mardi 25 juillet 2023

Développement des forces aériennes locales à coût réduit : Le retour du Boeing OV-10 Bronco

Depuis le retrait de la force Barkhane du Mali, comme souvent avec le départ d'une force occidentale, le pays en question se retrouve privé d'un multiplicateur de force majeur, celui de la frappe aérienne.

Le problème reste le même depuis la fin de la seconde guerre mondiale : le développement de l'aviation d'attaque, et plus précisément des voitures fixes et tournantes destinées au support des troupes au sol est un élément majeur de la façon de fonctionner des armées occidentales, surtout dans le cadre des opérations contre-insurrectionnelles, qui sont devenues communes dans le cadre du conflit contre les milices djihadistes depuis la fin des années 90.

Mais leur utilisation comme pivot de fonctionnement se fait durement ressentir dès que la force aérienne n'est plus disponible.

OV-10G "Bronco" de North American Rockwell, aujourd'hui produit et supporté par Boeing Défense

Le CAS (close-air support)

Le support des forces terrestres en cas de guerre est presque aussi vieux que l'aérostat lui-même. Dès 1893, l'armée révolutionnaire française fonde une compagnie d'aérostiers, qui utiliseront leurs ballons captifs pour observer l'ennemi, permettant le repérage au profit de l'artillerie et relevant les mouvements de troupes ennemies.

L'évolution des télécommunications permet, à l'ouverture de la première guerre mondiale, aux aérostiers d'emporter des téléphones de campagne, et d'effectuer leurs travaux en synchronisation avec les troupes au sol, au lieu de devoir user de signaux visuels ou du largage de messages.

Très vite, l'avion devient une nouvelle source de renseignement et d'appui. S'il ne permet pas de rester aussi longtemps dans les airs, l'avion peut cependant faire de la surveillance en profondeur, et du bombardement.

L'évolution de la précision des armes et des radios permet, petit à petit, de rapprocher les bombardements de la ligne de front, et de soutenir de plus en plus près les troupes au sol.

Suite à l'expérience Indochinoise, l'armée française pose les bases de ce qui deviendra connu sous le nom de "close air support" (CAS), l'appui des forces au contact.

Pour ce faire, l'Armée de l'Air, la Marine et l'Armée de Terre s'appuient sur plusieurs nouvelles technologies, parfois développées de façon ad hoc. 

La première est la création d'hélicoptères d'attaque. Le principe de base est simple : les hélicoptères de transport sont équipés de mitrailleuses, canons ou lance-roquettes, et permettent l'appui-feu des posers opérationnels en rase campagne.

Sikorsky H34 de la marine française, équipé de deux canons de 20mm MG151/20 pour l'appui-feu

La seconde est l'apparition des armes guidées, tirées par avions ou hélicoptères. A l'origine filoguidées, elles permettent, depuis une altitude mettant les appareils à l'abri des tirs venant du sol, de frapper les troupes ennemies de façon précise, avec un risque réduit de toucher les troupes amies.

La troisième est la création d'un nouveau type d'appareil, conçu pour effectuer à la fois la reconnaissance, l'observation d'artillerie et le CAS. Ces appareils, souvent basés sur des appareils d’entraînement (dont le plus iconique est le T-6 jaune en Algérie), sont souvent biplaces (pilote et observateur) et relativement lents, ce qui leur permet de viser les troupes ennemies de façon stable, au plus près de la zone de contact.

North American T-6 français en Algérie, équipé de pods canons et roquettes pour le support des troupes au sol

Ces outils sont utilisés soit en escorte, soit en maraude, où ils sont maintenus en vol pour intervenir en cas de contact entre les troupes amies et l'ennemi.

Si les outils du CAS ne permettent pas le même volume de feu que l'artillerie à tubes, ils ont pour avantage une souplesse d'utilisation et une rapidité de mise en œuvre, même dans des terrains non repérés à l'avance, dont il devient difficile de se passer.

Le principe du CAS sera développé petit à petit, entre autres par les Américains au Vietnam, avec la création d'hélicoptères d'attaque dédiés au combat, et d'avions conçus autour de l'observation et de l'attaque au sol, qui permettront une plus grande efficacité par rapport aux hélicoptères et avions modifiés pour le rôle. Même si les hélicoptères de transport armés (souvent appelés "gunship") restent d'actualité jusqu'à nos jours.

Hélicoptère Mil Mi-17-1V gunship, permettant à la fois le transport de troupes et l'appui-feu

 

Avec l'apparition des armes guidées par télévision, laser et GPS, le CAS s'est peu à peu éloigné des avions à hélice, et aujourd'hui, avec l'aide de personnels spécialement formés présents au sol appelés JTAC (Joint Terminal Attack Controller), qui fournissent les informations nécessaires en direct via modules de désignation laser ou GPS, les opérations de support au contact sont en général réalisées par des appareils volant à haute altitude (B-1, B-52) ou des jets de chasse (Mirage 2000D, Rafale, F-16...), qui n'ont plus besoin de voler à basse vitesse et basse altitude pour s'assurer de ne pas frapper des troupes amies.

Le problème du CAS par les pays fortement industrialisés

Mig-21 Bis Malien en 2012

 

Le problème de l'utilisation du CAS dans les opérations combinées avec les pays pauvres et émergents se pose malheureusement depuis des années. La chute accélérée de Saïgon en 1975 sera en partie expliquée par l'état-major du Sud-Vietnam comme due au retrait du support aérien américain : les sud-vietnamiens sont entraînés de 1965 à 1974 aux opérations combinées, avec un appui d'artillerie, des hélicoptères pour les mouvements rapides et des avions d'attaque prêts à intervenir contre les troupes ennemies qui s'aventureraient à découvert. Le retrait des avions américains permet soudain aux nord-vietnamiens d'opérer à découvert de jour, et les sud-vietnamiens perdent une composante importante de leurs dispositifs interarmes.

Et ce schéma se reproduit à chaque fois qu'un pays fortement industrialisé fournit une aide technique et matérielle : la France au Tchad contre l'armée Libyenne, l'URSS en Afghanistan, puis les États-Unis en Afghanistan...

La maîtrise des airs permet de créer un dôme de protection pour les troupes alliées, ou parfois même des forces neutres : les interdictions de survol décrétées au-dessus de l'Irak après 1991 et en ex-Yougoslavie empêchent l'utilisation de forces aériennes pour la répression des indépendances, ou simplement le bombardement des civils depuis les airs.

Cependant, comme nous le voyons actuellement en Ukraine, la maîtrise de l'air est complexe, et nécessite des ressources que beaucoup de pays n'ont pas. L'exemple le plus criant est la contre-performance actuelle des russes, qui pouvaient se permettre tout et n'importe quoi en Syrie (y compris des manœuvres stupides), où les forces de la coalition ne vont pas les intercepter. Mais, en Ukraine, où les défenses aériennes sont denses, et suppléées par une force aérienne opérationnelle, les forces aériennes russes (VKS) ont peiné à avoir la maîtrise de l'air lors de leur attaque surprise du 24 février 2022. Et, ayant étés incapables d'éliminer les forces de défense aériennes et anti-aériennes ukrainiennes, les forces russes se retrouvent depuis face à un ciel contesté, où ils ne peuvent engager d'appareils à haute altitude, et peuvent difficilement les risquer, même à basse altitude, au-delà de la ligne de front.

L'engagement en pointillés des VKS dans le ciel ukrainien montre, en outre, que la gestion des forces aériennes sur le champ de bataille est complexe, et demande d'avoir des pilotes, opérateurs radar et radios bien formés.


Le problème de la force aérienne pour les pays émergents

Si la Russie, avec ses appareils relativement modernes et son armée professionnelle, est incapable d'y arriver, quelles sont les chances des pays émergents ?

Le premier problème qui se pose est celui de la flotte aérienne. Les pays émergents, en Afrique notamment, sont souvent équipés de matériels hérités de la guerre froide, quand les blocs leur offraient du matériel au nom de la grande Lutte. Ces matériels, parfois (souvent) pilotés et maintenus en état par le pays qui les mettait à disposition, ne sont souvent pas adaptés à la situation locale.

Pour exemple, les forces aériennes du Mali ont été équipées de chasseurs Mig-21, offerts par l'URSS, au nombre de 14 appareils. Après le retrait soviétique en 1991, les appareils se sont petit à petit dégradés, pour arrêter de voler en 2012.

Malgré la présence dans l'armée malienne d'hélicoptères Mi-24 et Mi-35, tous les vols de soutien de Serval et Barkhane contre les forces jihadistes ont étés opérés par des hélicoptères et des avions de l'armée française.

Depuis le retrait de la force Barkhane et de ses appareils, les troupes de JNIM et AQMI, qui ne se déplaçaient plus en nombre, se permettent de nouveau de sortir au grand jour.


 
Troupes de JNIM se déplaçant à découvert au Burkina Faso

Si certains affirmeront que les maliens ont fait leurs choix, en préférant l'alliance avec la Russie à celle avec la France, cela reste symptomatique d'un problème de méthodologie pour les pays aidant...

Et la France répète déjà le même schéma avec les voisins du Mali, en y postant des troupes et des moyens de support aériens.


Négatif pour eux, négatif pour nous

Le problème de la méthodologie actuelle est qu'elle repose sur une idée absurde, celle qu'il ne faudra rester que jusqu'à la fin du conflit, avant de rentrer chez nous. 

Cependant, les exemples afghans et maliens (et au Vietnam, dans une autre mesure) nous ont montré une chose : dans ce type de conflit protéiforme, les accords n'ont que peu de valeur, et les conflits ethniques larvés (avec la couche de peinture religieuse appliquée par-dessus) ne peuvent avoir qu'une fin politique.

Les pays de l'Ouest global ne voulant habituellement plus se mouiller dans la politique interne des pays, pour des raisons diverses (exemple américain en Irak et Afghanistan, peur d'être accusés de colonialisme...), les interventions sont donc à rallonge, durant une ou deux décennies (9 années pour l'opération Barkhane).

Face à cette réalité, il est important de changer de méthode, et d'arrêter de faire combattre des pays pauvres comme s'ils étaient riches. Ce qui permettra de désengager progressivement la chasse au profit d'une solution locale.

Et, dans ce cadre, l'utilisation d'avions de chasse, d'hélicoptères et de satellites est à proscrire. Tout utile qu'ils soient, ces outils sont trop chers, en usage et en maintenance, pour les pays dont nous parlons ici.

Il est important de former les locaux sur des outils qui soient à leur niveau, pour qu'ils puissent les maintenir en état et les utiliser après le départ du pays riche. Il en va de leur indépendance par rapport à nos aides.

Et, accessoirement, de ne pas en confier la maintenance et le pilotage à des contractuels, dont la fiabilité n'est pas prouvée, et qui déresponsabilisent les armées locales.


L'OV-10 "Bronco" de Boeing, ex North American Rockwell : Outil de la conversion


Il fallait qu'il entre en scène à un moment donné, étant dans le titre de l'article.

L'outil aérien le plus adapté à cette métamorphose de la relation entre nos pays et les émergents que nous aidons dans leur lutte contre des forces rebelles est l'OV-10 Bronco.


Développé dans les années 1960 par deux ingénieux (l'ingénieur W.H. Beckett et le colonel des Marines K.P. Rice) ayant fait connaissance sur le site d'essais de China Lake, l'OV-10 a connu l'expérience du Vietnam, en tant qu'appareil de surveillance, de repérage d'artillerie et de support. Les OV-10D de l'USMC ont opéré en Irak en 1991 pendant Desert Storm, mais également en en 2013, aux mains du 160e SOAR (SOCOM) en Afghanistan, et en 2015, lors de tests grandeur nature contre les forces de Daesh en Syrie et Irak.

L'appareil est donc toujours parfaitement adapté à la fonction dont nous parlons ici, opérer comme soutien multirôle contre des forces irrégulières, de jour comme de nuit.


Techniquement, l'OV-10 est un appareil relativement simple, qui utilise un train tricycle à bras tirés, équipée de pneus larges, lui permettant de faire usage de pistes de fortune. L'appareil est conçu pour décoller de pistes très courtes (226 mètres en charge, atterrissage sur 226 mètres à vide et 381 mètres à pleine charge). Cette capacité de décollage et poser sur courte distance lui permettait d'être opéré par l'US Navy et l'US Air Force depuis des porte-avions, alors que l'appareil n'est pas équipé pour le lancement via catapulte ou l’appontage.

OV-10A opérant depuis un porte-avions au Vietnam


La motorisation est  composée de deux turbopropulseurs Honeywell TPE331 civils. L'accès aux baies est simplifiée au maximum, pour permettre l'entretien sur des terrain mal équipés. La conception générale de l'appareil est pensée pour permettre un entretien courant n'utilisant qu'une trousse à outils de type automobile. Les turbopropulseurs sont eux-mêmes toujours distribués par Honeywell pour des usages civils, permettant un accès facile aux pièces de rechange.

Nacelle moteur d'OV-10A, montrant l'accès au Garett T76 (aujourd'hui Honeywell TPE331)

Voilà donc pour la facilité d'entretien et d'opération de l'OV-10 dans des pays possédant une infrastructure limitée. Mais pour les besoins de la mission ?

Verrière galbée d'un OV-10D+ (identifiable aux hélices quadripales)

 

L'OV-10 est un appareil tout-temps biplace (pilote et observateur), équipé d'un cockpit-bulle permettant une très grande visibilité.

L'OV-10A, avec les moteurs T76 originaux des années 60 et des réservoirs supplémentaires, est capable de voler 5h30 sans ravitaillement, permettant les escortes longues et les maraudes.

L'appareil est également capable d'emporter diverses armes, comme des bombes et roquettes non guidées sur 7 pylônes (2 sous les ailes et 5 sous la cellule). 

L'OV-10X "Super Bronco", proposé par Boeing lors du programme Light Attack/Armed Reconnaissance (LAAR), était quand à lui capable d'utiliser des munitions guidées (AIM-9 Sidewinder et AIM-114 Hellfire). 

L'OV-10G+, testé lors du programme Combat Dragon II en 2013, était quand à lui capable de tirer l'APKWS II, une munition guidée par laser basée sur la roquette Zuni FFAR.

Les OV-10D, D+, D+ et X sont par ailleurs équipés Link-16, ce qui permet son intégration dans le système d'appui feu interarmées, et donc une totale interopérabilité avec les armées de l'OTAN dans le cadre des opérations communes.

Fiche Boeing du Super Bronco

Le dernier argument en faveur de l'OV-10 est sa disponibilité : l'US Army et l'US Navy ont redéployé des cellules remises à niveau en 2015 pour tests. Des appareils sont en service continu avec le California Department of Forestry and Fire Protection pour la surveillance des feux de forêts, et l'entreprise privée Blue Air Training, située à côté de Las Vegas, opère 7 appareils pour la formation JTAC embarquée, pour le compte de l'US Air Force.

OV-10A de surveillance des feux de forêts en Californie

Mais, plus important que cela, Boeing semble ouvert à la relance de la production de l'appareil, qu'ils ont hérité de leur rachat de North American Rockwell en 1996. Une version modifiée de l'appareil, qui garde la mécanique d'origine en modernisant le cockpit et en ajoutant la capacité d'utiliser des armes guidées modernes (JDAM, Paveway, Hellfire...), a été proposée lors du programme LAAR, lancé en 2009 mais annulé en 2020.


OV-10A modifié par la NASA pour la surveillance de site et les relevés environnementaux.


Un appareil de ce type, simple et efficace, combiné à une formation de JTACs et de mécaniciens locaux, permettrait aux forces occidentales de concevoir la remise de leur défense nationale aux pays alliés, y compris ceux limités par leurs infrastructures et la profondeur de leur bourse.

 

Permettant de désengager notre présence, et de garantir l'indépendance des pays concernés.

Et de relancer la gamme petits appareils de Boeing, qui en a bien besoin en ce moment.


Combiné à une force de drones légers, lancés par catapulte ou à la main, l'OV-10 peut être l'outil de l'indépendance de nos alliés moins fortunés.

dimanche 25 juin 2023

Coup d'état avorté : SMP Wagner contre l'Etat russe

RAPPEL DES FAITS (à l'heure française)

 Vendredi 23 juin 2023. La journée se termine calmement en Europe. Je passe sur les réseaux pour voir s'il y a des nouvelles du front Ukrainien.

Les forces ukrainiennes revendiquent la capture de territoires contrôlés par les russes depuis 2014. Sacré symbole. Il est 18h.

Un peu avant 20h, certaines sources fiables s'affolent : les russes auraient frappé des positions de Wagner. Les rumeurs circulent sur des ordres de tirer à vue sur les troupes de la SMP (société privée militaire).

Vers 22h, les choses s'accélèrent. Les canaux Telegram pro-Wagner commencent à parler de révolte, le FSB a à priori fermé la frontière russo-ukrainienne. La confusion est totale.


 A minuit, des vidéos commencent à apparaître du bouclage de Moscou, avec des BTR-82 accompagnés de petits groupes d'infanterie dans les rues de la capitale Russe. Il se passe quelque chose, mais quoi ? Igor Girkin à Donetsk semble annoncer que Wagner a pris son indépendance et attaque le territoire russe.

Samedi matin, l'Europe se réveille pour découvrir que la ville de Rostov, et le QG des forces armées russes qui contrôle les opérations en Ukraine, sont sous le contrôle de Wagner, qui déclare être en conflit avec le pouvoir central, mais pas la population.

Avant 7h du matin, les forces spéciales du MVD (ministère de l'intérieur Russe) ont investi les bureaux de Wagner à St Pétersbourg et commencé à perquisitionner les lieux.

Troupes de Wagner dans Rostov le 24/06/2023. A noter les marquages d'identification, pour éviter les tirs fratricides)

Dans la nuit, un second groupe de soldats de Wagner, une colonne motorisée, serait entrée en Russie plus au Nord, a pris la ville de Voronej, et roule sur l'autoroute M4 en direction de Moscou.


Dans la matinée, Vladimir Poutine sort de sa réserve et fait une déclaration qui condamne les traitres et factieux, et promet des punitions contre Prigozhin et tous ceux qui participent à son petit coup d'état.

A midi heure française le 24/06/2023, Wagner annonce avoir abattu 5 hélicoptères et un avion de surveillance Iliouchine des forces aériennes russes.

Les forces russes, de leur côté, semblent utiliser des Kamov Ka-52 pour détruire des dépôts de carburant présents sur le trajet, pour empêcher les factieux de se ravitailler.

En début d'après-midi, Kadyrov annonce que ses troupes personnelles sont envoyées pour capturer Rostov. Elles resteront à priori bloquées dans un gigantesque bouchon sur les voies rapides une bonne partie de l'après-midi.

La "Tik Tok Brigade" de Kadyrov roule vers Rostov depuis la Tchétchénie.

Du côté de Moscou, la défense passive s'organise. Les forces du MVD créent des chicanes sur les autoroutes avec des poids-lourds abandonnés, des engins de chantier creusent les chaussées sur l'autoroute M4 pour stopper les véhicules de Wagner. Les troupes de l'armée russe sont invisibles.

Barrages en pleine installation sur l'autoroute M4, au sud de Moscou.

Les moscovites ayant les moyens commencent à fuir la ville, avec des vols vers l'étranger (pour les plus chanceux) ou les villes de périphérie remplis toute la journée.

Dernière place dans le vol Moscou-Yerevan de 20h30 le 24/6/23, mise à prix 2400$. Source Meduza/Kevin Rothrock

Engins de travaux publics creusant la chaussée sur la M4 au sud de Moscou

Et puis, en fin d'après-midi, le soufflé tombe.

La colonne de troupes Wagner aurait fait demi-tour. Lukashenko, dictateur biélorusse, aurait rencontré Prigojine et monté un deal pour éviter l'attaque de Moscou.

Dans la soirée, des annonces officielles sont faites. Prigojine a abandonné. Wagner retourne à ses quartiers, leur chef sera exilé à Minsk avec interdiction de retourner à son fief de St Petersbourg. La milice privée, d'après les annonces, ne sera pas sanctionnée.

La révolte du chef de guerre Prigojine semble être terminée.

QUI EST WAGNER ?

 La question est complexe.

Dmitry Utkin, la face "publique" du Groupe Wagner lors de ses débuts, aimait à présenter le groupe comme une simple Société Militaire Privée (SMP), telle que Blackwater (US) ou Executive Outcomes (Afrique du Sud). Cette présentation publique a mené pendant des années (et encore aujourd'hui) certains commentateurs à justifier les actions de Wagner en les comparant à Blackwater, oubliant au passage que les actions criminelles de Blackwater ont mené à plusieurs condamnations (et à sa dissolution).

La première opération de Wagner consistera à fournir un soutien technique et logistique aux "républiques séparatistes" fantoches de Donetsk et Lughansk, à partir de 2014, dans leur conflit contre les autorités Ukrainiennes.

Par la suite, Wagner apparaîtra partout où le pouvoir du Kremlin aura besoin de forces armées, mais sans vouloir s'engager directement (Syrie, Donbass, Soudan, Centrafrique, Lybie...). Cette dimension de "plausible deniability" fournie au Kremlin les rapproche donc des mercenaires utilisés par la France, les États-Unis ou la Belgique en Afrique, des aventuriers ou ex-militaires engagés pour effectuer les travaux que les pays occidentaux ne désiraient pas faire directement eux-mêmes.

Cette plausible deniability sera montrée ouvertement lors de la bataille de Khasham en Syrie en 2018, où des éléments de Wagner et Syriens en plein engagement avec des troupes Kurdes et des Forces Spéciales américaines seront abandonnées par le commandement russe, qui retireront au dernier moment le soutien aérien et les défenses aériennes aux mercenaires, menant à la perte de 200 hommes, dont 100-120 blessés (d'après les sources Américaines et Wagner, chiffre revu à la baisse par le Kremlin).

Les hommes de Wagner sont également connus pour leur cruauté et le peu de cas qu'ils font de la vie des locaux, que ce soit en Afrique ou en Syrie.

Utkin disparaît peu à peu de la scène publique, et est remplacé en 2022, lors de l'invasion de l'Ukraine, par l'homme déjà réputé être derrière le groupe depuis sa création, Yevgeny Prigozhin.

Prigozhin est un pur produit de la Russie post-soviétique. Mis en prison pour vol et fraude en URSS, il passera 9 ans dans le système carcéral soviétique, dont il sort en 1990. Après la chute de l'URSS en 1991, il devient "entrepreneur" dans la restauration, les supermarchés et les casinos. Natif de Saint-Pétersbourg, il deviendra proche de Vladimir Poutine, et est souvent surnommé "chef de Poutine".

Wagner est actif en Ukraine depuis le début des combats en 2014, mais s'est particulièrement fait connaître pour son offensive de 9 mois sur la ville minière de Bakhmut (septembre 2022 à juin 2023). Lors de l'offensive sur Bakhmut, Prigozhin et son groupe Wagner deviennent tristement célèbres pour leur stratégie d'envoi de vagues de soldats mal entraînés, et embauchés dans le milieu carcéral contre la promesse d'une annulation de leurs peines, y compris pour les crimes violents (viol, meurtre, etc).

Après le retrait de Wagner de la zone de Bakhmut, Prigozhin déclarera y avoir perdu 16 000 hommes, dont 10 000 ex-prisonniers, et renvoyé des milliers d'ex-prisonniers à la vie civile en Russie.

La situation a toujours été tendue entre Prigozhin et le chef du Ministère de la Défense russe, Serguei Shoigu. Autre pur produit de l'après-URSS, Shoigu est régulièrement accusé par Prigozhin de refuser l'envoi de munitions et d'équipements au groupe Wagner. Prigozhin à d'ailleurs affirmé que sa tentative de putsch était menée contre le ministère de Shoigu, et non contre Vladimir Poutine.

Le groupe Wagner est également considéré comme groupe terroriste par la France et comme groupe criminel international par les États-Unis.

LA RÉACTION DE L’ÉTAT RUSSE

 Dire que la réaction a été molle n'est pas peu dire.

Le FSB a lancé un mandat d'arrêt contre Prigozhin le 23 dans la soirée, mais d'après certaines sources les cadres locaux et nationaux étaient déjà trop loin dans leur soirée pour en faire quoi que ce soit. En bref, ils étaient déjà ivres pour le week-end.

Vladimir Poutine fera une annonce télévisée le 24 au matin, où il dénonce la tentative de Prigozhin et le voue aux gémonies. Pour lui, le chef de Wagner, et le groupe tout entier, sont des traîtres et devront être punis.

La télévision d'état, de son côté, parlera d'insurrection.

La réaction la plus importante est celle de Lukashenko, qui volera de Minsk à Rostov (probablement sur ordres du Kremlin) pour aller négocier avec Prigozhin. De cette façon, le pouvoir ne se mouille pas directement, et continue de s'évacuer de Moscou au cas où les négociations ratent.

Où EST L’ARMÉE RUSSE ?

 Pendant toute cette opération, de son début vendredi soir à la "signature" des accords entre Lukashenko et Prigozhin en fin d'après-midi vendredi, l'armée russe a brillé par son absence.

Tout d'abord, malgré les demandes apparentes de l'appareil d'état Russe, les troupes de Wagner ont pu quitter leurs casernements en arrière du front et passer la frontière russo-ukrainienne, à priori en deux points (un en direction de Voronej et Moscou, l'autre en direction de Rostov) sans être inquiétés.

Rostov, ville de garnison de l'armée russe pour la zone sud, est capturée dans la nuit par Wagner, et le quartier général des forces russes, qui contrôle les opérations en Ukraine, est pris sans tirer un coup de feu. Toute la journée, les véhicules blindés et les troupes de Wagner sont vues dans la ville et ne semblent pas inquiétées par les militaires russes.

De même, mis à part quelques escarmouches avec des hélicoptères russes - dont six seront abattus par les postes sol-air de Wagner - la colonne partie vers Moscou, qui transporte ses blindés sur des porte-chars pour rouler plus vite, ne subit aucun harcèlement ou embuscade par les forces russes.

Porte-char de Wagner sur la M4, avec un T-80 embarqué

 

Les images diffusées par les médias russes montrent des barrages creusés dans les chaussées et des camions abandonnés sur les routes, mais à aucun moment la 4e division de chars de la Garde, basée à Naro-Fominsk au sud de Moscou (et quasiment sur l'axe d'approche de Wagner) n'est aperçue. Alors que deux régiments de T-80U se déplacent difficilement en toute discrétion.

Position de la 4e Division de la garde et axe d'approche du convoi de Wagner.

 

La seule force envoyée à Rostov en réaction aux actions de Wagner seront les Tchétchènes de la Rosvgardia de Kadyrov. Légèrement armés et équipés, et surnommés "TikTok Brigade" pour leurs compétences plus élevées à faire des vidéos sur les réseaux sociaux qu'au combat contre les Ukrainiens, il est douteux qu'ils auraient vraiment étés capables de reprendre la ville à Wagner sans pertes conséquentes.

LE FUTUR : WAGNER, LE MINISTÈRE DE LA DÉFENSE RUSSE ET LA CRÉDIBILITÉ DE VLADIMIR POUTINE

  • On entre en Russie comme dans un moulin
Après les incursions de la Légion des Volontaires Russes (une milice d'extrême-droite anti-Poutin, qui s'infiltre régulièrement dans l'oblast de Belgorod, ayant même plusieurs fois abattu des garde-frontières du FSB, les troupes de Wagner ont été capables de traverser la frontière en deux points, avec des poids-lourds, sans être inquiétés par les gardes frontières.
 Cela confirme que la frontière russe est poreuse, et les forces frontalières mal équipées et peu motivées à faire leur travail.
  • L'armée russe n'a plus de ressources internes
Outre le passage de la frontière, l'épopée routière du convoi de Wagner n'a jamais été en danger, et finit par faire demi-tour sur ordres de son chef. Les troupes internes déploient quelques hélicoptères et avions de surveillance, mais les bombardiers et les blindés ne font pas leur apparition, à part quelques BTR-82 parsemés ici et là autour de Moscou.
Les faits se déroulant dans la zone sud-ouest, qui fait face à l'Ukraine (en guerre contre la Russie) et la Pologne (accusée par la Russie de préparer une invasion), et le gros des forces de l'OTAN, montre que le discours de la "menace OTANienne" ne tient (ben entendu) pas debout : le Kremlin a engagé tous ses moyens en Ukraine, et n'a rien laissé face aux forces blindées de l'OTAN, qui tiennent actuellement la frontière allant de Murmansk à la frontière Biélorusse.
 
La défense de Moscou, face à la prétendue menace de l'Ouest, est une coquille vide. Si l'OTAN attaquait demain, une journée semblerait suffire pour être sur la Place Rouge...
  • Le temps des chefs de guerre
La Rosvgardia tchétchène, contrôlée par Kadyrov, semble être la seule force militaire "officielle" conséquente (et non factieuse) actuellement sur le territoire fédéral de Russie.

L'autre force conséquente est la milice privée Wagner.

L'absence de l'armée du terrain, et la présence très ponctuelle des forces du ministère de l'intérieur (affaibli depuis qu'on lui a retiré ses forces paramilitaires) montre qu'un chef de guerre un minimum équipé, et motivé, est capable d'aller jusqu'à Moscou pour demander des comptes. Et que le pouvoir central fléchira, au moins en partie, face à la menace. Une dynamique de chefs de guerre pourrait donc s'installer, avec un pouvoir central faible maintenu à bout de bras par des groupes armés à la limite du banditisme.

Les oligarques ne s'y trompent d'ailleurs pas, avec la multiplication des SMP à l'intérieur de la Russie, dernièrement chez l'agence spatiale Roscosmos.

  • Vladimir Poutine est mis en difficulté par ses actions et celles de ses proches

Vladimir Poutine, qui dénonçait les révoltés samedi matin, les pardonne samedi soir. Si l'on ajoute les mouvements de la Présidence, avec une fuite possible vers Saint-Pétersbourg, la situation de Poutine s'est grandement dégradée depuis vendredi soir.

Le pouvoir d'un autocrate provient, en tous temps, du soutien des élites du pays, et de l'assurance que le pouvoir tient les choses assez fermement pour que ces dernières puissent s'en mettre plein les poches (pécuniairement ou autres).

Les actions de Vladimir Poutine ces derniers jours ont montré que le contrôle qu'il a sur le pays n'est pas aussi grand que le dit la propagande, et que son état n'est pas aussi fort qu'il l'a laissé entendre.

Le roi est nu.

  • Va-t-on vers une purge massive de l'appareil d'état et militaire russe ?

En tous temps, la Russie a utilisé l'outil de la purge pour éliminer les gens qui ne suivent pas assez la ligne du parti, y compris avec la guerre à l'horizon. On n'oubliera pas les purges de l'Armée Rouge de 1937 à 1939, alors même que Staline prépare l'invasion de la Finlande, des Pays Baltes et de la Pologne (en concert avec l'Allemagne Nazie).

Les dysfonctionnements de l'appareil de défense et de renseignement  russe, ces derniers jours, vont probablement mener à une purge des éléments "problématiques".

L'accord trouvé avec Prigozhin, qui a une dent contre le ministère de la défense depuis des années, pourrait également mener à des purges dans le ministère.

Et, pour finir, il est probable que Wagner soit purgé. Prigozhin dit avoir l'assurance de l'intégration de Wagner dans l'armée russe, mais il est peu probable que le commandement veuille intégrer des troupes factieuses dans leurs rangs.

  • Effets possibles à moyen et long terme sur les opérations en Ukraine

La coupure de la liaison avec le commandement pendant 48h (minimum) avec la prise du QG sud va probablement handicaper les capacités russes en Ukraine pour les semaines à venir.

Le retrait de 25 000 troupes de Wagner du front, avec leurs équipements lourds, est une force conséquente qui ne peux pas être rapidement redéployée en appui contre l'offensive ukrainienne, toujours en cours.

La Russie a perdu dans l'opération des pilotes (15 d'après les dernières informations) et du matériel difficilement remplaçable.

Cette petite invasion a montré que le pouvoir est affaibli, et que la paix intérieure (que Poutine avait promise en cas de guerre avec l'Ukraine et l'Ouest) n'existe pas. Cela aura des effets sur la Russie elle-même, qui sont cependant difficiles à mesurer actuellement.

lundi 29 mai 2023

Iran contre Afghanistan - Conflit téléguidé ou résultat de 44 ans d'inimités ?

La situation actuelle

Depuis quelques semaines, des affrontements entre les forces des Taliban afghans et les garde-frontières iraniens font monter la tension entre les deux pays.

Dernièrement (à la date de publication de cet article), le gouvernement Taliban afghan annonce la prise de plusieurs postes-frontière du côté Iranien, et la destruction de plusieurs autres.

Et ils semblent masser de plus en plus de troupes à la frontière.

Vu de France, ce conflit paraît plutôt imprévu, et sortir de nulle part. Au point où certaines avancent la théorie d'un affrontement téléguidé par des forces extérieures, pour affaiblir l'Iran suite à son soutien à la Russie de Vladimir Poutine, ou de la reprise de son programme nucléaire.

Petite mise au point sur les relations Iran/Afghanistan, peu connues (ou comprises) sous nos latitudes.

Le point de vue iranien

Les échauffourées à la frontière afghane ne sont pas chose nouvelle pour les Iraniens. Si les choses étaient relativement calmes avec l'ancienne administration afghane, maintenue au pouvoir par la présence de l'ISAF, les choses se sont dégradées depuis le départ des forces de l'OTAN et la prise de Kaboul par les Taliban en un temps record en 2021.

Depuis, les relations étaient tendues entre le pays et les fondamentalistes Taliban de nouveau au pouvoir en Afghanistan. Des affrontements ont eu lieu, avec comme résultat plusieurs morts, et une crise due au refus de Téhéran de laisser les réfugiés fuyant les Taliban traverser la frontière.

Début 2023, l'Iran avait tenté de normaliser ses relations avec les Taliban en leur remettant officiellement l'ambassade d'Afghanistan à Téhéran.

Le dernier conflit prends racine dans une opposition entre Iran et Afghanistan sur le contrôle de l'eau de la rivière d'Helmand. L'Helmand coule à travers le sud de l'Afghanistan avant de terminer sa course dans le nord du Sistan-et-Baloutchistan, en Iran, où son eau est très importante pour l'irrigation des cultures locales. 

Avec le réchauffement climatique, l'Iran connaît de plus en plus de sécheresses (97% du pays est classé en sécheresse par l'Agence Météorologique Iranienne en 2022).

L'eau de l'Helmand est donc plus que jamais importante, et l'état iranien accuse l'Afghanistan de construire de plus en plus de retenues sur le fleuve, pour se réserver son eau. Ces actions, d'après les déclarations du président Iranien Ebrahim Raisi, impactent l'accès à l'eau côté Iranien.

Écoulement de la rivière Helmand en Afghanistan et Iran

Le point de vue des taliban afghans

De leur côté, les Taliban se défendent en parlant de facteurs climatiques.

Le réchauffement de la région et les faibles précipitations hivernales réduisent les quantités d'eau disponibles.

Ils se défendent d'avoir augmenté leur captation et leur stockage.

Abdulhamid Khorasani, chef actuel des Taliban en Afghanistan

 

Abdulhamid Khorasani, chef actuel de la faction talibane au pouvoir en Afghanistan, a déclaré que les taliban sont près à se battre contre l'Iran (sous réserve d'une validation en conseil de guerre), et marcheraient sur Téhéran si nécessaire, dans un grand jihad, qu'il compare a celui lancé contre les troupes américaines de 2001 à 2021.

La grogne talibane en Afghanistan

Ce conflit apparaît alors même que les troupes Talibanes, maîtres du pays depuis 2021, commencent à se plaindre de leur situation. En effet, suite à l'écroulement de l'Armée Nationale Afghane, et le peu de résistance offerte par les locaux - le Front National de Résistance Afghan, fils spirituel de l'Alliance du Nord des années 80 et 90, est faible et se limite à quelques vallées du Panjshir - leurs missions ont étés fortement réduites. 

Le nombre réduit de combattants nécessaires pour le maintien de l'ordre "moral", et pour combattre les révoltes locales ou contrer les coups de force locaux de Daesh a poussé la nouvelle administration talibane à utiliser ses troupes dans des rôles plus administratifs, menant à une grogne dans les rangs.

Un nouveau jihad pourrait, pour le gouvernement taliban, permettre de concentrer l'agressivité de ses troupes sur un ennemi externe, et éviter les débordements. Un peu comme Du Guesclin emmenant les Grandes Compagnies se battre lors de la guerre civile espagnole, pour éviter qu'ils ne mettent à sac le territoire français pour s'occuper.

Inimités de longue haleine et oppositions religieuses

Hors de la question de l'eau, les relations entre les Ayatollahs et les Taliban sont, de longue date, dégradées.

Tout d'abord, par opposition religieuse. L'Iran est articulé autour de la branche chiite de l'Islam, et depuis la révolution de 1979 utilise tous les moyens à se disposition pour avancer le chiisme face au sunnisme des pays du Golfe. Dans ce cadre, le soutien de l'Iran va naturellement vers les communautés chiites tadjikes (qui représentent 27 à 39% de la population Afghane, principalement dans les régions du Nord).

Les Taliban, eux issus des Pashto, sont articulés autour d'un Islam sunnite, proche de celui du sous-continent Indien au sud. S'ils sont opposés au salafisme du Golfe (ce qui génère une relation conflictuelle avec l'état islamique - Daesh - mais pas avec Al-Qaeda), cela ne les empêche pas d'avoir, dans le passé et le présent, persécuté les chiites Afghans, principalement les Hazara vivant dans les mêmes régions qu'eux (sud de l'Afghanistan et Pakistan).

Dans ce cadre, lors de la montée en puissance des Taliban suite au retrait russe d'Afghanistan en 1989, l'Iran finance et arme l'Alliance du Nord, opposée aux Taliban. Au point que l'Iran maintient un consulat à Mazar-E-Sharif, au nord de Kaboul.


C'est là que suite à des âpres combats pour la prise de la ville, le 8 août 1998, que les Taliban entrent dans le consulat Iranien, où ils exécutent 10 diplomates iraniens, ainsi que Mahmoud Saremi, reporter de l'agence de presse nationale iranienne.

Ces assassinats de diplomates par les Taliban déclenchent une vague de protestations dans la République Islamique. Les Gardiens de la Révolution et l'armée Iranienne placent 70 000 hommes à la frontière commune, et seule une médiation de l'ONU permettra d'éviter un conflit ouvert.

L'impact des meurtres sera assez grand pour que la République d'Iran déclare le 8 août "journée nationale des journalistes" en mémoire de Saremi, et se lance dans un appui bien plus public de l'Alliance du Nord.

La présence d'équipements américains sur le front

Certains observateurs s'étonnent de la présentation des forces Talibanes, qui apparaissent très largement équipées de matériels américains.


 

Serait-ce le signe d'un soutien tacite, mais pas trop, de leur autre ennemi de toujours, les États-Unis, dans un but de déstabilisation de l'Iran ?

HMMWV ("Hummer") modifié par les Taliban

 

Point trop s'en faut. Cet équipement est une des nombreuses ironies de l'histoire.

 En effet, lors du retrait des troupes de l'ISAF, l'Armée Nationale Afghane est quasiment entièrement équipée de matériels américains. L'écroulement de l'ANA permettra aux Taliban de récupérer du matériel routier et des armes en très grands nombres sur les bases terre, cependant les forces de l'ISAF (principalement américaines) garderont la main sur les installations aéroportuaires afghanes assez longtemps pour leur permettre de saboter certains équipements lourds, au grand dam des taliban qui espéraient pouvoir en profiter.

Troupes d'assaut des Taliban, équipés de motos 125cc

 

Les véhicules américains étant mieux adaptés au combat que les 125cc et Hilux habituellement rattachés aux forces des Taliban, ils se sont empressés de les déployer face à l'Iran, pour se donner une image plus professionnelle, en tant que nouveau maître du pays.

Par ailleurs, l'armée Talibane déploie également de nombreux équipements ex-soviétiques, souvent rénovés à grands frais par les américains pour l'ANA.

Où peut aller le conflit?

La question est large.

Comme vu, l'animosité entre les Taliban et les Iraniens date, et est ancrée dans certaines mémoires en haut lieu.

Les Taliban, comme à leur habitude, sont très agressifs, car ils n'ont pas l'inertie d'un appareil d'état comme celui de l'Iran. Ils sont également à leur avantage, ayant montré leur capacité à se battre contre un ennemi bien plus puissant qu'eux et perdurer, pour rester les seuls sur le terrain à la fin. Cependant, tout cela se déroulait chez eux, ou au Pakistan où les services de sécurité les laissaient faire, pas sur un territoire étranger où ils ne sont pas les bienvenus (les pachtos ne sont pas perses).

Cependant, l'Iran n'a actuellement pas le loisir d'apparaître faible. Entre son soutien à la Russie et son programme nucléaire, qui aliènent les occidentaux, et les groupes d'opposition toujours actifs, la présidence et le Guide Suprême n'ont pas beaucoup de marge de manœuvre pour se laisser marcher sur les pieds par un voisin aussi petit.

Surtout quand ils sont également attendus au tournant par les pays du Golfe et Israël.

Et, hors de son armée et des Gardiens de la Révolution, l'Iran possède également de nombreuses formations irrégulière qu'elle peut déployer à sa frontière, ou directement en Afghanistan, via les ex-Républiques Soviétiques des "Stans", dont la population lui est amicale.

Cette première guerre de l'eau, si elle s'enflamme, peut nous mener dans bien des directions, y compris l'écroulement des Taliban, ou celui de l'Iran des Ayatollahs.

Elle pourrait également s'arrêter après une démonstration de force es deux côtés, et couver jusqu'à l'an prochain, ou celui d'après.

Une région à surveiller, donc.

mercredi 3 mai 2023

Guerre en Ukraine - Attaque au drone sur le Kremlin : Quid ? Quo vadis ?

Disclaimer : Durant la journée du 3 mai, l'Ukraine, à travers son Président Volodomyr Zelensky, a nié avoir frappé la capitale russe, insistant sur le fait que l'Ukraine ne cherche pas à éliminer le président russe, juste à libérer son territoire.


Pendant la nuit, plusieurs détonations ont été entendues dans Moscou.

Détonations dues à l'interception de plusieurs drones directement au-dessus du Kremlin, d'après les services de sécurité Russes.


Cette frappe et l'affirmation par les services russes que le drone intercepté était ukrainien soulève plusieurs questions.

La première est celle de la perméabilité de l'espace aérien russe. Certes, le drones (ou les) a été intercepté. Mais l'interception s'est effectuée au-dessus d Kremlin, le palais de la présidence, dans le centre de Moscou. Or, la défense du centre de Moscou a été renforcée en Janvier, avec l'installation de batteries anti-aériennes Pantsir S-1 (SA-22) sur camion Kamaz sur les toits moscovites. A l'époque, beaucoup avaient remarqué que les zones de couverture des différents postes AA se recoupaient au-dessus du Kremlin. Le Pantsir ayant une portée efficace de 20km (pour les missiles), le drone en question aurait dû, en théorie, être intercepté bien avant son arrivée au-dessus du Kremlin.

Une batterie de S-400 (que la Russie continue à vendre comme le meilleur système de défense anti aérienne du monde) est également présente au nord de Moscou. Une interception des drones au-dessus du Kremlin signifie que soit les drones ont réussi à être invisibles aux radars russes jusqu'à se trouver en phase finale d'approche, soit le positionnement des défenses russes les rends complètement inopérantes.

En effet, si le positionnement des batteries sur des toits moscovites leur permet d'étendre la portée des radars en évitant de créer des approches dans les zones d'ombre derrière les immeubles les plus élevés, la capacité de tir en dévers des postes anti-aériens, surtout pour des systèmes mobiles sensés se trouver à altitude zéro comme le Pantsir sur Kamaz, est limité, et peut créer des zones d'ombre dans leur couverture, à partir du moment où la cible se déplace à une altitude moins élevée que celle du lanceur.

Pantsir S-1 placé sur le toit du ministère de la défense russe à Moscou

Un autre point concernant la perméabilité du système de défense Russe : le point de départ du drone, et sa capacité à approcher Moscou sans être inquiété : le Kremlin n'a pas parlé d'autres cibles interceptées avant leur arrivée dans le ciel moscovite.

Distance entre le Kremlin et le point le plus proche du sol Ukrainien

A vol d'oiseau, la frontière Ukrainienne est, au mieux, à 550km du Kremlin. La vidéo ci-dessus montre bien que le drone intercepté ne vole pas à une vitesse élevée, ce qui signifie au minimum une heure de vol s'il a été lancé depuis l'Ukraine, en traversant une frontière qui devrait, en théorie, être densément couverte par les radars russes, pour éviter de nouvelles incursions et frappes ukrainiennes.

Une autre possibilité serait le contournement des radars russes en passant par la Biélorussie, mais cela ne laisserai que plus de temps aux russes ou à leurs alliés locaux pour repérer le drone en vol.

La dernière possibilité, qui a déjà été soulevée lors des frappes sur les bases de bombardiers stratégiques russes, serait l'utilisation par les ukrainiens de transpondeurs russes dans leurs drones, ce qui les ferait apparaître aux postes de défense russes comme étant des appareils de l'armée de l'air ou de la marine russe. Cette dernière hypothèse parait cependant un peu tirée par les cheveux, car elle signifierait que les défenses russes auraient laissé un appareil, quel qu'il soit, survoler Moscou en direction du Kremlin. On ose espérer pour les russes que personne ne laisserait ce genre de pénétration de la zone aérienne moscovite s'effectuer sans le moindre contrôle.

La possibilité d'un lancement depuis la frontière lettone ou plus au nord depuis la Finlande n'a aucun sens, car elle entraînerait les forces de l'OTAN dans un conflit que l'alliance continue à garder à distance.

Une dernière possibilité est un lancement depuis l'intérieur de la Russie, qui expliquerait en grande partie l'incapacité des forces russes à intercepter le drone avant son approche finale. Mais cette option n'est pas à l'avantage de la Russie, car elle signifierai que les forces Ukrainiennes sont capables d'aller et venir sur son territoire et lancer des drones armés sans être inquiétées.


On pourrait également facilement pointer du doigt une affaire entièrement Russe, avec une frappe organisée par les services de renseignement pour justifier (une nouvelle fois) l'intervention en Ukraine, ou une attaque perpétrée par une faction interne à la Russie, soit dans un but de déstabilisation du pouvoir, soit dans le cadre des luttes intestines à l'intérieur même du pouvoir russe.


La communication du pouvoir

Dans tous les cas, cette frappe pose beaucoup de questions, à 6 jours seulement du défilé du 9 mai.

Si la frappe est belle et bien Ukrainienne, cela va placer les services de sécurité sous tension pour le 9 : les ukrainiens ont montré que, théoriquement, ils peuvent frapper la Place Rouge. Même en cas d'interception, l'explosion de drones au-dessus d'un défilé à destination de propagande, diffusé en direct sur les chaînes étatiques, montrerait aux russes que la guerre lancée par leur Tsar s'invite jusque dans leurs foyers. Et rien ne serait pire qu'une poignée de véhicules en feu au milieu de Moscou, en direct à la télévision.

Si la frappe n'est pas Ukrainienne, la volonté de la montrer comme telle est étrange : elle montre une faiblesse et la vulnérabilité du centre névralgique de l'hyper-centralisée Russie de Vladimir Poutine. C'est donc une très mauvaise image à donner à l'extérieur.

Cependant, c'est là que nous autres, occidentaux, nous trompons souvent sur la cible de l'étrange propagande Russe : elle ne nous est pas destinée, elle est destinée à la population locale. Ce que nous voyons comme un énorme aveu de faiblesse dans un état qui se prétend "fort", est probablement conçu comme un message aux russes eux-mêmes : "regardez ces étrangers qui, sans raison (sic), essayent d'assassiner notre Lider Maximo bien aimé". Le commentaire officiel russe est d'ailleurs clair sur ce point : pour eux, la cible était Vladimir Poutine, et rien d'autre. Sous-entendu, une attaque contre Vladimir Vladimirovich est une attaque contre nous tous, car la Russie, c'est Lui.


Reste à voir les informations qui feront surface dans les jours à venir, et si l'organisation du 9 mai se déroule comme à l'habitude. Vladimir Poutine sera-t-il sur place ? Déjà à priori paranoïaque, présidant à certaines de ses fonctions par vidéoconférence, roi des tables géantes, celui qui est devenu calife à la place du calife il y a maintenant 23 osera-t-il se présenter devant les caméras alors que les drones ukrainiens se posent dans Moscou ?


Rendez-vous dans 6 jours.

samedi 8 avril 2023

Next Generation Squad Weapon et 6.8x51mm - Utile, ou non ?

Après des décennies de débat sur l'usage des munitions de petit calibre, de l'efficacité à longue distance de la 5,56x45mm OTAN, et l'engagement en Afghanistan des forces américaines, il semblerait que les Etats-Unis aient décidé, une fois pour toute (?), d'adopter un nouveau système d'arme, mais surtout, un nouveau calibre.

Le programme, appelé Next Generation Squad Weapon (NGSW), lancé en 2017, s'est terminé en 2022, avec la victoire de Sig avec le fusil XM5 - ensuite renommé XM7 - et le fusil-mitrailleur XM250, couplé à une optique pilotée de Vortex Optics et à la munition 6,8x51mm (.277 Fury).

Principaux concurrent du programme NGSW

L'un des éléments les plus importants du programme NGSW, au-delà des plateformes, était de proposer un nouveau type de munition "hybride", avec la restriction d'utiliser un projectile de 6,8mm de diamètre, permettant de se place exactement entre la 7,62 OTAN (.30 caliber) et la 5,56mm OTAN (.22 caliber).

Les différents fabricants ont donc proposé des armes utilisant des munitions conceptuellement différentes de l'habituelle balle chemisée cuivre avec un étui en acier laqué ou laiton.

SIG et Winchester proposent une munition à étui hybride, avec un culot en acier et une enveloppe en laiton.

General Dynamics Ordnance, une munition a étui composite polymère plastique/métal fabriquée par True Velocity.

Textron, une munition télescopique (où la balle est contenue dans l'étui et placée au milieu du propulseur, au lieu d'être devant celui-ci).

 

La munition choisie est donc l'étui hybride de SIG/Winchester. Loin d'être révolutionnaire.

 

Si le programme a un air de déjà-vu, c'est probablement car il donne l'impression d'être sorti tout droit des restes du programme ACR (Advanced Combat Rifle) développé pendant les années 80, pour l'étude de nouveaux systèmes d'armes légères devant remplacer le M16A2 dans l'armée américaine.


Ce nouveau programme n'est pas la première fois que les américains tentent de trouver un remplacement au fusils M16 et M4 en service dans ses forces armées. Tous les dix ans, grosso modo, un nouveau programme est lancé pour essayer de trouver quelque chose de mieux, dans une dimension qui soit assez quantifiable pour pouvoir être qualifiée comme étant un changement dans l'état de l'art

Beaucoup de pays le font dans tous les domaines, cherchant toujours comment prendre l'avantage, sans compliquer leur logistique et l'entraînement de leurs soldats.

Le programme SALVO, dans les années 50, mènera à l'adoption du 7,62x51mm comme calibre principal (et son imposition aux alliés de l'OTAN, face au .280/7mm British conçu pour le fusil EM-2).

La conclusion de SALVO sera cependant de continuer l'étude des munitions dites "intermédiaires", se plaçant entre les munitions de fusil issues de l'arrivée de la poudre sans fumée en 1896 (.303 anglais, .30-06 Américain, 7,92 Mauser...), considérées trop puissantes pour les fusils d'assaut introduits pendant les dernières années de la seconde guerre mondiale, et les munitions de pistolet (9mm Mauser, 7,65 Tokarev, .45 ACP...) utilisées dans les pistolets-mitrailleurs pour le combat à plus courte distance.

Ces études, suivant la conclusion de SALVO, mèneront au développement d'une version Magnum de la .222 Remington destinée à la chasse de petit gibier. Combinée aux études de Stoner et Sullivan chez ArmaLite en Californie, la nouvelle munition donnera, en 1965, l'adoption du fusil d'assaut M-16 en 5,56x45mm (.223 Remington).

ArmaLite AR-15 original. Les éléments issus de l'AR-10 en 7,62 sont bien visibles, comme le levier d'armement protégé par la rampe de la hausse.

Le M-16 est un changement de paradigme dans l'armée américaine. Si le fusil M14 n'est pas beaucoup plus qu'un M1 Garand avec un chargeur démontable (Beretta arrivera au même résultat en partant du Garand avec son BM-59), le M16 est résolument moderne : les éléments habituellement en bois (crosse, poignée pistolet, garde-main) sont désormais en polymère plastique plus léger, les pièces en acier sont remplacées autant que possible par un alliage d'aluminium, la munition plus légère permet un tir en rafales contrôlable...

Mais cela n'empêche pas l'US Army de lancer immédiatement un nouveau programme pour trouver son remplacement. Et avec de bonnes raisons : le M14 a été adopté en 1959 et remplacé en 1965, le département de la défense américain n'a pas de raison de penser qu'un nouveau remplacement ne sera pas développé sous 10 ans.

Le projet SPIW (Special Purpose Individual Weapon) est donc lancé dans les années 60. Le SPIW est globalement une nouvelle version de SALVO, cherchant à développer la nouvelle munition du futur (et le fusil allant avec), mais cette fois avec un petit calibre (.22) au lieu d'un gros (.30). Les différents acteurs proposeront des munitions fléchette, des munitions a sabot (telles que celles utilisées sur les chars de combat, en plus gros calibre), des munitions télescopiques, des balles doubles...

SPIW de AAI Corporation, tirant des munitions fléchette de petit calibre, avec lance-grenade intégré

La conclusion de SPIW sera l'adoption finale du M16 en 1966. Project NIBLICK, un projet tangentiel du SPIW visant à créer un lance-grenade intégré pour l'infanterie, mènera cependant au développement de la munition de 40mm basse pression, et aux lance-grenades XM148, M-79 et M-203.

Lance-grenades 40mm XM148 monté sur upper M16E1

L'US Army ressuscitera le programme trois ans plus tard, en 1969, sous la forme du programme "Future Rifle". Future Rifle sera mis en sommeil par le congrès américain, qui l'accusera de dépenser l'argent du contribuable en frivolités.

"Future Rifle" de AAI

En 1986, 10 ans après la fin du conflit au Vietnam et 4 ans après l'adoption du M16A2 (version modifiée du M16A1 utilisant un canon plus épais, rayé pour la nouvelle munition SS109 au standard OTAN), le programme ACR (Advanced Combat Rifle) est lancé. Une nouvelle fois, il étudie la possibilité de remplacer les munitions à balle chemisée et étui laiton avec poudre sans fumée.

ACR verra l'introduction et le test des habituelles munitions duplex (2 balles tirées par la même cartouche), fléchettes... mais cette fois, Hughes Helicopters propose une munition avec étui plastique (basé sur les munitions de chasse à étui hybride plastique/laiton), et Heckler & Koch sa munition sans étui, combinée au fusil d'assaut G11 développé pour l'armée Allemande.

Le programme ACR se terminera en creux, l'US Army ayant demandé une amélioration de performances de 100% par rapport au M16A2, à 200m de distance. Encore une fois, nous retrouvons cette nécessité de changement de paradigme.

Cependant, une des leçons du programme ACR sera l'importance des optiques de visée pour l'amélioration des performances de l'infanterie. A ce stade, la seule arme d'infanterie à posséder une optique grossissante d'origine est le Steyr AUG, équipé d'une optique x1,5. Avec les résultats de ACR, l'équipement des armes d'infanterie avec des optiques s’accélérera. H&K, dans les années 1990, proposera le G36 équipé d'origine avec un couple lunette/red dot, et l'US Army commencera à déployer des optiques avec ou sans grossissement sur le M16A2 et la carabine M4.

Elcan M79. Montée sur le prototype de l'ACR de Colt, l'Elcan sera adoptée par les forces armées canadiennes, puis par les forces spéciales Américaines.

Le M16 ACR mènera quand à lui Colt à proposer le M16A3 et le M4A1, tous deux équipés de poignées de transport/hausses démontables, donnant accès à un rail Mil-Spec-1913 pour le montage d'optiques de visée.

M16A4 présentant le remplacement de la poignée de transport d'origine par une optique ACOG 4x32.

Le programme G11 et les munitions sans étui de H&K, de leur côté, se retrouvent dans l'impasse suite à l'implosion du bloc de l'est entre 1989 et 1991. Adopté en cours de développement par la Bundeswehr, le coût du G11 est considéré comme exorbitant, face à une menace désormais disparue. D'un autre côté, l'Allemagne a besoin d'argent pour la réunification et la "mise à niveau" de l'Allemagne de l'Est.

La Bundeswehr adopte le G36, moins coûteux, basé sur une mécanique d'AR18 et chambré en 5,56x45mm OTAN. Les munitions sans étui sont rangées au placard.

Elements constitutifs de la munition sans étui de 4,7mm DM11 : propulseur solide, amorce, balle, bague de centrage plastique.

En 2010, en plein conflit Afghan et Irakien, l'US Army lance l'Individual Carbine Program, sensé étudier le remplacement de la carabine M4 par une autre plateforme en 5,56x45mm. Le programme sera bouclé sans entraîner de changements, mis à part chez les forces spéciales américaines, qui adopteront en nombres réduits le SCAR et le HK416.

Au milieu de tout ça, et d'une certaine façon indépendamment de tous ces programmes, on trouverai également l'OICW (Objective Individual Combat Weapon). Faisant partie du programme d'intégration technologique "Future Warrior" (combattant du futur), le XM29 OICW est conçu pour tout intégrer : un fusil d'assaut, un lance-grenade "intelligent" (dont les grenades peuvent être programmées selon le type de cible), optiques de visée avec compensateur balistique, télémètre, visée déportée...

XM29 OICW, le fusil du futur... en 1995.

Après divers tests et l'explosion du système en plusieurs pièces, les derniers restants du programme OICW (le lance-grenades XM25 et le fusil d'assaut XM8, un G36 modifié), seront annulés en 2005.

Le Next Generation Squad Weapon, c'est nouveau ?

Comme cela devient probablement évident, le NGSW n'est rien de nouveau.

Tellement rien de nouveau que SIG, durant Eurosatory 2022 (donc après la signature des contrats officiels avec les américains), présentait le XM5 (aujourd'hui XM7) et le fusil-mitrailleur XM250 chambrés en 7,62x51mm, la munition standard OTAN.

XM5 'US Army' a Eurosatory 2022, chambré en... 7,62.

Clairement, SIG n'est pas près à mettre tous ses œufs dans le même panier. Même si les contrats sont signés, et les tests de terrain programmés (en théorie), il n'est pas impossible que, comme lors des programmes précédents, les américains ne fassent pas demi-tour.

Pour plusieurs raisons:

Le changement de calibre n'a pas vraiment de sens. La munition de 6,8x51mm est un retour en arrière, et un retour en arrière de plus d'un demi-siècle. C'est une munition de fusil équivalente, peu ou prou, au 7mm Mauser de 1892 : une balle légèrement plus petite dans l'étui bouteille d'une munition de fusil déjà existante. Les changements de balistique et de puissance sont intéressants pour du tir de précision, mais complètement hors de propos pour un usage généralisé.

Fusil XM7

 

La puissance et le recul plus élevés changement complètement le mode d'utilisation. Les soldats passeront d'une munition permettant de doubler les tirs (très utile contre des cibles en mouvement) à une munition obligeant de toucher au premier tir, pour éviter de perdre la cible, comme avec le Garand ou le M14.

La puissance et le recul nécessiteront également d'augmenter le nombre d'heures d'entraînement pour maîtriser l'arme. L'US Army a d'ailleurs déjà annoncé que les munitions d'entraînement seront moins puissantes que les munitions de déploiement, ce qui aura un effet positif sur la vitesse d'entraînement, mais négatif sur les performances sur le terrain...

Les arguments de précision et de portée sont, au mieux, tendancieux. Un M4 ou HK416 fabriqué en 2023 est largement plus précis que 95% de ses utilisateurs. La portée, elle, est une leçon tirée de l'Afghanistan, et des tirs de harcèlement à longue distance subis dans le cadre d'une guerre asymétrique. Avec le retour de la guerre symétrique en Ukraine, et le fait que les tirs de harcèlement sont souvent traités à l'arme lourde, la leçon de la portée de l'infanterie semble être étrange. Sachant que la vaste majorité des engagements d'infanterie se font toujours à moins de 200m, et que les cibles au-delà peuvent habituellement être traités à l'aide d'une arme collective, souvent montée sur un Véhicule de Combat d'Infanterie...

L'argument suivant est celui de la protection balistique. Les forces Chinoises et Russes étant "définitivement" équipées de protections individuelles du même niveau que celles utilisées par les États-Unis, il serait nécessaire que l'infanterie transporte des fusils capables de percer ces protections balistiques.

Fusil-mitrailleur XM250

 

Cette logique est contredite par deux choses : la première est le développement dans les années 80 du programme PDW, sensé permettre aux troupes de l'arrière de pouvoir combattre des parachutistes/commandos soviétiques équipés de protections modernes. Les P90 et MP7 ont étés développés dans ce but. Mais, en 2022, tout le monde a pu constater que les parachutistes russes n'étaient en fait pas tous équipés de vestes pare-balles, et que même avec leurs protections balistiques modernes, ils ne faisaient pas long-feu face à des ukrainiens armés de façon moderne,  utilisant des munitions classiques (7,62x39, 5,45x39...).

Le deuxième élément contredisant la théorie du pare-balles est que, pour tout l'usage que les protections individuelles ont contre les munitions d'armes légères, leur principal rôle reste la protection contre les éclats d'artillerie ou de grenades. L'artillerie restant maitresse du champ de bataille, comme nous pouvons le voir actuellement en Ukraine. Même le meilleur gilet de protection actuel pourra être défait par plusieurs tirs direct avec une arme légère.

"L'armée Américaine a déjà passé commande et une usine est prête à produire les munitions"

MP5/10 en 10mm Auto
 

Pour cet argument-là, je me rabattrai sur l'expérience du FBI avec le 10mm Auto. Adopté en 1989 en réaction à une fusillade où les agents du FBI se sont retrouvés en difficulté avec leurs revolvers en 9mm, le 10mm Auto est abandonné en 1994 suite à des problèmes d'entraînement et de maîtrise par les agents. La munition ne restera en service que sur les MP5/10 avec le Hostage Rescue Team (unité d'élite avec des temps d'entraînement très élevés), avant d'être remplacée par le 5,56mm dans les années 2010.


Dernier argument, et non des moindres : les tests de terrain doivent débuter en 2024.

Les tests de terrain peuvent détruire le programme, tout simplement. Et considérant la masse élevée du XM7 (presque 4kg à vide, contre 3kg pour une carabine M4 SOPMOD2), il est possible que les remarques négatives arrivent avant même que les soldats ne commencent à tirer.

Viendra ensuite l'épreuve du coût, s'il est nécessaire de remplacer toutes les armes en 7,62x51 et 5,56x45mm de l'armée américaine : mitrailleuses coaxiales sur les véhicules blindés, M134 sur les hélicoptères et les navires...


Et, dans tous les cas, l'adoption de la nouvelle munition 6,8mm crée un problème d'interopérabilité logistique avec le reste de l'OTAN. Mais cela, les américains ne semblent pas s'en soucier. Probablement persuadés qu'ils pourront simplement imposer leur choix de façon unilatérale, comme ils l'ont fait en 1959 avec le 7,62mm.