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mardi 25 juillet 2023

Développement des forces aériennes locales à coût réduit : Le retour du Boeing OV-10 Bronco

Depuis le retrait de la force Barkhane du Mali, comme souvent avec le départ d'une force occidentale, le pays en question se retrouve privé d'un multiplicateur de force majeur, celui de la frappe aérienne.

Le problème reste le même depuis la fin de la seconde guerre mondiale : le développement de l'aviation d'attaque, et plus précisément des voitures fixes et tournantes destinées au support des troupes au sol est un élément majeur de la façon de fonctionner des armées occidentales, surtout dans le cadre des opérations contre-insurrectionnelles, qui sont devenues communes dans le cadre du conflit contre les milices djihadistes depuis la fin des années 90.

Mais leur utilisation comme pivot de fonctionnement se fait durement ressentir dès que la force aérienne n'est plus disponible.

OV-10G "Bronco" de North American Rockwell, aujourd'hui produit et supporté par Boeing Défense

Le CAS (close-air support)

Le support des forces terrestres en cas de guerre est presque aussi vieux que l'aérostat lui-même. Dès 1893, l'armée révolutionnaire française fonde une compagnie d'aérostiers, qui utiliseront leurs ballons captifs pour observer l'ennemi, permettant le repérage au profit de l'artillerie et relevant les mouvements de troupes ennemies.

L'évolution des télécommunications permet, à l'ouverture de la première guerre mondiale, aux aérostiers d'emporter des téléphones de campagne, et d'effectuer leurs travaux en synchronisation avec les troupes au sol, au lieu de devoir user de signaux visuels ou du largage de messages.

Très vite, l'avion devient une nouvelle source de renseignement et d'appui. S'il ne permet pas de rester aussi longtemps dans les airs, l'avion peut cependant faire de la surveillance en profondeur, et du bombardement.

L'évolution de la précision des armes et des radios permet, petit à petit, de rapprocher les bombardements de la ligne de front, et de soutenir de plus en plus près les troupes au sol.

Suite à l'expérience Indochinoise, l'armée française pose les bases de ce qui deviendra connu sous le nom de "close air support" (CAS), l'appui des forces au contact.

Pour ce faire, l'Armée de l'Air, la Marine et l'Armée de Terre s'appuient sur plusieurs nouvelles technologies, parfois développées de façon ad hoc. 

La première est la création d'hélicoptères d'attaque. Le principe de base est simple : les hélicoptères de transport sont équipés de mitrailleuses, canons ou lance-roquettes, et permettent l'appui-feu des posers opérationnels en rase campagne.

Sikorsky H34 de la marine française, équipé de deux canons de 20mm MG151/20 pour l'appui-feu

La seconde est l'apparition des armes guidées, tirées par avions ou hélicoptères. A l'origine filoguidées, elles permettent, depuis une altitude mettant les appareils à l'abri des tirs venant du sol, de frapper les troupes ennemies de façon précise, avec un risque réduit de toucher les troupes amies.

La troisième est la création d'un nouveau type d'appareil, conçu pour effectuer à la fois la reconnaissance, l'observation d'artillerie et le CAS. Ces appareils, souvent basés sur des appareils d’entraînement (dont le plus iconique est le T-6 jaune en Algérie), sont souvent biplaces (pilote et observateur) et relativement lents, ce qui leur permet de viser les troupes ennemies de façon stable, au plus près de la zone de contact.

North American T-6 français en Algérie, équipé de pods canons et roquettes pour le support des troupes au sol

Ces outils sont utilisés soit en escorte, soit en maraude, où ils sont maintenus en vol pour intervenir en cas de contact entre les troupes amies et l'ennemi.

Si les outils du CAS ne permettent pas le même volume de feu que l'artillerie à tubes, ils ont pour avantage une souplesse d'utilisation et une rapidité de mise en œuvre, même dans des terrains non repérés à l'avance, dont il devient difficile de se passer.

Le principe du CAS sera développé petit à petit, entre autres par les Américains au Vietnam, avec la création d'hélicoptères d'attaque dédiés au combat, et d'avions conçus autour de l'observation et de l'attaque au sol, qui permettront une plus grande efficacité par rapport aux hélicoptères et avions modifiés pour le rôle. Même si les hélicoptères de transport armés (souvent appelés "gunship") restent d'actualité jusqu'à nos jours.

Hélicoptère Mil Mi-17-1V gunship, permettant à la fois le transport de troupes et l'appui-feu

 

Avec l'apparition des armes guidées par télévision, laser et GPS, le CAS s'est peu à peu éloigné des avions à hélice, et aujourd'hui, avec l'aide de personnels spécialement formés présents au sol appelés JTAC (Joint Terminal Attack Controller), qui fournissent les informations nécessaires en direct via modules de désignation laser ou GPS, les opérations de support au contact sont en général réalisées par des appareils volant à haute altitude (B-1, B-52) ou des jets de chasse (Mirage 2000D, Rafale, F-16...), qui n'ont plus besoin de voler à basse vitesse et basse altitude pour s'assurer de ne pas frapper des troupes amies.

Le problème du CAS par les pays fortement industrialisés

Mig-21 Bis Malien en 2012

 

Le problème de l'utilisation du CAS dans les opérations combinées avec les pays pauvres et émergents se pose malheureusement depuis des années. La chute accélérée de Saïgon en 1975 sera en partie expliquée par l'état-major du Sud-Vietnam comme due au retrait du support aérien américain : les sud-vietnamiens sont entraînés de 1965 à 1974 aux opérations combinées, avec un appui d'artillerie, des hélicoptères pour les mouvements rapides et des avions d'attaque prêts à intervenir contre les troupes ennemies qui s'aventureraient à découvert. Le retrait des avions américains permet soudain aux nord-vietnamiens d'opérer à découvert de jour, et les sud-vietnamiens perdent une composante importante de leurs dispositifs interarmes.

Et ce schéma se reproduit à chaque fois qu'un pays fortement industrialisé fournit une aide technique et matérielle : la France au Tchad contre l'armée Libyenne, l'URSS en Afghanistan, puis les États-Unis en Afghanistan...

La maîtrise des airs permet de créer un dôme de protection pour les troupes alliées, ou parfois même des forces neutres : les interdictions de survol décrétées au-dessus de l'Irak après 1991 et en ex-Yougoslavie empêchent l'utilisation de forces aériennes pour la répression des indépendances, ou simplement le bombardement des civils depuis les airs.

Cependant, comme nous le voyons actuellement en Ukraine, la maîtrise de l'air est complexe, et nécessite des ressources que beaucoup de pays n'ont pas. L'exemple le plus criant est la contre-performance actuelle des russes, qui pouvaient se permettre tout et n'importe quoi en Syrie (y compris des manœuvres stupides), où les forces de la coalition ne vont pas les intercepter. Mais, en Ukraine, où les défenses aériennes sont denses, et suppléées par une force aérienne opérationnelle, les forces aériennes russes (VKS) ont peiné à avoir la maîtrise de l'air lors de leur attaque surprise du 24 février 2022. Et, ayant étés incapables d'éliminer les forces de défense aériennes et anti-aériennes ukrainiennes, les forces russes se retrouvent depuis face à un ciel contesté, où ils ne peuvent engager d'appareils à haute altitude, et peuvent difficilement les risquer, même à basse altitude, au-delà de la ligne de front.

L'engagement en pointillés des VKS dans le ciel ukrainien montre, en outre, que la gestion des forces aériennes sur le champ de bataille est complexe, et demande d'avoir des pilotes, opérateurs radar et radios bien formés.


Le problème de la force aérienne pour les pays émergents

Si la Russie, avec ses appareils relativement modernes et son armée professionnelle, est incapable d'y arriver, quelles sont les chances des pays émergents ?

Le premier problème qui se pose est celui de la flotte aérienne. Les pays émergents, en Afrique notamment, sont souvent équipés de matériels hérités de la guerre froide, quand les blocs leur offraient du matériel au nom de la grande Lutte. Ces matériels, parfois (souvent) pilotés et maintenus en état par le pays qui les mettait à disposition, ne sont souvent pas adaptés à la situation locale.

Pour exemple, les forces aériennes du Mali ont été équipées de chasseurs Mig-21, offerts par l'URSS, au nombre de 14 appareils. Après le retrait soviétique en 1991, les appareils se sont petit à petit dégradés, pour arrêter de voler en 2012.

Malgré la présence dans l'armée malienne d'hélicoptères Mi-24 et Mi-35, tous les vols de soutien de Serval et Barkhane contre les forces jihadistes ont étés opérés par des hélicoptères et des avions de l'armée française.

Depuis le retrait de la force Barkhane et de ses appareils, les troupes de JNIM et AQMI, qui ne se déplaçaient plus en nombre, se permettent de nouveau de sortir au grand jour.


 
Troupes de JNIM se déplaçant à découvert au Burkina Faso

Si certains affirmeront que les maliens ont fait leurs choix, en préférant l'alliance avec la Russie à celle avec la France, cela reste symptomatique d'un problème de méthodologie pour les pays aidant...

Et la France répète déjà le même schéma avec les voisins du Mali, en y postant des troupes et des moyens de support aériens.


Négatif pour eux, négatif pour nous

Le problème de la méthodologie actuelle est qu'elle repose sur une idée absurde, celle qu'il ne faudra rester que jusqu'à la fin du conflit, avant de rentrer chez nous. 

Cependant, les exemples afghans et maliens (et au Vietnam, dans une autre mesure) nous ont montré une chose : dans ce type de conflit protéiforme, les accords n'ont que peu de valeur, et les conflits ethniques larvés (avec la couche de peinture religieuse appliquée par-dessus) ne peuvent avoir qu'une fin politique.

Les pays de l'Ouest global ne voulant habituellement plus se mouiller dans la politique interne des pays, pour des raisons diverses (exemple américain en Irak et Afghanistan, peur d'être accusés de colonialisme...), les interventions sont donc à rallonge, durant une ou deux décennies (9 années pour l'opération Barkhane).

Face à cette réalité, il est important de changer de méthode, et d'arrêter de faire combattre des pays pauvres comme s'ils étaient riches. Ce qui permettra de désengager progressivement la chasse au profit d'une solution locale.

Et, dans ce cadre, l'utilisation d'avions de chasse, d'hélicoptères et de satellites est à proscrire. Tout utile qu'ils soient, ces outils sont trop chers, en usage et en maintenance, pour les pays dont nous parlons ici.

Il est important de former les locaux sur des outils qui soient à leur niveau, pour qu'ils puissent les maintenir en état et les utiliser après le départ du pays riche. Il en va de leur indépendance par rapport à nos aides.

Et, accessoirement, de ne pas en confier la maintenance et le pilotage à des contractuels, dont la fiabilité n'est pas prouvée, et qui déresponsabilisent les armées locales.


L'OV-10 "Bronco" de Boeing, ex North American Rockwell : Outil de la conversion


Il fallait qu'il entre en scène à un moment donné, étant dans le titre de l'article.

L'outil aérien le plus adapté à cette métamorphose de la relation entre nos pays et les émergents que nous aidons dans leur lutte contre des forces rebelles est l'OV-10 Bronco.


Développé dans les années 1960 par deux ingénieux (l'ingénieur W.H. Beckett et le colonel des Marines K.P. Rice) ayant fait connaissance sur le site d'essais de China Lake, l'OV-10 a connu l'expérience du Vietnam, en tant qu'appareil de surveillance, de repérage d'artillerie et de support. Les OV-10D de l'USMC ont opéré en Irak en 1991 pendant Desert Storm, mais également en en 2013, aux mains du 160e SOAR (SOCOM) en Afghanistan, et en 2015, lors de tests grandeur nature contre les forces de Daesh en Syrie et Irak.

L'appareil est donc toujours parfaitement adapté à la fonction dont nous parlons ici, opérer comme soutien multirôle contre des forces irrégulières, de jour comme de nuit.


Techniquement, l'OV-10 est un appareil relativement simple, qui utilise un train tricycle à bras tirés, équipée de pneus larges, lui permettant de faire usage de pistes de fortune. L'appareil est conçu pour décoller de pistes très courtes (226 mètres en charge, atterrissage sur 226 mètres à vide et 381 mètres à pleine charge). Cette capacité de décollage et poser sur courte distance lui permettait d'être opéré par l'US Navy et l'US Air Force depuis des porte-avions, alors que l'appareil n'est pas équipé pour le lancement via catapulte ou l’appontage.

OV-10A opérant depuis un porte-avions au Vietnam


La motorisation est  composée de deux turbopropulseurs Honeywell TPE331 civils. L'accès aux baies est simplifiée au maximum, pour permettre l'entretien sur des terrain mal équipés. La conception générale de l'appareil est pensée pour permettre un entretien courant n'utilisant qu'une trousse à outils de type automobile. Les turbopropulseurs sont eux-mêmes toujours distribués par Honeywell pour des usages civils, permettant un accès facile aux pièces de rechange.

Nacelle moteur d'OV-10A, montrant l'accès au Garett T76 (aujourd'hui Honeywell TPE331)

Voilà donc pour la facilité d'entretien et d'opération de l'OV-10 dans des pays possédant une infrastructure limitée. Mais pour les besoins de la mission ?

Verrière galbée d'un OV-10D+ (identifiable aux hélices quadripales)

 

L'OV-10 est un appareil tout-temps biplace (pilote et observateur), équipé d'un cockpit-bulle permettant une très grande visibilité.

L'OV-10A, avec les moteurs T76 originaux des années 60 et des réservoirs supplémentaires, est capable de voler 5h30 sans ravitaillement, permettant les escortes longues et les maraudes.

L'appareil est également capable d'emporter diverses armes, comme des bombes et roquettes non guidées sur 7 pylônes (2 sous les ailes et 5 sous la cellule). 

L'OV-10X "Super Bronco", proposé par Boeing lors du programme Light Attack/Armed Reconnaissance (LAAR), était quand à lui capable d'utiliser des munitions guidées (AIM-9 Sidewinder et AIM-114 Hellfire). 

L'OV-10G+, testé lors du programme Combat Dragon II en 2013, était quand à lui capable de tirer l'APKWS II, une munition guidée par laser basée sur la roquette Zuni FFAR.

Les OV-10D, D+, D+ et X sont par ailleurs équipés Link-16, ce qui permet son intégration dans le système d'appui feu interarmées, et donc une totale interopérabilité avec les armées de l'OTAN dans le cadre des opérations communes.

Fiche Boeing du Super Bronco

Le dernier argument en faveur de l'OV-10 est sa disponibilité : l'US Army et l'US Navy ont redéployé des cellules remises à niveau en 2015 pour tests. Des appareils sont en service continu avec le California Department of Forestry and Fire Protection pour la surveillance des feux de forêts, et l'entreprise privée Blue Air Training, située à côté de Las Vegas, opère 7 appareils pour la formation JTAC embarquée, pour le compte de l'US Air Force.

OV-10A de surveillance des feux de forêts en Californie

Mais, plus important que cela, Boeing semble ouvert à la relance de la production de l'appareil, qu'ils ont hérité de leur rachat de North American Rockwell en 1996. Une version modifiée de l'appareil, qui garde la mécanique d'origine en modernisant le cockpit et en ajoutant la capacité d'utiliser des armes guidées modernes (JDAM, Paveway, Hellfire...), a été proposée lors du programme LAAR, lancé en 2009 mais annulé en 2020.


OV-10A modifié par la NASA pour la surveillance de site et les relevés environnementaux.


Un appareil de ce type, simple et efficace, combiné à une formation de JTACs et de mécaniciens locaux, permettrait aux forces occidentales de concevoir la remise de leur défense nationale aux pays alliés, y compris ceux limités par leurs infrastructures et la profondeur de leur bourse.

 

Permettant de désengager notre présence, et de garantir l'indépendance des pays concernés.

Et de relancer la gamme petits appareils de Boeing, qui en a bien besoin en ce moment.


Combiné à une force de drones légers, lancés par catapulte ou à la main, l'OV-10 peut être l'outil de l'indépendance de nos alliés moins fortunés.

dimanche 26 mars 2023

Fulda, Ukraine et les contre-performances russes.

Le saillant de Fulda (ou Fulda Gap en anglais), un nom lourd de sens pour ceux qui ont étudié (ou vécu) la Guerre Froide.

Dans un monde où les forces du Pacte de Varsovie s'apprêtaient, à tout moment, à nous envahir, les axes de pénétrations restaient malgré tout peu nombreux. La conflagration devant (forcément) s'effectuer en Europe, et non à la frontière commune URSS/États-Unis entre la Sibérie et l'Alaska, les forces de l'Est devraient projeter leurs chars de bataille pour avancer jusqu'aux Pyrénées (plan des "7 jours" de 1979).

D'après les études de l'OTAN, les chars soviétiques, Polonais, Tchécoslovaques et Hongrois avanceraient à travers l'Allemagne.

 

Topographie de la région de Fulda

Un passage plus au sud, par le Nord de l'Italie étant trop compliqué : le seul axe de progression passerait par l'Autriche (la Yougoslavie étant "non alignée", passer ses frontières pour accéder à la côte était exclus). La frontière Austro-Italienne est cependant constituée de hautes montagnes difficiles à traverser, comme en témoignent les âpres combats entre Austro-Hongrois et Italiens lors de la première guerre mondiale. Les forces de Varsovie auraient ensuite à passer une seconde frontière montagneuse, la frontière Franco-Italienne.

Des trois axes de pénétration en Allemagne (Au nord le long de la côte, au centre à Fulda, au sud via l'Autriche), l'OTAN choisit comme point de défense principal la vallée s'ouvrant sur Fulda, car sa capture permet une progression rapide jusqu'à Francfort, puis le Rhin, dans des plaines facilement praticables par les forces mécanisées soviétiques.

La stratégie de l'OTAN est relativement simple : avoir assez d'unités américaines et de chars de la Bundeswehr pour stopper les russes, le temps que les Etats-Unis puisse déployer plus d'unités en renfort, et que les troupes blindées françaises (les plus proches qui ne seraient pas déjà engagées dans les combats) arrivent de Strasbourg.

Dans cette optique de défense de Fulda, la vaste majorité des matériels occidentaux ont étés conçus pour le combat contre des divisions blindées en plaine : les avions d'attaque tels que l'A-10, les hélicoptères d'attaque permettant le tir off-boresight (tir en "cloche" de missiles guidés à l'aide de mats de rotor), et une concentration sur la distance de tir pour les chars d'assaut et toutes les armes anti-char, permettant de monter des embuscades contre les forces soviétiques, et de les engager sans que les chars russes soient à portée des forces alliées.

Hélicoptère Tigre allemand, équipé d'un pod de guidage sur mat pour le tir à couvert "off-boresight"

Une fois les forces françaises, américaines et anglaises rassemblées sur place, l'OTAN lancerait une grande contre-offensive au niveau de Fulda, repoussant les forces du Pacte jusqu'au rideau de fer, et, théoriquement, jusqu'à Moscou.

  • Pourquoi Fulda peut être importante pour l'Ukraine.

A l'heure où ces lignes sont écrites, l'Ukraine se trouve à un moment pivot face aux Russes : ils ont stoppé la progression de ces derniers, ont repris du terrain grâce à des contre-offensives en septembre-octobre, et ont stabilisé le front (les offensives de l'hiver 2022-2023 se sont soldés par des échecs côté Russe).

A ce stade, le front du secteur sud s'ouvre sur une plaine allant de Kherson à Marioupol, et descendant jusqu'au centre de la Crimée.

Topologie de l'Ukraine. Le front sud, au 26/03/2023, va de Kherson à Zaporozhye.

Les livraisons de matériel au standard OTAN, jusqu'à présent plutôt limitée à du matériel de défense (postes LRAC guidés, systèmes anti-aériens), commence à comprendre des systèmes plus offensifs : l'armée ukrainienne reçoit des chars Leopard 2, des bombes et missiles guidés (JDAM, AGM-88), transports de troupes (VAB, Bradley...), auto-mitrailleuses (AMX-10RC).

Tous ces matériels, si leur âge est avancé pour certains, ont étés conçus dans un but précis, contre-attaquer contre les forces russes (soviétiques) dans les plaines allemandes.

  • La force d'opposition russe

De son côté, si l'armée Russe était impressionnante en 1985, ou en 2021, ses forces se sont amenuisées en compétence et en matériel depuis le début de la guerre, en février dernier.

Suite aux pertes conséquentes depuis février 2022 (au moins 1894 chars détruits, 2240 véhicules de combat d'infanterie, 300 véhicules du génie perdus...), les chars et transports de troupe modernisés laissent de plus en plus la place à des versions anciennes, datant des années 70 (T-72A et T-80B), voire pire. Nous avons déjà fait un point sur l'usage par les russes du vénérable T-62 - dont plusieurs unités ont été détruites lors de l'offensive russe sur Vulhedar début 2023. Mais les dernières informations tendent à pointer vers la sortie de cocon de chars modèle T-54.

 

Si les usines russes continuent manifestement à livrer des chars T-90 et T-72 aux forces armées russes, les pertes sont trop élevées pour qu'elles arrivent, pour le moment, à les compenser. Avec l'arrivée du printemps, l'Ukraine, si elle perçoit assez de matériel de la part de ses alliés, pourrait monter une nouvelle offensive dans les plaines du sud, en appliquant, à son échelle, les stratégies développées par l'Ouest pour le combat à Fulda, et qui ont ensuite permis d'écraser, en un mois de 1991, l'armée Irakienne.

Permettant à tout ce matériel, conçu pour détruire l'armée Russe, de réaliser son "destin".

samedi 25 mars 2023

Mirage 2000 en Ukraine

Disclaimer : Ce sujet a été publié pour la première fois sous forme de fil Twitter le 28 janvier 2023.
Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et force des décisions éditoriales.
 
 
Mirage 2000C de l'Armée de l'Air française

 
Suite à un article du journal anglais Telegraph sur le sujet, les médias (et le gens en général) s'intéressent beaucoup, ces derniers temps, au Mirage 2000 et à la possibilité d'en livrer aux forces aériennes Ukrainiennes, dans le but de remplacer leurs appareils aux standards soviétiques par des appareils aux standards OTAN.

Certains, cependant, avancent que le Mirage 2000 est un appareil "dépassé", voire obsolète.
Pourquoi ?
Car il a été développé dans les années 1970 (comme remplaçant du Mirage III), et mis en service dans les années 1980. Ce qui le rendrait vieux et dépassé.

Ne nous mentons pas, le Mirage 2000, en tant qu'appareil de 4e génération, est relativement vieux lorsque l'on regarde sa mise en service.

Est-ce pour autant grave ?
Pas vraiment, pour plusieurs raisons dont nous allons parler maintenant.
 
Mirage 2000-5

 

  • Raison 1 : Le Mirage est dans la moyenne des plateformes toujours en utilisation.

Le Mirage 2000 n'est pas le seul appareil développé dans les années 70 à toujours être utilisé dans des missions d'interception et d'attaque au sol, loin, très loin, de là.

S'il est déployé en Ukraine, il se retrouvera face aux appareils des VKS, les forces aériennes russes.

Sukhoi Su-27M de l'armée de l'air russe (VKS)


Le cheval de bataille de l'armée de l'air russe, comme nous l'avons déjà vu précédemment, est un mélange de Sukhoi 27, 30 et 35, déployés au-dessus du ciel Ukrainien et de la mer noire, alors que la marine russe déploie le Su-33.
Si les chiffres s'incrémentent, la base de départ reste la cellule du Su-27, qui a fait son premier vol en 1977 et a été modifiée par les assembleurs de Sukhoi dans un but de modernisation.

Les forces russes utilisent également des Mig-31 basés en Crimée, qu'ils utilisent comme intercepteurs moyenne et longue distance (pour éviter de les mettre à portée des défenses anti-aériennes Ukrainiennes).

Mig-31 Russe

Le Mig-31, pour sa part, a volé pour la première fois en 1975.

Du côté des forces de l'OTAN, l'histoire est un peu la même.

Panavia Tornado anglais

Beaucoup de forces européennes déploient toujours le Tornado, un très bon appareil multirôle à géométrie variable, qui devrait disparaître au profit du F-35.
Le Tornado a volé pour la première fois en 1974.

F-15 Eagle

Le F-15 américain, sensé être remplacé par le F-22, ne le sera probablement pas. Sensé être retiré du service en 2010, les diverses versions du F-15 ne devraient pas disparaître des airs avant 2030 au plus tôt.
Premier vol en 1972, pour une entrée en service en 1976.

YF-16 et YF-17 en essais en vol, 1974

Le F-16, proposé également comme appareil multirôle à livrer à l'Ukraine, effectue son premier vol en 1974, et est à l'origine en concurrence avec le YF-17, qui sera redéveloppé pour l'US Navy en tant que F/A-18 Hornet.
La Finlande, en cours de rééquipement sur F-35, débat actuellement la livraison de ses F/A-18 à l'Ukraine.
Les américains ont redéveloppé le F/A-18 C en "Super Hornet" (version plus grosse et plus puissante) en 1995, et le F/A-18E/F reste en service dans l'US Navy aux États-Unis.

En bref : la vaste majorité des armées considérées modernes dans le monde, Russie comprise, utilise des appareils développés à l'origine dans les années 1970.
Est-ce qu'ils sont tous obsolètes pour autant ?

La réponse est non. Car un avion de chasse, ça coûte très, très cher. C'est donc un investissement à long terme, qui est remis à jour régulièrement.
Ces appareils ont donc étés modernisés au cours des années.

  • Raison 2 : La modernisation du Mirage 2000

Bien entendu, le Mirage 2000 n'est pas en reste. Il a été modernisé au fur et à mesure de son service, et la chaîne de production n'a été fermée qu'en 2007, avec la production du dernier Mirage 2000-5 Mk2 à destination de la Grèce.

Mirage 2000-5 Grec
 
La fin de la production n'a pas pour autant stoppé les programmes de rétrofit.
En 2019, l'armée de l'air indienne demandait même l'intégration du missile air-air longue portée Meteor de MBDA sur leurs Mirage 2000-5, pour leur permettre d'avoir un missile BVR (Beyond Visual Range) commun entre le Mirage 2000 et leurs nouveaux Rafale. Cela leur aurait permis d'arrêter d'acheter des missiles MICA-ER pour le seul Mirage.

Missile MBDA Meteor, d'une portée de 200km, avec une no escape zone de 60km.

L'intégration du Meteor ne s'est pas faite, pour des questions bassement pécuniaires. Mais cela montre que le Mirage 2000 est toujours en évolution.

Le fait est que, tout appareil de 4e génération qu'il est, le Mirage 2000 a intégré les technologies développées depuis son entrée en service en 1984, et le Mirage 2000-5 est un intercepteur performant, capable de combat aérien moyenne et courte portée.

Mirage 2000 en configuration d'interception longue distance

  • Raison 3 : l'intégration OTAN
 
Au-delà des technologies inhérentes au Mirage 2000 lui-même, l'appareil offre également un autre avantage : il est complètement intégré dans le système aérien de l'OTAN.
Le Mirage 2000 peut être ravitaillé en vol par les KC-135 et A330MRTT des forces aériennes de l'OTAN.

Le Mirage 2000 est également équipé de systèmes compatibles avec le Link-16.
Peu connu du grand public, le système "Link" est un protocole de communication data, qui permet aux matériels compatibles d'échanger des informations entre eux, en continu, pour s'intégrer dans un champ de bataille virtuel complet.
Le Link-16 permet, entre autres, la communication entre les avions de chasse, les défenses aériennes et les systèmes de radar, au sol comme en vol.

 
Cette communication d'informations en Link-16 permet également le partage d'informations de ciblage. Un Mirage 2000-5 peut ouvrir le feu, avec un missile MICA-ER, sur une cible qu'il n'illumine pas lui-même. Sa cible peut être illuminée par un radar au sol, ou un appareil de surveillance de type AWACS E-3.

Cela signifie qu'un Mirage 2000-5 peut effectuer des tirs "par dessus l'épaule" (sur un appareil se trouvant derrière lui), ou intercepter des cibles qui lui sont invisibles, servant simplement d'avion lanceur au profit d'un radar longue portée ayant identifié des cibles à longue-distance. Permettant par exemple de faire le tri entre un bombardier Tu-95 en phase de tir d'un missile de croisière, et les appareils civils présents dans la même zone.

Mirage 2000D équipé de bombes à guidage laser

Et nous nous sommes limités ici à l'étude des appareils de chasse et d'interception. Le Mirage 2000D biplace et les variantes 2000-5 Mk2 et 2000-9 monoplaces utilisés par la Grèce et les Émirats Arabes Unis possèdent une capacité d'attaque au sol leur permettant l'utilisation du MM39 Exocet anti-navires, du missile de croisière SCALP, ainsi que de tout le panel des bombes guidées ou non, comme les GBU laser et les JDAM à guidage GPS.

  • Pour finir

En résumé, le Mirage 2000 est un appareil multirôle parfaitement capable d'être déployé en Ukraine, sans craindre les appareils de la chasse russe.
Ou même les capacités anti-aériennes déployées par Moscou, grâce à des armes d'engagement à distance lui permettant de se tenir loin de celles-ci.

La version 2000-5, en particulier, permet une intégration dans un système de défense au standard OTAN qui n'est aujourd'hui pas possible avec les Sukhois et Migs déployés par les forces armées ukrainiennes.

Ceux qui le déclarent complètement dépassé n'y connaissent pas grand-chose.


Petites précisions suite aux dernières annonces durant le mois de mars : le déploiement des Mirage 2000C retirés du service en 2022 n'est à priori pas d'actualité, car les moteurs M53 montés sur ceux-ci sont supposés être utilisés sur les Mirage 2000-5 toujours en service sur la base aérienne 116 de Luxeuil. Cependant, certaines rumeurs font état d'appareils disponibles en Grèce et dans les pays du Golfe (EAU et Qatar).

Certains médias ont fait état de formations en cours pour les Ukrainiens à Mont-de-Marsan (BA118) et Nancy (BA133). Si la formation sur Mirage à Mont-de-Marsan est improbable - la BA118 sert plus de base de démonstration pour les délégations étrangères, et n'accueille pas de Mirages en temps normal - une formation de pilotes à Nancy pointerai vers une formation à l'attaque au sol, Nancy-Ochey étant équipée de Mirage 2000D.

samedi 18 mars 2023

MQ-9 vs Su-27 sur la mer noire

Suite à l'interception d'un MQ-9 "Reaper" américain au-dessus de la mer noire par l'aviation russe du 14 mars 2023, un petit papier "à chaud", ou presque.


  • L'incident

Le 14 mars 2023, lors d'un vol dans l'espace aérien international au-dessus de la mer noire, l'US Air Force déclare avoir perdu un drone MQ-9 "Reaper", présent sur zone pour surveiller le secteur dans le cadre de la protection des frontières de l'OTAN dans la région. L'US Air Force annonce également que le drone a été percuté par un chasseur russe Su-27 lors de manœuvres considérées dangereuses et non professionnelles.

Carte de la mer noire. Roumanie, Bulgarie et Turquie sont des membres de l'OTAN.

La Russie reconnaît qu'un drone américain est tombé dans la mer noire alors que des Sukois l'interceptaient, mais annonce, pour sa part, que les pilotes russes n'ont fait aucune manœuvre contre l'appareil, et qu'il est simplement tombé de lui-même.

Le lendemain, le DoD américain déclasse la vidéo de l'incident, enregistrée par le drone de surveillance, qui fait rapidement le tour du monde :

Faisons donc un tour de l'incident.

  • Le General Atomics MQ-9 "Reaper"

Drone MQ-9 Reaper de General Atomics. Le MQ-9 est destiné à la surveillance armée et à l'attaque au sol/appui-feu.
 

Le MQ-9 est fabriqué par la firme américaine General Atomics Aeronautical Systems, Inc., basée en Californie et issue du pétrolier Gulf Oil, dans les années 60. A l'origine créée pour gérer le développement de réacteurs nucléaires par Gulf, General Atomics crée une branche aviation et drones au début des années 90.

En 1995, General Atomics livre les premiers drones de surveillance RQ-1 (R pour Reconnaissance, Q pour sans pilote).

MQ-1 Pretador en configuration appui-feu

Le RQ-1 est rapidement modifié pour emporter des moyens d'attaque au sol (missiles guidés Hellfire...), et prend en 2002 la désignation officielle MQ-1 (M pour multirôles), et est surnommé "Predator" (prédateur).

Très rapidement, General Atomics travaille sur un "Predator-B". Cette nouvelle version remplace le moteur Rotax à pistons par un turbopropulseur, gagne en tonnage (et donc en voilure et en emport), et aboutit sur le MQ-9, surnommé "Reaper" (la faucheuse).

Le MQ-9 entre en service en 2007, et est utilisé par les Etats-Unis, mais également un grand nombre de forces aériennes de l'OTAN, dont l'Armée de l'Air et de l'Espace française.

Le MQ-9 est un drone de surveillance et d'appui-feu d'environ 2,5 tonnes, capable de rester 14h en vol à une vitesse de croisière de 300 km/h, et piloté depuis une base (souvent loin du front) via satellite.

Comme on peut le voir sur la vidéo de l'incident, le MQ-9 intercepté n'est pas armé, et donc purement en mission de surveillance.

  • Le Sukhoi Su-27

Sukhoi-27 Russe

 Le Sukhoi Su-27 est un chasseur monoplace multirôle, développé dans les années 70 et 80, et qui sert de principal cheval de bataille aux forces aériennes russes depuis la consolidation du bureau d'études et des capacité de productions de Mikoyan (anciennement MiG) et Yakovlev dans le consortium d'état PJSC United Aircraft Corporation en 2006, qui a mené à un phagocytage complet de l'aviation Russe par Sukhoï.

(NDR: Avec la consolidation des capacités d'étude et de production russes, leurs avionneurs sont devenus souvent de simples assembleurs.)

Sukhoi produit aujourd'hui plusieurs modèles de chasseurs basés sur le Sukhoi-27 (Su-30, Su-33 navalisé, Su-35 et Su-34).

Le Sukhoi 27 est entre autres connu pour la manœuvre du Cobra, impressionnante visuellement mais complètement inutile (et fatigante pour la cellule) dans un monde où la majorité des engagements s'effectuent à distance, avec des missiles guidés.

Manœuvre du "Cobra", destinée à esquiver un ennemi en combat rapproché (dogfight)

Le Sukhoi-27 est un appareil multirôle et un intercepteur décent, mais l'entrée de son dérivé Su-35 dans divers tests dans les années 90 et 2000 (en Corée et au Brésil, entre autres) ont montré les limites de la plateforme face aux appareils au standard OTAN.

Le Su-27 et ses dérivés restent la colonne vertébrale de l'armée de l'air Russe, en attendant l'arrivée (annoncée depuis les années 90) du Su-57 de nouvelle génération.

  • Interrogations sur les manœuvres russes

La vidéo plus haut montre qu'avant l'impact, les chasseurs russes (au nombre de deux, d'après les sources officielles) ont commencé par pulvériser du kérosène sur le drone, avant qu'un pilote fasse une fausse manœuvre et le percute, mettant fin à l'interception avec la perte de propulsion et le crash du drone. Pour plus d'informations sur les raisons de l'impact, je vous renvoie à une vidéo sur la chaîne du pilote de chasse ATE, ex-Marine nationale :


Au-delà de l'impact, à priori imprévu et non voulu, la question des actions russes se posent.

Qu'essayaient-ils de faire en projetant du kérosène sur le drone ? La manœuvre est très risquée, le kérosène largué venant du réservoir principal des appareils (qui volent sans réservoir supplémentaires dans la vidéo). Les pilotes prennent donc le risque de ne pas pouvoir rentrer à la base en faisant ces manœuvres.

L'effet du kérosène sur le drone est également un gros point d'interrogation : le kérosène pulvérisé par un vide-vite se disperse et s'évapore, ne laissant qu'un film léger sur certaines surfaces. Il est donc peu probable que le dégazage gène les capacités de surveillance du drone. On peut d'ailleurs constater sur les vidéos que même en filmant directement le passage des avions russes, la caméra (qui est située sous le nez du MQ-9) ne semble pas impactée par les épandages répétés (au nombre de 12, d'après l'US Air Force).

Il est également peu probable que le kérosène déversé en vide-vite puisse avoir un effet sur la motorisation du drone : le MQ-9 utilisant un turbopropulseur, la saturation en kérosène de l'air aspiré nécessiterai d'être extrêmement élevée pour pouvoir stopper la turbine, qui repartirait probablement d'elle-même après quelques secondes, une fois le surplus évacué. Même le moteur à pistons turbocompressé Rotax du MQ-1 n'aurait fait que tourner très riche quelques instants, avant de repartir normalement.

Vue en coupe d'un turbopropulseur. Le kérosène aspiré ne ferait que ressortir par l'échappement après avoir traversé le moteur.

 

La question du but de la manœuvre reste donc entière, considérant les risques pris par les pilotes russes.

  • La réponse américaine, et pourquoi elle est parfaitement logique

La réponse américaine a été rapide sur le sujet : les pilotes russes sont des amateurs, et ce genre d'incident montre qu'il n'ont pas un niveau approprié pour les missions d'interception.

Les analystes internationaux ont également rapidement fait remonter le fait que les Russes utilisent ce type de méthodes de coercition lors d'interceptions en mer ou dans les airs, en zone internationale, avec une régularité qui fait froid dans le dos. Et qu'une recrudescence des vols très basse altitude en Syrie a lieu depuis le début du mois de mars.

En tout temps, les pilotes soviétiques et russes ont étés très agressifs envers les appareils et navires de ceux qu'ils perçoivent comme leurs ennemis, c'est à dire les pays Européens et les États-Unis. Et ce même si la qualité de la formation de leurs pilotes s'est visiblement dégradée depuis la chute de l'Empire Soviétique, et que les machines qu'ils utilisent vieillissent.

On pourrait faire le parallèle avec nos amis canins : il n'y a pas plus agressif, extérieurement, qu'un chien apeuré.

  • L'armée de l'air russe et les espaces aériens : faites comme je dis, pas comme je fais

De son côté, la Russie a appuyé sur une prétendue violation de l'espace aérien du champ de bataille ukrainien.

Même sans prendre en compte le fait que l'espace aérien autour de la Crimée n'est pas reconnu comme Russe, mais comme étant Ukrainien, par la communauté internationale (et donc que les Russes n'ont aucun droit à limiter qui peut s'y déplacer), la situation est cocasse lorsqu'on jette un œil aux violations d'espace aérien de ses voisins par la Russie. 

Outre les incidents intervenus cette semaine, la Russie a violé l'espace aérien suédois avec des appareils armés au mois de mars 2022 (après le début de leur invasion de l'Ukraine), et leurs violations répétées de l'espace aérien Turc en 2015 avaient mené à la destruction d'un bombardier Sukoi-24 Russe par la chasse turque.

  • En conclusion

La destruction du MQ-9 apparaît comme étant accidentelle, et due a une erreur de pilotage côté russe.

Cependant, l'interview du pilote soviétique ayant intercepté le vol Korean Air 007 au-dessus de Sakhaline en 1983, dans une interview donnée au journal russe Izvestia en 1991, précise que ses choix lors de l'interception étaient de tirer au canon, au missile, ou de percuter l'avion de ligne. Cette dernière information tendrait à montrer que l'impact volontaire avec un appareil intercepté était une tactique parfaitement normale pour les pilotes soviétiques, et potentiellement toujours d'actualité avec les pilotes russes en 2023.

Dans tous les cas, si la Russie prétend que tout s'est passé comme prévu, et offre une de ses fameuses médailles en fer-blanc au pilote qui a percuté le MQ-9, les américains de leur côté on opté pour le mépris, la désescalade, et le maintien des vols de reconnaissance sur la mer noir.


Il est donc probable qu'à moins d'une nouvelle action d'agression Russe sur un appareil piloté, les choses en resteront là. Les forces de l'OTAN dans leur ensemble, et les américains en particulier, ne voient pas leur intérêt à répondre aux pitreries des russes.

Et gardent un œil (armé) sur les frontières de l'Europe.

Rafale français en cours de ravitaillement / Photo US CENTCOM


dimanche 12 mars 2023

Guerre en Ukraine, la IIIe Guerre Mondiale à nos portes ?

 Disclaimer : Ce papier a été publié pour la première fois sous forme de fil Twitter le 17 octobre 2022. Les  éditions seront indiquées entre [crochets]. 
Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et force des décisions éditoriales.
 

[L'une des marottes des réseaux pro-Kremlin, et les idiots utiles répétant leurs points de vue, depuis le début du conflit en Ukraine,est de parler de l'avènement de la 3e Guerre Mondiale.]

Et, dans le tas, beaucoup de gens semblent ne pas savoir, ou ne pas comprendre, ce qu'est une "Guerre Mondiale".

 

Exemple de personne avec un auditoire public, qui ne comprend pas ce qu'est une Guerre Mondiale, ou ment au public de façon volontaire.

Beaucoup de gens présentent un affrontement entre le Pacte de Varsovie et l'OTAN en Europe dans les années 1980 comme étant une guerre mondiale. 

Dans le genre Tempête Rouge de Clancy. 

Red Storm Rising, ou Tempête Rouge en français, raconte un affrontement entre les Soviétiques et l'OTAN en Europe, sur fond de crise économique en URSS au milieu des années 80.
 

Et donc, dans cette logique, un affrontement entre la Russie et les forces d'un ou plusieurs pays de l'OTAN en Ukraine serait la IIIe Guerre Mondiale.

Seulement, une guerre mondiale, ce n'est pas une guerre où des gens viennent de la terre entière pour, poliment, se mettre sur la gueule.

C'est une guerre où les théâtres d'opérations s'étendent sur tous les continents, ou presque (l'Antarctique ne compte pas, étant une zone internationale sans population).

 

 

  • La Première Guerre Mondiale (1914-1918)

De par notre point de vue d'Européens, nous regardons la 1ère Guerre Mondiale comme étant purement Européenne. Cependant, si c'était le cas, ce serait juste une guerre Franco-Prussienne classique. La guerre de 1870 est-elle une guerre mondiale ? Non, pas plus que les campagnes Napoléoniennes, qui se sont pourtant étendues sur tout le continent Européen.



Cependant, en 1914, par le jeu des colonies, après la déclaration de guerre le conflit s'étend à l'Afrique, où les troupes coloniales allemandes, comme les Askari de Von Lettow-Vorbeck, tentent de garder le contrôle de l'empire colonial face à des troupes alliées supérieurs en nombre, équipement, et ayant accès à leur métropole pour le ravitaillement.

Troupes coloniales allemandes Askari, et leurs officiers impériaux Allemands, 1914

Les colonies sont également un argument de recrutement pour les alliés : les sud-africains et portugais se voient promettre des territoires contre leur aide en Europe, et à la fin du conflit les colonies allemandes seront distribuées entre les vainqueurs.

Troupes coloniales Anglaises en Afrique

L'est de l'Asie et l'Océanie seront, de même, emmenées dans la guerre, avec l'attaque et la capture des colonies et comptoirs allemands dans le Pacifique et en Chine. Les allemands tenteront de fomenter une révolte en Inde, sans succès. 

Troupes allemandes lors du siège de Tsingtao (Qingdao) par les troupes japonaises et anglaises

L'Asie sera également concernée par des batailles alliées contre les Ottomans (alliés des empires Allemand et Austro-Hongrois), et les révoltes arabes - motivées par les pays de l'Ouest - en Asie Mineure. L’Amérique du Sud, elle, ne sera concernée que par des batailles navales, le long de ses côtes. 

Donc 5 continents sur 6 sont concernés par les affrontements, et nous avons déjà dit que l'Antarctique ne compte pas. 

Mondiale, la guerre, comme disait Coluche. 

 

 

  • La Seconde Guerre Mondiale (1939-1945)

Concernant la seconde Guerre Mondiale, je vais faire plus rapide et plus simplifié, car tout le monde (ou presque) est conscient de sa dimension internationale, et inter-continentale : 

Expansion maximale des forces Allemandes (et leurs alliés) en novembre 1942.

 

- Allemands en Europe et Afrique du Nord 
- Japonais en Chine, quasiment jusqu'à l'Inde, qui descendent jusqu'à la mer de Corail, limite de l'Océanie.

L'Amérique, une fois de plus touchée principalement par les batailles navales, entre les raideurs allemands (sous-marins et navires de surface) et les marines alliées.

Expansion maximale japonaise, 1942

  • Le scénario Ukrainien

Maintenant que nous avons vu ce qu'est une Guerre Mondiale, nous pouvons étudier un scénario "Tempête Rouge" en Ukraine.

On a deux blocs : La Russie, avec des achats de matériels Iraniens et Nord-Coréens d'un côté, et l'Ukraine, aidée par ventes & dons de matériels OTAN de l'autre.

Carte de situation dans Tempête Rouge de Tom Clancy, avec un engagement direct entre les forces Soviétiques et de l'OTAN

Où se passent les combats ? 

En Ukraine, et quelques bombardements au-delà de la frontière Russe. 

Quels autres endroits ? Nulle part

Donc nous sommes dans une guerre se déroulant sur un terrain restreint en Europe. C'est tout.

[NDR : au 12/03/2023, les combats, hors quelques frappes sur des bases russes, ne sortent pas des frontières terrestres et maritimes de l'Ukraine telles que définies en 1991.]

Carte animée du front en Ukraine, de Février à Août 2022, montrant la sectorisation très limitée des combats
 

Mais, j'en entend dans le fond qui hurlent "oui, mais si l'OTAN s'en mêle sur le terrain ?"

Et je leur répondrai "Si l'OTAN s'en mêlait, et attaque la Russie, et qu'on appelle ça une 'Guerre Mondiale', alors il faudra faire des requalifications, et ça sera la 4e guerre mondiale, pas la 3e".

Pourquoi ? C'est simple :

 

 

  • La guerre où tout le monde est contre tous les autres de façon ouverte, mais pas mondiale

 

La Guerre de Corée, 1950-1953 (combats), 1950-présent (techniquement)

De 1950 à 1953 (techniquement jusqu'à aujourd'hui, la paix n'a jamais été signée) s'est déroulé un truc appelé la "Guerre de Corée". Une guerre symétrique (ou "near-peer" comme on dit de nos jours), avec d'un côté les Nord-Coréens, les Chinois et les Russes (oui, tous avec des troupes sur le front, pas juste de l'aide).

 De l'autre côté, les Sud-Coréens, et des troupes :
- Américaines
- Françaises
- Anglaises + Commonwealth
- Turques
- Thaïs
- Philippines
- etc...

On va passer les détails, mais en gros tout le monde est là, y compris des éthiopiens, des colombiens et des sud-africains.

 

Char d'assaut Centurion anglais en Corée, 1951.

Cet engagement largement international, en Corée de 1950 à 1953, est dû en grande partie a l'ONU et à sa résolution n° 83, du 27 juin 1950, recommandant une aide des états membres à la Corée du Sud.

Mais si les deux blocs s'affrontent de façon complètement ouverte (Les forces de l'ONU combattent sous leurs propres pavillons, les Chinois sous le leur, et les Soviétiques engagent leur armée de l'air de façon à peine voilée), le terrain des affrontement se limite à la péninsule Coréenne, les forces de l'ONU faisant même spécialement attention à ne pas franchir la frontière Chinoise en 1950, malgré la poussée véhémente de Douglas Mac Arthur.

La guerre de Corée serait donc la 3e "Guerre Mondiale", si l'on considère que c'est une question de représentativité, et non de champs de batailles.

Hors la Guerre de Corée, jusqu'à aujourd'hui, reste la guerre de Corée. Pas la 3e Guerre Mondiale. Ou même la 2,5e Guerre Mondiale.

Les gens qui soutiennent que la guerre en Ukraine va mener à la 3e GM et que l'on devrait laisser les Russes gagner, probablement.

  • En conclusion, non, la 3e Guerre Mondiale n'est pas pour demain

Du coup, guerre en Ukraine qui tournerait à la guerre mondiale? 

Oui mais non. 

Même si les russes déploient des Coréens ou des Iraniens sur le front... 

Même si l'OTAN décidait d'attaquer la Russie... 

Parce que les forces de l'OTAN sont en Europe, et n'ont pas besoin d'en sortir : Moscou est à quelques heures des pays baltes en AMX-10RC.

Trajet entre Terehova, à la frontière Lettone, et la Place Rouge à Moscou. Pas besoin de sortir de l'Europe continentale !

Pour avoir une guerre mondiale, il faudrait que les Russes attaquent le Japon et les États-Unis sur leur sol, et l'armée française en Afrique.
Et même s'ils étaient assez idiots pour le tenter, au jour d'aujourd'hui, ils n'auraient pas les capacités pour.
A part en envoyant 3 clampins en scooter...

Et donc, maintenant, vous savez pourquoi les gens qui crient à la Guerre Mondiale vous racontent des bêtises.

A  bientôt pour de nouvelles aventures.