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dimanche 26 mars 2023

Fulda, Ukraine et les contre-performances russes.

Le saillant de Fulda (ou Fulda Gap en anglais), un nom lourd de sens pour ceux qui ont étudié (ou vécu) la Guerre Froide.

Dans un monde où les forces du Pacte de Varsovie s'apprêtaient, à tout moment, à nous envahir, les axes de pénétrations restaient malgré tout peu nombreux. La conflagration devant (forcément) s'effectuer en Europe, et non à la frontière commune URSS/États-Unis entre la Sibérie et l'Alaska, les forces de l'Est devraient projeter leurs chars de bataille pour avancer jusqu'aux Pyrénées (plan des "7 jours" de 1979).

D'après les études de l'OTAN, les chars soviétiques, Polonais, Tchécoslovaques et Hongrois avanceraient à travers l'Allemagne.

 

Topographie de la région de Fulda

Un passage plus au sud, par le Nord de l'Italie étant trop compliqué : le seul axe de progression passerait par l'Autriche (la Yougoslavie étant "non alignée", passer ses frontières pour accéder à la côte était exclus). La frontière Austro-Italienne est cependant constituée de hautes montagnes difficiles à traverser, comme en témoignent les âpres combats entre Austro-Hongrois et Italiens lors de la première guerre mondiale. Les forces de Varsovie auraient ensuite à passer une seconde frontière montagneuse, la frontière Franco-Italienne.

Des trois axes de pénétration en Allemagne (Au nord le long de la côte, au centre à Fulda, au sud via l'Autriche), l'OTAN choisit comme point de défense principal la vallée s'ouvrant sur Fulda, car sa capture permet une progression rapide jusqu'à Francfort, puis le Rhin, dans des plaines facilement praticables par les forces mécanisées soviétiques.

La stratégie de l'OTAN est relativement simple : avoir assez d'unités américaines et de chars de la Bundeswehr pour stopper les russes, le temps que les Etats-Unis puisse déployer plus d'unités en renfort, et que les troupes blindées françaises (les plus proches qui ne seraient pas déjà engagées dans les combats) arrivent de Strasbourg.

Dans cette optique de défense de Fulda, la vaste majorité des matériels occidentaux ont étés conçus pour le combat contre des divisions blindées en plaine : les avions d'attaque tels que l'A-10, les hélicoptères d'attaque permettant le tir off-boresight (tir en "cloche" de missiles guidés à l'aide de mats de rotor), et une concentration sur la distance de tir pour les chars d'assaut et toutes les armes anti-char, permettant de monter des embuscades contre les forces soviétiques, et de les engager sans que les chars russes soient à portée des forces alliées.

Hélicoptère Tigre allemand, équipé d'un pod de guidage sur mat pour le tir à couvert "off-boresight"

Une fois les forces françaises, américaines et anglaises rassemblées sur place, l'OTAN lancerait une grande contre-offensive au niveau de Fulda, repoussant les forces du Pacte jusqu'au rideau de fer, et, théoriquement, jusqu'à Moscou.

  • Pourquoi Fulda peut être importante pour l'Ukraine.

A l'heure où ces lignes sont écrites, l'Ukraine se trouve à un moment pivot face aux Russes : ils ont stoppé la progression de ces derniers, ont repris du terrain grâce à des contre-offensives en septembre-octobre, et ont stabilisé le front (les offensives de l'hiver 2022-2023 se sont soldés par des échecs côté Russe).

A ce stade, le front du secteur sud s'ouvre sur une plaine allant de Kherson à Marioupol, et descendant jusqu'au centre de la Crimée.

Topologie de l'Ukraine. Le front sud, au 26/03/2023, va de Kherson à Zaporozhye.

Les livraisons de matériel au standard OTAN, jusqu'à présent plutôt limitée à du matériel de défense (postes LRAC guidés, systèmes anti-aériens), commence à comprendre des systèmes plus offensifs : l'armée ukrainienne reçoit des chars Leopard 2, des bombes et missiles guidés (JDAM, AGM-88), transports de troupes (VAB, Bradley...), auto-mitrailleuses (AMX-10RC).

Tous ces matériels, si leur âge est avancé pour certains, ont étés conçus dans un but précis, contre-attaquer contre les forces russes (soviétiques) dans les plaines allemandes.

  • La force d'opposition russe

De son côté, si l'armée Russe était impressionnante en 1985, ou en 2021, ses forces se sont amenuisées en compétence et en matériel depuis le début de la guerre, en février dernier.

Suite aux pertes conséquentes depuis février 2022 (au moins 1894 chars détruits, 2240 véhicules de combat d'infanterie, 300 véhicules du génie perdus...), les chars et transports de troupe modernisés laissent de plus en plus la place à des versions anciennes, datant des années 70 (T-72A et T-80B), voire pire. Nous avons déjà fait un point sur l'usage par les russes du vénérable T-62 - dont plusieurs unités ont été détruites lors de l'offensive russe sur Vulhedar début 2023. Mais les dernières informations tendent à pointer vers la sortie de cocon de chars modèle T-54.

 

Si les usines russes continuent manifestement à livrer des chars T-90 et T-72 aux forces armées russes, les pertes sont trop élevées pour qu'elles arrivent, pour le moment, à les compenser. Avec l'arrivée du printemps, l'Ukraine, si elle perçoit assez de matériel de la part de ses alliés, pourrait monter une nouvelle offensive dans les plaines du sud, en appliquant, à son échelle, les stratégies développées par l'Ouest pour le combat à Fulda, et qui ont ensuite permis d'écraser, en un mois de 1991, l'armée Irakienne.

Permettant à tout ce matériel, conçu pour détruire l'armée Russe, de réaliser son "destin".

samedi 11 mars 2023

Blindés en Ukraine : L'armée ukrainienne et les T-62 capturés

 Disclaimer : Ce papier a été partagé à l'origine en tant que fil Twitter le 27 septembre 2022, en anglais. Les données ayant changé depuis et les éditions seront indiquées entre [crochets]. 

Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et force des décisions éditoriales.

Comme mentionné dans l'article précédent l'armée russe engage des chars d'assaut T-62 en Ukraine.

Lors de ses contre-offensives de la seconde moitié de 2022, l'Ukraine a capturé des quantités non négligeables de ces T-62, souvent simplement car ils ont étés abandonnés pour cause de panne.

[Au 11/03/2023, d'après le site Oryx, qui recense les pertes russes et ukrainiennes en open source, les Ukrainiens auraient capturé 45 chars T-62]

Rapport entre les T-62 détruits, abandonnés et capturés, comparé aux chiffres sur la totalité du parc Russe. Les chars T-62 sont majoritairement capturés, à cause de leurs problèmes de fiabilités dus à leur âge, et au manque de sabotage des équipements laissés sur le terrain par les troupes russes.
 

[Pour illustration, une galerie de T-62 capturés entre Août et Novembre 2022 :]










Face aux quantités de véhicules capturés, une question se pose : Cela vaut-il le coup (et le coût) de rapatrier ces véhicules sur les arrières, et les ukrainiens n'auraient-ils pas meilleur temps de les saboter, ou de les enterrer comme casemates, comme les russes l'ont fait des IS-3 et T-10 sur la frontière avec la Chine ?

Eh bien, cela dépend.

Nous avons déjà jeté un œil au T-62 et à ses défauts.

Le T-62 est un char décent, mais ancien et inférieur aux T-64BV déjà alignés par l'armée ukrainienne.

Et, bien entendu, même pour une utilisation en support d'infanterie ou de nettoyage de poches après une offensive, ils ont avant tout le défaut d'utiliser un canon dans un calibre non standard, le 115mm :

- Munitions non disponibles dans l'arsenal Ukrainien, nécessite de se reposer sur des stocks capturés ;

- Logistiquement complexe, force au stockage de 2 calibres complètement différents pour les chars.

[NDR : Le problème des munitions de 115m avait déjà forcé les Israéliens à mettre au rebut la majorité des T-62 capturés des Égyptiens et Syriens, alors qu'ils ont étés grands utilisateurs du T-54 et T-55, en version standard ou modifiée.]

 

Donc, que faire de tous ces T-62 capturés ?

  • Solution n°1 (Canadienne) : Le T-62 Kangaroo

VBTT Ram Kangaroo canadien en France en 1944, basé sur le Tank, Cruiser, Ram, Mark II

 La première solution est de ressusciter le concept du "Kangaroo" Canadien. Le concept du Kangaroo, utilisé sur le M3, le RAM, les automoteurs Priest et certains Sherman, est relativement simple : prendre un véhicule blindé à chenilles, enlever l'armement (tourelle, canons, racks de munitions), souder une plaque de blindage sur les éventuels trous laissés ouverts dans le blindage, ajouter des places assises dans la caisse.

Pour peu de frais, on se retrouve avec un Véhicule Blindé de Transport de Troupes (VBTT), capable de suivre les chars d'assaut (puisque, souvent, basé sur un châssis de char d'assaut allégé), et présentant le même niveau de protection que ces derniers.

L'autre avantage de cette conversion est la rapidité avec laquelle elle peut être faite. Avec les T-62, quelques semaines pour retirer les équipements inutiles et réviser les moteurs et trains roulants permet de les remettre en service, avec un équipement minimal.

  • Solution n°2 (Israélienne) : Le VCI

Achzarit Israélien

 La seconde solution est de prendre la route utilisée par les Israéliens avec le Véhicule de Combat d'Infanterie (VCI) Achzarit : prendre un char d'assaut (T-55 dans le cas de l'Achzarit), retirer les équipements et le blindage supérieur, souder une nouvelle caisse blindée sur le châssis d'origine au format voulu. Cela permet de créer un véhicule spécialisé capable de porter les fantassins au front, avec un maximum de protection (portes de sortie à l'arrière, profil bas, armement piloté...).

Une firme de Kiev a, à priori, déjà effectué les travaux de conception et dessin pour un VCI basé sur le T-62, jamais produit pour le moment.

BMPV-64, VCI basé sur le châssis du T-64 Ukrainien

  • Solution n°3 (Française) : la remise à niveau

La troisième solution est d'appeler le groupe Nexter en France, et leur demander de fouiller dans leurs vieux cartons.

 

Projet de T-62 en 120mm OTAN, développé par GIAT pour le moyen-orient dans les années 80

Dans les années 80, le marché du rétrofit de chars russes s'ouvre au moyen-orient. De nombreux pays comme l'Egypte se tournent vers l'occident, comprenant que l'URSS est en perte de vitesse, et à l'article de la mort.

GIAT (aujourd'hui devenu Nexter) développe des packs de rétrofit pour les modèles les plus communs. Le T59, qui équipe le T-55 d'un canon de 105mm CN-105 F1 et de la conduite de tir de l'AMX-30, et un projet de modification du T-62.

Le T-62 tel que vu par les ingénieurs de GIAT monterait, sur le berceau d'origine, un canon 120mm OTAN de type CN-120-25 G1, à l'origine destiné à l'AMX-40 pour l'export.

Cette solution permettrait aux Ukrainiens de posséder un char de support d'infanterie équipé d'un canon standard OTAN, capable de défaire les blindés russes les plus lourds, sans avoir à monopoliser un Leopard, plus utile à des endroits où ils sont sûrs de rencontrer des T-72 ou T-80. L'utilisation d'optiques modernes permettrait en outre de ne pas être limité par la qualité du matériel russe, que ce soit en distance d'acquisition ou en capacité de combat de nuit.

Le problème avec cette dernière solution est, malheureusement, double :

D'une part, le canon CN-120 G1 n'a jamais été produit en série, et uniquement monté sur des prototypes. Il serait nécessaire de créer une ligne de production en partant de zéro, ou adapter le CN-120 F1, utilisé sur le Leclerc (dont la production est également arrêtée depuis plusieurs années).

D'autre part, le projet n'a (faute de demandes) à priori jamais dépassé le stade papier. L'étude serait donc à reprendre quasiment de zéro, et pour commencer à retrouver dans les archives chez Nexter.


[NDR : Suite à des photos parues en janvier, il semblerait que les Ukrainiens soient partis de leur propre côté, en transformant certains T-62 capturés en chars de dépannage, pour permettre la récupération près du front des chars et autres véhicules blindés, et les travaux du génie.]

T-62 russe capturé et démonté, en cours de conversion en char de dépannage par les ateliers ukrainiens.


samedi 4 mars 2023

Blindés en Ukraine : la Russie et le T-62 en service actif en 2022-23

 Disclaimer : Ce papier a été partagé à l'origine en tant que fil Twitter le 17 septembre 2022, en anglais. Les données ayant changé depuis et les éditions seront indiquées entre [crochets].

Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et forcent des décisions éditoriales.

[NDR : Article écrit lors de la contre-offensive des forces ukrainiennes sur Kharkiv et Izium, durant laquelle les Ukrainiens ont partagé des photos de stocks de munitions de 125mm et 152mm capturés dans les dépôts de ravitaillement russes.]

Il semblerait que la Russie fournit toutes ses munitions de 125mm (utilisées par les T-72, T-80 et T-90, NDR) à l'Ukraine.
C'est assez logique.

Pourquoi ? Car sur le front, côté russe, apparaît maintenant le légendaire T-62.

Munitions de 125mm russes capturées par l'Ukraine lors de l'offensive sur Izium, septembre 2022

Mais, je vous entends dire, qu'est-ce qu'un T-62 ?

Eh bien, c'est un char d'assaut très intéressant.

Le T-62 est le tout premier char produit par les soviétiques utilisant un canon à âme lisse. Avant cela, l'Union Soviétique avait déjà développé un canon anti-char à âme lisse en 100mm, le MT-12, mais pas de version automotrice ou de char, les T-54 et T-55 étant équipés d'un canon rayé de 100mm.
Le MT-12 a d'ailleurs été lui aussi engagé en Ukraine ces derniers mois.

Canon MT-12 de 100mm en service Ukrainien

Le T-62, comme son nom l'indique, apparaît en 1962. A cette époque, [le Kharkiv Morozov Machine Building Design Bureau rencontre des difficultés dans le développement de ce qui deviendra] le T-64. Le chargement automatique prévu pour le T-64, révolutionnaire pour l'époque (et qui réduit l'équipage de 4 à 3 hommes), ralentit la mise en service des premiers prototypes.
Le T-55, de son côté, commence à montrer son âge (à peine 10 ans, pourtant) suite à la mise en service par les Anglais du nouveau L7 de 105mm sur le Centurion.

T-62 en Afghanistan

L7 qui a été développé spécifiquement pour défaire le T-54/55, suite à la présence accidentelle d'un T-54A dans la cour de l'ambassade anglais de Prague lors de la révolution de 1956, qui a permis aux anglais de faire, à leur guise, l'étude de son blindage. Avant que les soviétiques viennent poliment demander s'ils pouvaient récupérer leur blindé.

Mais je me disperse.

Donc à ce stade, face au L7 anglais et à l'évolution des technologies, le T-55 est insuffisant [et le T-64 pas encore disponible].

T-54 détruit dans les rues de Prague, 1956

[NDR : Ironiquement, les Israéliens produiront le char Tiran-5Sh sur la base de T-55 capturés (ou achetés), avec le canon 100mm soviétique d'origine remplacé par le L7 105mm anglais. Le Tiran-5Sh a été livré à l'Ukraine par la Slovénie, sous la forme du M-55S, mais pour l'instant n'a pas été vu sur la ligne de front.]

Pour l'époque [le début des années 60, donc], le T-62 est un char d'assaut plus que correct : canon de 115mm relativement puissant, mobilité décente, et la capacité d'engager les chars produits à l'Ouest à bonne distance. Leur engagement en 1973 contre Israël lors de la guerre du Yom Kippur montre ses capacités.
Avec le déploiement à grande échelle du T-64 dans les forces soviétiques à partir de la fin des années 60, le T-62 est largement distribué aux nations satellites et alliées.
[Sa simplicité d'utilisation et de maintenance est appréciée par les utilisateurs à travers le monde.]

T-62 Syriens dans les années 70

Donc, en 1973, le T-62 est toujours assez bon pour affronter une force équipée à l'occidentale et bien entraînée. Quid de la suite?

Très bonne question.


En 1991, durant l'opération Tempête du Désert au Koweit, les forces Irakiennes, aguerries par des années de combat contre l'Iran, sont incapables de faire le moindre dommage, avec leurs T-62, contre les forces de la coalition. Les régiments équipés de T-72 ont une performance légèrement plus élevée.

[En Afghanistan, l'Union Soviétique engage le T-62 plutôt que les plus modernes T-64, T-72 ou T-80, basé sur le fait que les chars servent principalement comme soutien à l'infanterie ou aux colonnes de transport.]
L'Armée Rouge y perdra entre 150 (chiffres de Moscou) et 325 (chiffres américains) chars T-62, contre un ennemi qui ne possède ni véhicules blindés, ni troupes anti-chars...

[Un bilan mitigé, donc.]

T-62 Irakien au Koweit, 1991

En 2008, l'armée Russe engage le T-62 en Géorgie. Selon les rapports de l'époque, les T-62 passent leur temps à tomber en panne, et nécessitent d'être réparés avant même d'arriver sur la ligne de front.

Après cela, l'armée Russe déclare le modèle obsolète, et revend son parc roulant aux Syriens. Le reste des véhicules est placé sous cocon, ou ferraillé. Et c'est la fin du service actif du T-62 en Russie, après quasiment 50 ans.

Ou, du moins, c'est ce que l'on croyait.

Colonne de T-62 en Géorgie, 2008

Avant de parler du T-62 en Ukraine, parlons un peu de certaines spécificités techniques du T-62 :

  • Tout d'abord, le T-62, contrairement aux séries T-64, T-72, T-80 et T-90 actuellement en service russe, n'est pas équipé du chargement automatique. C'est un char à l'ancienne, qui utilise une munition d'un seul tenant (obus, propulseur et étui préassemblés), chargée à la main par un membre de l'équipage. De ce fait, l'équipage du T-62 est de 4 hommes, au lieu de 3 dans le reste des chars russes en service actif. 3x T-62 nécessitent donc le même nombre de personnels que 4x T-80.
  • Les étuis vides sont éjectés en automatique, via une trappe à l'arrière de la tourelle. Cela crée un point faible sur la tourelle (portes articulées), qui s'ouvre après chaque tir. Un peu comme un boss de jeux vidéo, d'une certaine façon. Cette éjection automatique semble désactivée sur les chars engagés par la Russie en Ukraine, ce qui signifie que l'équipage est obligé d'évacuer les étuis à la main, réduisant d'autant leur vitesse de tir (la tourelle du T-62 est trop petite pour accueillir les étuis vides, d'où l'extraction automatique).

  • A cause du format du canon 2A20 comparé à la taille de la tourelle, le T-62 nécessite un retour en position neutre après chaque tir, pour permettre le rechargement. Ce qui signifie qu'à chaque rechargement, le tireur va perdre sa cible, et devoir refaire l'acquisition.
T-62MV avec blindage réactif en cours de transfert vers l'Ukraine, 2022

En résumé, la Russie est en train de déployer en Ukraine [depuis septembre 2022] des chars vieux de 60 ans, équipés d'un canon obsolète, d'un équipage dont les rôles ne correspondent pas au reste de leur flotte, contre une armée Ukrainienne moderne, qui a prouvé qu'elle peut se battre contre les derniers chars russes (T-72B3 et T-90M) sur un pied d'égalité.

T-62 russe "Fury" capturé par les forces ukrainiennes, août 2022

Tout va donc pour le mieux du côté russe (l'agresseur, on le rappelle, qui a donc eu tout le temps de s'organiser et préparer ses forces).

Je vous laisserai, pour conclure, avec Nicolas Moran et Ian McCollum, et le T-62 et son armement (en anglais) :



__________________________________

NDR, conclusion au 4/03/2023 :

Le débat sur l'obsolescence des chars de divers pays fait rage depuis l'annonce de la livraison de Leopard 1 à l'Ukraine. Bien entendu, un char obsolète comme le Leopard 1 ou le T-62 ont pour eux la dimension du "mieux que rien": Il est préférable d'avoir un char dépassé que aucun char.
Ces modèles ont d'ailleurs toujours un rôle potentiel à jouer dans une zone de combat : l'appui de l'infanterie (surtout face à des emplacements fortifiés), et les rôles d'arrière-garde, pour nettoyer des poches de résistance après une offensive menée avec du matériel plus avancé.

De même, la question de la reconversion des T-62 capturés par l'Ukraine se pose. J'ai dans mes fils Twitter une petite discussion sur les solutions disponibles à base de T-62, que je devrai poster ici sous peu, après une bonne remise en page et mise à jour.

Concernant l'engagement du T-62 en Ukraine par la Russie, il semblerait qu'il ne va pas s'arrêter, bien au contraire. De multiples informations tombent actuellement sur le reconditionnement de vastes quantités de T-62 en Russie, pour boucher les trous dans les unités équipés anciennement de T-72 ou T-80.
L'armée Russe a également dévoilé dernièrement le T-62 Obr. 2022, qui voit le remplacement des optiques d'origine par un modèle plus moderne, ainsi que l'ajout d'un système de visée thermique et optiques de vision de nuit.

T-62 Obr 2022

La Russie semble donc compenser son manque de capacité de production - qui est une maladie globale, les Etats-Unis eux-mêmes étant incapables de produite plus de 100 Abrams par an - par un reconditionnement accéléré de modèles plus anciens.
La question restant de savoir si le "nouveau" T-62 sera engagé directement contre les T-64BVM et nouveaux Leopard 2 de l'Ukraine, ou seront utilisés pour garnir des unités territoriales délestées de leurs T-72, eux envoyés en Ukraine.

Dans tous les cas, l'armée Russe semble vouloir brûler toutes ses réserves d'hommes et de matériel en Ukraine, selon la stratégie "la quantité est une qualité en elle-même", déjà utilisée pendant la seconde guerre mondiale.

Ce qui devrait mener, à terme, à un affaiblissement global de leurs forces armées.
Avec l'arrivée du BTR-50 en Ukraine, montrant un manque de BMP et BMD disponibles criant, et une fois les stocks de T-62 épuisés, quelle sera la solution Russe ? Ont-ils encore des réserves de T-10 et de T-55 à engager ?
Auront-ils assez de munitions pour même maintenir le T-62 en service ?

Le futur nous le dira.

jeudi 2 mars 2023

Blindés en Ukraine : le décompte des pertes russes

 Disclaimer : Ce papier a été partagé à l'origine en tant que fil Twitter le 4 septembre 2022, en anglais. Les données ayant changé depuis et les éditions seront indiquées entre [crochets].
Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et forcent des décisions éditoriales.

Avec le listing ORYX atteignant les 1000 chars perdus par la Russie en Ukraine [1781 pertes, dont 1050 détruits au 2/03/2023], il est temps de parler un peu de mathématiques, et de perspective.

Tout d'abord, ORYX est une source formidable pour ceux d'entre nous qui n'ont pas le temps de courir à droite et à gauche pour compter les pertes sur le terrain. Ils font un job formidable [NDR : Oryx est une plateforme tenue par des bénévoles, qui font ce travail sans être rémunérés. Merci à eux].

Leur problème est [que, pour les pertes russes,] ils ne peuvent se reposer que sur ce qui est visible sur les médias sociaux, et côté Ukrainien.

Cependant, les pertes de matériel n'arrivent pas que sur le terrain, et n'importe quelle personne ayant fait de la maintenance industrielle ou de véhicules pourra vous dire qu'une partie des pertes ne seront décomptées qu'après avoir été rapatriées dans un atelier de réparation. Et, dans le cas d'un conflit, il y aura toujours quelques équipements réduit à un tel état qu'il sera impossible de les identifier, ou même de les séparer d'autres matériels également détruits au même endroit.

Schéma simplifié du décompte de pertes

[Le compte Partizan Oleg sur Twitter] a effectué un décompte et des calculs il y a quelques mois.

Ils ont pris une version spécifique du T-80 [le T-80BVM, utilisé par une seule unité de l'armée russe], les chiffres existants sur ORYX pour cette version, et les pertes annoncées par l'armée russe.

Résultat : 75 à 86% des pertes reportées par Oryx. Ce qui est, en soi, prévisible. 15 à 25% des pertes non visibles sur le terrain colle à la logique schématisée ci-dessus.

Pour exemple, voir cet exemple d'un Sukhoï-25 russe, qui a pu retourner se poser en Russie, mais dont la cellule a probablement été ferraillée par la suite, dû à l'étendue des dégâts.

Vous allez me demander, mais où vais-je avec ce raisonnement ?

Une très bonne question, que je vous remercie d'avoir posée. Le Kyiv Independant a publié un article rapportant que les forces russes avaient, au 24 février 2022, 3300 chars d'assaut opérationnels (active et réserve).

Pas engagés en Ukraine, mais sur la totalité de la Russie.

Cela semble relativement proche de la réalité [voir cette vidéo de Covert Cabal sur le sujet].

Considérant que la Russie est connue pour ses stocks très long terme d'armement [NDR : Le char lourd T-10 de 1952 n'a été sorti des stocks opérationnels qu'en 1995, par exemple], ajoutons généreusement 700 chars d'origines diverses : LNR, DNR, sorties de cocons, et bien entendu les variantes du T-62 repérées [et déjà détruites/capturées] sur le terrain.

Soit un total d'environ 4000 chars d'assaut au début du conflit.

Oryx nous donne le chiffre de [1050] chars détruits.

En appliquant les chiffres ci-dessus, nous nous retrouvons avec une fourchette allant de 1200 à 1350 chars détruits.

Soit entre 30 et 34% de la totalité des chars de l'armée russe purement et simplement détruits.

A tout ça, on peut ajouter :

  • Endommagés, 86;
  • Abandonnés, 97;
  • Capturés, 548.

Et soudain, nous nous retrouvons avec un niveau de pertes se situant entre 48 et 52% du total des forces russes.

Donc, sur les [12 premiers] mois d'une opération sensée durer 3 jours, la Russie a perdu environ la moitié de son parc total de chars d'assaut, tous modèles confondus, allant du tout dernier T-90M à l'antique T-62.

[A 6 mois, en septembre, je me posait la question suivante :] Où cela nous mène-t-il ?

C'est une bonne question à laquelle je ne peux apporter de réponse.

L'armée Russe va-t-elle dégarnir les frontières pour envoyer plus de blindés modernes en Ukraine ? [Certaines rumeurs en ont déjà fait état, et il a été confirmé que l'armée Russe a pris des T-72 de l'armée Biélorusse pour les intégrer dans ses unités.] Cela montrerai que la Russie a totalement confiance dans le fait que l'OTAN et la Chine n'en profiteraient pas pour des incursions sur le territoire Russe (ce qui irait à l'encontre des accusations du Kremlin, NDR).

Vont-ils déployer sur le terrain plus de T-62, voire des T-54/55 ? En ont-ils toujours sous cocon, qu'ils pourraient remettre en service ?

[NDR : Au 2/03/2023, la Russie a perdu un total confirmé de 65 chars T-62 toutes versions confondues en Ukraine, et ouvert une ligne de reconditionnement de T-62, où des versions A, M, MV sont remises en état et équipées de nouvelles optiques de visées, y compris une caméra thermique 1PN96MT-02.]

T-62MV Obr. 2022, février 2023

[NDR : Le déploiement récent en Ukraine du BTR-50 par la Russie tendrait à confirmer la remise en état de matériels de plus en plus vieux pour leur engagement sur le terrain, dans une logique du "c'est mieux que rien".]

Le fameux T-14 Armata, encensé par la presse Russe depuis qu'il a été dévoilé, raison du développement du canon 130mm par les ingénieurs de l'Ouest, existe-t-il ? Sensé être le nouveau char d'assaut des forces russes, le T-14 ne s'est pas matérialisé autre part que dans les salons d'armement (uniquement en Russie) et lors des défilés sur la Place Rouge.

T-14 Armata, le futur du passé de l'armée Russe depuis 2014

Pour l'instant, le T-14 est un formidable exemple de vaporware militaire. Adopté en 2014 par les forces Russes, sensé être livré à 2300 exemplaires avant 2025, annulé en 2018, ressuscité en 2020, sensé être testé sur le terrain en 2022 (sic), au jour où ces lignes sont écrites, il semble n'être que 4 personnes sur des vélos, avec un char en carton-pâte par dessus…

La Russie est-elle même capable de produire des chars neufs, pour essayer de boucher certains trous dans la raquette ?

A ce stade, une seule chose est sûre : la Russie a perdu beaucoup de chars.

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Quelques précisions du rédacteur :

Depuis la rédaction du texte original en septembre, la Russie a suivi plusieurs chemins pour essayer d'endiguer leur perte de capacité blindée:

  • Création d'ateliers de reconditionnement pour le T-80. La Russie possède beaucoup de T-80 sous cocon (s'étant concentrée sur le T-72/90 depuis des années), au point que les pertes de T-80 dépassent aujourd'hui le nombre de véhicules en service en janvier 2022, d'après les estimations.
  • Création d'ateliers de reconditionnement pour le T-62. Malgré sa vétusté, le T-62 est toujours relativement efficace contre les emplacements retranchés, et pour le support d'infanterie. Il ne remplace cependant pas un char moderne.
  • Mise en place très couverte par la propagande d'ateliers de réparation pour leurs chars endommagés et récupérés.
  • Utilisation sur le terrain du T-90S destiné à l'export. Selon les dernières informations, ces chars sont propriété de l'armée indienne, et auraient étés récupérés par l'armée Russe alors qu'ils étaient à l'usine pour maintenance et rétrofit, menant à une plainte de l'Inde.
Ces mesures semblent cependant n'être qu'un cache-misère, avec des pertes constantes sur une année, qui ne feront que s'accélérer avec l'arrivée en Ukraine des premiers chars au standard OTAN pour une possible offensive de printemps.