kérosène aspiré ne ferait que ressortir par l'échappement après avoir traversé le moteur.

 

La question du but de la manœuvre reste donc entière, considérant les risques pris par les pilotes russes.

  • La réponse américaine, et pourquoi elle est parfaitement logique

La réponse américaine a été rapide sur le sujet : les pilotes russes sont des amateurs, et ce genre d'incident montre qu'il n'ont pas un niveau approprié pour les missions d'interception.

Les analystes internationaux ont également rapidement fait remonter le fait que les Russes utilisent ce type de méthodes de coercition lors d'interceptions en mer ou dans les airs, en zone internationale, avec une régularité qui fait froid dans le dos. Et qu'une recrudescence des vols très basse altitude en Syrie a lieu depuis le début du mois de mars.

En tout temps, les pilotes soviétiques et russes ont étés très agressifs envers les appareils et navires de ceux qu'ils perçoivent comme leurs ennemis, c'est à dire les pays Européens et les États-Unis. Et ce même si la qualité de la formation de leurs pilotes s'est visiblement dégradée depuis la chute de l'Empire Soviétique, et que les machines qu'ils utilisent vieillissent.

On pourrait faire le parallèle avec nos amis canins : il n'y a pas plus agressif, extérieurement, qu'un chien apeuré.

  • L'armée de l'air russe et les espaces aériens : faites comme je dis, pas comme je fais

De son côté, la Russie a appuyé sur une prétendue violation de l'espace aérien du champ de bataille ukrainien.

Même sans prendre en compte le fait que l'espace aérien autour de la Crimée n'est pas reconnu comme Russe, mais comme étant Ukrainien, par la communauté internationale (et donc que les Russes n'ont aucun droit à limiter qui peut s'y déplacer), la situation est cocasse lorsqu'on jette un œil aux violations d'espace aérien de ses voisins par la Russie. 

Outre les incidents intervenus cette semaine, la Russie a violé l'espace aérien suédois avec des appareils armés au mois de mars 2022 (après le début de leur invasion de l'Ukraine), et leurs violations répétées de l'espace aérien Turc en 2015 avaient mené à la destruction d'un bombardier Sukoi-24 Russe par la chasse turque.

  • En conclusion

La destruction du MQ-9 apparaît comme étant accidentelle, et due a une erreur de pilotage côté russe.

Cependant, l'interview du pilote soviétique ayant intercepté le vol Korean Air 007 au-dessus de Sakhaline en 1983, dans une interview donnée au journal russe Izvestia en 1991, précise que ses choix lors de l'interception étaient de tirer au canon, au missile, ou de percuter l'avion de ligne. Cette dernière information tendrait à montrer que l'impact volontaire avec un appareil intercepté était une tactique parfaitement normale pour les pilotes soviétiques, et potentiellement toujours d'actualité avec les pilotes russes en 2023.

Dans tous les cas, si la Russie prétend que tout s'est passé comme prévu, et offre une de ses fameuses médailles en fer-blanc au pilote qui a percuté le MQ-9, les américains de leur côté on opté pour le mépris, la désescalade, et le maintien des vols de reconnaissance sur la mer noir.


Il est donc probable qu'à moins d'une nouvelle action d'agression Russe sur un appareil piloté, les choses en resteront là. Les forces de l'OTAN dans leur ensemble, et les américains en particulier, ne voient pas leur intérêt à répondre aux pitreries des russes.

Et gardent un œil (armé) sur les frontières de l'Europe.

Rafale français en cours de ravitaillement / Photo US CENTCOM


dimanche 12 mars 2023

Guerre en Ukraine, la IIIe Guerre Mondiale à nos portes ?

 Disclaimer : Ce papier a été publié pour la première fois sous forme de fil Twitter le 17 octobre 2022. Les  éditions seront indiquées entre [crochets]. 
Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et force des décisions éditoriales.
 

[L'une des marottes des réseaux pro-Kremlin, et les idiots utiles répétant leurs points de vue, depuis le début du conflit en Ukraine,est de parler de l'avènement de la 3e Guerre Mondiale.]

Et, dans le tas, beaucoup de gens semblent ne pas savoir, ou ne pas comprendre, ce qu'est une "Guerre Mondiale".

 

Exemple de personne avec un auditoire public, qui ne comprend pas ce qu'est une Guerre Mondiale, ou ment au public de façon volontaire.

Beaucoup de gens présentent un affrontement entre le Pacte de Varsovie et l'OTAN en Europe dans les années 1980 comme étant une guerre mondiale. 

Dans le genre Tempête Rouge de Clancy. 

Red Storm Rising, ou Tempête Rouge en français, raconte un affrontement entre les Soviétiques et l'OTAN en Europe, sur fond de crise économique en URSS au milieu des années 80.
 

Et donc, dans cette logique, un affrontement entre la Russie et les forces d'un ou plusieurs pays de l'OTAN en Ukraine serait la IIIe Guerre Mondiale.

Seulement, une guerre mondiale, ce n'est pas une guerre où des gens viennent de la terre entière pour, poliment, se mettre sur la gueule.

C'est une guerre où les théâtres d'opérations s'étendent sur tous les continents, ou presque (l'Antarctique ne compte pas, étant une zone internationale sans population).

 

 

  • La Première Guerre Mondiale (1914-1918)

De par notre point de vue d'Européens, nous regardons la 1ère Guerre Mondiale comme étant purement Européenne. Cependant, si c'était le cas, ce serait juste une guerre Franco-Prussienne classique. La guerre de 1870 est-elle une guerre mondiale ? Non, pas plus que les campagnes Napoléoniennes, qui se sont pourtant étendues sur tout le continent Européen.



Cependant, en 1914, par le jeu des colonies, après la déclaration de guerre le conflit s'étend à l'Afrique, où les troupes coloniales allemandes, comme les Askari de Von Lettow-Vorbeck, tentent de garder le contrôle de l'empire colonial face à des troupes alliées supérieurs en nombre, équipement, et ayant accès à leur métropole pour le ravitaillement.

Troupes coloniales allemandes Askari, et leurs officiers impériaux Allemands, 1914

Les colonies sont également un argument de recrutement pour les alliés : les sud-africains et portugais se voient promettre des territoires contre leur aide en Europe, et à la fin du conflit les colonies allemandes seront distribuées entre les vainqueurs.

Troupes coloniales Anglaises en Afrique

L'est de l'Asie et l'Océanie seront, de même, emmenées dans la guerre, avec l'attaque et la capture des colonies et comptoirs allemands dans le Pacifique et en Chine. Les allemands tenteront de fomenter une révolte en Inde, sans succès. 

Troupes allemandes lors du siège de Tsingtao (Qingdao) par les troupes japonaises et anglaises

L'Asie sera également concernée par des batailles alliées contre les Ottomans (alliés des empires Allemand et Austro-Hongrois), et les révoltes arabes - motivées par les pays de l'Ouest - en Asie Mineure. L’Amérique du Sud, elle, ne sera concernée que par des batailles navales, le long de ses côtes. 

Donc 5 continents sur 6 sont concernés par les affrontements, et nous avons déjà dit que l'Antarctique ne compte pas. 

Mondiale, la guerre, comme disait Coluche. 

 

 

  • La Seconde Guerre Mondiale (1939-1945)

Concernant la seconde Guerre Mondiale, je vais faire plus rapide et plus simplifié, car tout le monde (ou presque) est conscient de sa dimension internationale, et inter-continentale : 

Expansion maximale des forces Allemandes (et leurs alliés) en novembre 1942.

 

- Allemands en Europe et Afrique du Nord 
- Japonais en Chine, quasiment jusqu'à l'Inde, qui descendent jusqu'à la mer de Corail, limite de l'Océanie.

L'Amérique, une fois de plus touchée principalement par les batailles navales, entre les raideurs allemands (sous-marins et navires de surface) et les marines alliées.

Expansion maximale japonaise, 1942

  • Le scénario Ukrainien

Maintenant que nous avons vu ce qu'est une Guerre Mondiale, nous pouvons étudier un scénario "Tempête Rouge" en Ukraine.

On a deux blocs : La Russie, avec des achats de matériels Iraniens et Nord-Coréens d'un côté, et l'Ukraine, aidée par ventes & dons de matériels OTAN de l'autre.

Carte de situation dans Tempête Rouge de Tom Clancy, avec un engagement direct entre les forces Soviétiques et de l'OTAN

Où se passent les combats ? 

En Ukraine, et quelques bombardements au-delà de la frontière Russe. 

Quels autres endroits ? Nulle part

Donc nous sommes dans une guerre se déroulant sur un terrain restreint en Europe. C'est tout.

[NDR : au 12/03/2023, les combats, hors quelques frappes sur des bases russes, ne sortent pas des frontières terrestres et maritimes de l'Ukraine telles que définies en 1991.]

Carte animée du front en Ukraine, de Février à Août 2022, montrant la sectorisation très limitée des combats
 

Mais, j'en entend dans le fond qui hurlent "oui, mais si l'OTAN s'en mêle sur le terrain ?"

Et je leur répondrai "Si l'OTAN s'en mêlait, et attaque la Russie, et qu'on appelle ça une 'Guerre Mondiale', alors il faudra faire des requalifications, et ça sera la 4e guerre mondiale, pas la 3e".

Pourquoi ? C'est simple :

 

 

  • La guerre où tout le monde est contre tous les autres de façon ouverte, mais pas mondiale

 

La Guerre de Corée, 1950-1953 (combats), 1950-présent (techniquement)

De 1950 à 1953 (techniquement jusqu'à aujourd'hui, la paix n'a jamais été signée) s'est déroulé un truc appelé la "Guerre de Corée". Une guerre symétrique (ou "near-peer" comme on dit de nos jours), avec d'un côté les Nord-Coréens, les Chinois et les Russes (oui, tous avec des troupes sur le front, pas juste de l'aide).

 De l'autre côté, les Sud-Coréens, et des troupes :
- Américaines
- Françaises
- Anglaises + Commonwealth
- Turques
- Thaïs
- Philippines
- etc...

On va passer les détails, mais en gros tout le monde est là, y compris des éthiopiens, des colombiens et des sud-africains.

 

Char d'assaut Centurion anglais en Corée, 1951.

Cet engagement largement international, en Corée de 1950 à 1953, est dû en grande partie a l'ONU et à sa résolution n° 83, du 27 juin 1950, recommandant une aide des états membres à la Corée du Sud.

Mais si les deux blocs s'affrontent de façon complètement ouverte (Les forces de l'ONU combattent sous leurs propres pavillons, les Chinois sous le leur, et les Soviétiques engagent leur armée de l'air de façon à peine voilée), le terrain des affrontement se limite à la péninsule Coréenne, les forces de l'ONU faisant même spécialement attention à ne pas franchir la frontière Chinoise en 1950, malgré la poussée véhémente de Douglas Mac Arthur.

La guerre de Corée serait donc la 3e "Guerre Mondiale", si l'on considère que c'est une question de représentativité, et non de champs de batailles.

Hors la Guerre de Corée, jusqu'à aujourd'hui, reste la guerre de Corée. Pas la 3e Guerre Mondiale. Ou même la 2,5e Guerre Mondiale.

Les gens qui soutiennent que la guerre en Ukraine va mener à la 3e GM et que l'on devrait laisser les Russes gagner, probablement.

  • En conclusion, non, la 3e Guerre Mondiale n'est pas pour demain

Du coup, guerre en Ukraine qui tournerait à la guerre mondiale? 

Oui mais non. 

Même si les russes déploient des Coréens ou des Iraniens sur le front... 

Même si l'OTAN décidait d'attaquer la Russie... 

Parce que les forces de l'OTAN sont en Europe, et n'ont pas besoin d'en sortir : Moscou est à quelques heures des pays baltes en AMX-10RC.

Trajet entre Terehova, à la frontière Lettone, et la Place Rouge à Moscou. Pas besoin de sortir de l'Europe continentale !

Pour avoir une guerre mondiale, il faudrait que les Russes attaquent le Japon et les États-Unis sur leur sol, et l'armée française en Afrique.
Et même s'ils étaient assez idiots pour le tenter, au jour d'aujourd'hui, ils n'auraient pas les capacités pour.
A part en envoyant 3 clampins en scooter...

Et donc, maintenant, vous savez pourquoi les gens qui crient à la Guerre Mondiale vous racontent des bêtises.

A  bientôt pour de nouvelles aventures.


samedi 11 mars 2023

Blindés en Ukraine : L'armée ukrainienne et les T-62 capturés

 Disclaimer : Ce papier a été partagé à l'origine en tant que fil Twitter le 27 septembre 2022, en anglais. Les données ayant changé depuis et les éditions seront indiquées entre [crochets]. 

Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et force des décisions éditoriales.

Comme mentionné dans l'article précédent l'armée russe engage des chars d'assaut T-62 en Ukraine.

Lors de ses contre-offensives de la seconde moitié de 2022, l'Ukraine a capturé des quantités non négligeables de ces T-62, souvent simplement car ils ont étés abandonnés pour cause de panne.

[Au 11/03/2023, d'après le site Oryx, qui recense les pertes russes et ukrainiennes en open source, les Ukrainiens auraient capturé 45 chars T-62]

Rapport entre les T-62 détruits, abandonnés et capturés, comparé aux chiffres sur la totalité du parc Russe. Les chars T-62 sont majoritairement capturés, à cause de leurs problèmes de fiabilités dus à leur âge, et au manque de sabotage des équipements laissés sur le terrain par les troupes russes.
 

[Pour illustration, une galerie de T-62 capturés entre Août et Novembre 2022 :]










Face aux quantités de véhicules capturés, une question se pose : Cela vaut-il le coup (et le coût) de rapatrier ces véhicules sur les arrières, et les ukrainiens n'auraient-ils pas meilleur temps de les saboter, ou de les enterrer comme casemates, comme les russes l'ont fait des IS-3 et T-10 sur la frontière avec la Chine ?

Eh bien, cela dépend.

Nous avons déjà jeté un œil au T-62 et à ses défauts.

Le T-62 est un char décent, mais ancien et inférieur aux T-64BV déjà alignés par l'armée ukrainienne.

Et, bien entendu, même pour une utilisation en support d'infanterie ou de nettoyage de poches après une offensive, ils ont avant tout le défaut d'utiliser un canon dans un calibre non standard, le 115mm :

- Munitions non disponibles dans l'arsenal Ukrainien, nécessite de se reposer sur des stocks capturés ;

- Logistiquement complexe, force au stockage de 2 calibres complètement différents pour les chars.

[NDR : Le problème des munitions de 115m avait déjà forcé les Israéliens à mettre au rebut la majorité des T-62 capturés des Égyptiens et Syriens, alors qu'ils ont étés grands utilisateurs du T-54 et T-55, en version standard ou modifiée.]

 

Donc, que faire de tous ces T-62 capturés ?

  • Solution n°1 (Canadienne) : Le T-62 Kangaroo

VBTT Ram Kangaroo canadien en France en 1944, basé sur le Tank, Cruiser, Ram, Mark II

 La première solution est de ressusciter le concept du "Kangaroo" Canadien. Le concept du Kangaroo, utilisé sur le M3, le RAM, les automoteurs Priest et certains Sherman, est relativement simple : prendre un véhicule blindé à chenilles, enlever l'armement (tourelle, canons, racks de munitions), souder une plaque de blindage sur les éventuels trous laissés ouverts dans le blindage, ajouter des places assises dans la caisse.

Pour peu de frais, on se retrouve avec un Véhicule Blindé de Transport de Troupes (VBTT), capable de suivre les chars d'assaut (puisque, souvent, basé sur un châssis de char d'assaut allégé), et présentant le même niveau de protection que ces derniers.

L'autre avantage de cette conversion est la rapidité avec laquelle elle peut être faite. Avec les T-62, quelques semaines pour retirer les équipements inutiles et réviser les moteurs et trains roulants permet de les remettre en service, avec un équipement minimal.

  • Solution n°2 (Israélienne) : Le VCI

Achzarit Israélien

 La seconde solution est de prendre la route utilisée par les Israéliens avec le Véhicule de Combat d'Infanterie (VCI) Achzarit : prendre un char d'assaut (T-55 dans le cas de l'Achzarit), retirer les équipements et le blindage supérieur, souder une nouvelle caisse blindée sur le châssis d'origine au format voulu. Cela permet de créer un véhicule spécialisé capable de porter les fantassins au front, avec un maximum de protection (portes de sortie à l'arrière, profil bas, armement piloté...).

Une firme de Kiev a, à priori, déjà effectué les travaux de conception et dessin pour un VCI basé sur le T-62, jamais produit pour le moment.

BMPV-64, VCI basé sur le châssis du T-64 Ukrainien

  • Solution n°3 (Française) : la remise à niveau

La troisième solution est d'appeler le groupe Nexter en France, et leur demander de fouiller dans leurs vieux cartons.

 

Projet de T-62 en 120mm OTAN, développé par GIAT pour le moyen-orient dans les années 80

Dans les années 80, le marché du rétrofit de chars russes s'ouvre au moyen-orient. De nombreux pays comme l'Egypte se tournent vers l'occident, comprenant que l'URSS est en perte de vitesse, et à l'article de la mort.

GIAT (aujourd'hui devenu Nexter) développe des packs de rétrofit pour les modèles les plus communs. Le T59, qui équipe le T-55 d'un canon de 105mm CN-105 F1 et de la conduite de tir de l'AMX-30, et un projet de modification du T-62.

Le T-62 tel que vu par les ingénieurs de GIAT monterait, sur le berceau d'origine, un canon 120mm OTAN de type CN-120-25 G1, à l'origine destiné à l'AMX-40 pour l'export.

Cette solution permettrait aux Ukrainiens de posséder un char de support d'infanterie équipé d'un canon standard OTAN, capable de défaire les blindés russes les plus lourds, sans avoir à monopoliser un Leopard, plus utile à des endroits où ils sont sûrs de rencontrer des T-72 ou T-80. L'utilisation d'optiques modernes permettrait en outre de ne pas être limité par la qualité du matériel russe, que ce soit en distance d'acquisition ou en capacité de combat de nuit.

Le problème avec cette dernière solution est, malheureusement, double :

D'une part, le canon CN-120 G1 n'a jamais été produit en série, et uniquement monté sur des prototypes. Il serait nécessaire de créer une ligne de production en partant de zéro, ou adapter le CN-120 F1, utilisé sur le Leclerc (dont la production est également arrêtée depuis plusieurs années).

D'autre part, le projet n'a (faute de demandes) à priori jamais dépassé le stade papier. L'étude serait donc à reprendre quasiment de zéro, et pour commencer à retrouver dans les archives chez Nexter.


[NDR : Suite à des photos parues en janvier, il semblerait que les Ukrainiens soient partis de leur propre côté, en transformant certains T-62 capturés en chars de dépannage, pour permettre la récupération près du front des chars et autres véhicules blindés, et les travaux du génie.]

T-62 russe capturé et démonté, en cours de conversion en char de dépannage par les ateliers ukrainiens.