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dimanche 12 mars 2023

Guerre en Ukraine, la IIIe Guerre Mondiale à nos portes ?

 Disclaimer : Ce papier a été publié pour la première fois sous forme de fil Twitter le 17 octobre 2022. Les  éditions seront indiquées entre [crochets]. 
Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et force des décisions éditoriales.
 

[L'une des marottes des réseaux pro-Kremlin, et les idiots utiles répétant leurs points de vue, depuis le début du conflit en Ukraine,est de parler de l'avènement de la 3e Guerre Mondiale.]

Et, dans le tas, beaucoup de gens semblent ne pas savoir, ou ne pas comprendre, ce qu'est une "Guerre Mondiale".

 

Exemple de personne avec un auditoire public, qui ne comprend pas ce qu'est une Guerre Mondiale, ou ment au public de façon volontaire.

Beaucoup de gens présentent un affrontement entre le Pacte de Varsovie et l'OTAN en Europe dans les années 1980 comme étant une guerre mondiale. 

Dans le genre Tempête Rouge de Clancy. 

Red Storm Rising, ou Tempête Rouge en français, raconte un affrontement entre les Soviétiques et l'OTAN en Europe, sur fond de crise économique en URSS au milieu des années 80.
 

Et donc, dans cette logique, un affrontement entre la Russie et les forces d'un ou plusieurs pays de l'OTAN en Ukraine serait la IIIe Guerre Mondiale.

Seulement, une guerre mondiale, ce n'est pas une guerre où des gens viennent de la terre entière pour, poliment, se mettre sur la gueule.

C'est une guerre où les théâtres d'opérations s'étendent sur tous les continents, ou presque (l'Antarctique ne compte pas, étant une zone internationale sans population).

 

 

  • La Première Guerre Mondiale (1914-1918)

De par notre point de vue d'Européens, nous regardons la 1ère Guerre Mondiale comme étant purement Européenne. Cependant, si c'était le cas, ce serait juste une guerre Franco-Prussienne classique. La guerre de 1870 est-elle une guerre mondiale ? Non, pas plus que les campagnes Napoléoniennes, qui se sont pourtant étendues sur tout le continent Européen.



Cependant, en 1914, par le jeu des colonies, après la déclaration de guerre le conflit s'étend à l'Afrique, où les troupes coloniales allemandes, comme les Askari de Von Lettow-Vorbeck, tentent de garder le contrôle de l'empire colonial face à des troupes alliées supérieurs en nombre, équipement, et ayant accès à leur métropole pour le ravitaillement.

Troupes coloniales allemandes Askari, et leurs officiers impériaux Allemands, 1914

Les colonies sont également un argument de recrutement pour les alliés : les sud-africains et portugais se voient promettre des territoires contre leur aide en Europe, et à la fin du conflit les colonies allemandes seront distribuées entre les vainqueurs.

Troupes coloniales Anglaises en Afrique

L'est de l'Asie et l'Océanie seront, de même, emmenées dans la guerre, avec l'attaque et la capture des colonies et comptoirs allemands dans le Pacifique et en Chine. Les allemands tenteront de fomenter une révolte en Inde, sans succès. 

Troupes allemandes lors du siège de Tsingtao (Qingdao) par les troupes japonaises et anglaises

L'Asie sera également concernée par des batailles alliées contre les Ottomans (alliés des empires Allemand et Austro-Hongrois), et les révoltes arabes - motivées par les pays de l'Ouest - en Asie Mineure. L’Amérique du Sud, elle, ne sera concernée que par des batailles navales, le long de ses côtes. 

Donc 5 continents sur 6 sont concernés par les affrontements, et nous avons déjà dit que l'Antarctique ne compte pas. 

Mondiale, la guerre, comme disait Coluche. 

 

 

  • La Seconde Guerre Mondiale (1939-1945)

Concernant la seconde Guerre Mondiale, je vais faire plus rapide et plus simplifié, car tout le monde (ou presque) est conscient de sa dimension internationale, et inter-continentale : 

Expansion maximale des forces Allemandes (et leurs alliés) en novembre 1942.

 

- Allemands en Europe et Afrique du Nord 
- Japonais en Chine, quasiment jusqu'à l'Inde, qui descendent jusqu'à la mer de Corail, limite de l'Océanie.

L'Amérique, une fois de plus touchée principalement par les batailles navales, entre les raideurs allemands (sous-marins et navires de surface) et les marines alliées.

Expansion maximale japonaise, 1942

  • Le scénario Ukrainien

Maintenant que nous avons vu ce qu'est une Guerre Mondiale, nous pouvons étudier un scénario "Tempête Rouge" en Ukraine.

On a deux blocs : La Russie, avec des achats de matériels Iraniens et Nord-Coréens d'un côté, et l'Ukraine, aidée par ventes & dons de matériels OTAN de l'autre.

Carte de situation dans Tempête Rouge de Tom Clancy, avec un engagement direct entre les forces Soviétiques et de l'OTAN

Où se passent les combats ? 

En Ukraine, et quelques bombardements au-delà de la frontière Russe. 

Quels autres endroits ? Nulle part

Donc nous sommes dans une guerre se déroulant sur un terrain restreint en Europe. C'est tout.

[NDR : au 12/03/2023, les combats, hors quelques frappes sur des bases russes, ne sortent pas des frontières terrestres et maritimes de l'Ukraine telles que définies en 1991.]

Carte animée du front en Ukraine, de Février à Août 2022, montrant la sectorisation très limitée des combats
 

Mais, j'en entend dans le fond qui hurlent "oui, mais si l'OTAN s'en mêle sur le terrain ?"

Et je leur répondrai "Si l'OTAN s'en mêlait, et attaque la Russie, et qu'on appelle ça une 'Guerre Mondiale', alors il faudra faire des requalifications, et ça sera la 4e guerre mondiale, pas la 3e".

Pourquoi ? C'est simple :

 

 

  • La guerre où tout le monde est contre tous les autres de façon ouverte, mais pas mondiale

 

La Guerre de Corée, 1950-1953 (combats), 1950-présent (techniquement)

De 1950 à 1953 (techniquement jusqu'à aujourd'hui, la paix n'a jamais été signée) s'est déroulé un truc appelé la "Guerre de Corée". Une guerre symétrique (ou "near-peer" comme on dit de nos jours), avec d'un côté les Nord-Coréens, les Chinois et les Russes (oui, tous avec des troupes sur le front, pas juste de l'aide).

 De l'autre côté, les Sud-Coréens, et des troupes :
- Américaines
- Françaises
- Anglaises + Commonwealth
- Turques
- Thaïs
- Philippines
- etc...

On va passer les détails, mais en gros tout le monde est là, y compris des éthiopiens, des colombiens et des sud-africains.

 

Char d'assaut Centurion anglais en Corée, 1951.

Cet engagement largement international, en Corée de 1950 à 1953, est dû en grande partie a l'ONU et à sa résolution n° 83, du 27 juin 1950, recommandant une aide des états membres à la Corée du Sud.

Mais si les deux blocs s'affrontent de façon complètement ouverte (Les forces de l'ONU combattent sous leurs propres pavillons, les Chinois sous le leur, et les Soviétiques engagent leur armée de l'air de façon à peine voilée), le terrain des affrontement se limite à la péninsule Coréenne, les forces de l'ONU faisant même spécialement attention à ne pas franchir la frontière Chinoise en 1950, malgré la poussée véhémente de Douglas Mac Arthur.

La guerre de Corée serait donc la 3e "Guerre Mondiale", si l'on considère que c'est une question de représentativité, et non de champs de batailles.

Hors la Guerre de Corée, jusqu'à aujourd'hui, reste la guerre de Corée. Pas la 3e Guerre Mondiale. Ou même la 2,5e Guerre Mondiale.

Les gens qui soutiennent que la guerre en Ukraine va mener à la 3e GM et que l'on devrait laisser les Russes gagner, probablement.

  • En conclusion, non, la 3e Guerre Mondiale n'est pas pour demain

Du coup, guerre en Ukraine qui tournerait à la guerre mondiale? 

Oui mais non. 

Même si les russes déploient des Coréens ou des Iraniens sur le front... 

Même si l'OTAN décidait d'attaquer la Russie... 

Parce que les forces de l'OTAN sont en Europe, et n'ont pas besoin d'en sortir : Moscou est à quelques heures des pays baltes en AMX-10RC.

Trajet entre Terehova, à la frontière Lettone, et la Place Rouge à Moscou. Pas besoin de sortir de l'Europe continentale !

Pour avoir une guerre mondiale, il faudrait que les Russes attaquent le Japon et les États-Unis sur leur sol, et l'armée française en Afrique.
Et même s'ils étaient assez idiots pour le tenter, au jour d'aujourd'hui, ils n'auraient pas les capacités pour.
A part en envoyant 3 clampins en scooter...

Et donc, maintenant, vous savez pourquoi les gens qui crient à la Guerre Mondiale vous racontent des bêtises.

A  bientôt pour de nouvelles aventures.


lundi 20 février 2023

L'entrée en guerre de la Biélorussie, ou l'Arlésienne orientale.

 Ces derniers jours, de nouveau, plane le spectre d'une attaque des forces biélorusses en Ukraine.

Cette invasion, annoncée depuis mars 2022, n'arrive pas, au plus grand étonnement de certains analystes occidentaux, et orientaux.

L'absence d'engagement de l'armée Biélorusse est effectivement étonnante, en surface. Les russes accusent l'Europe et les Etats-Unis de cobelligérance avec l'Ukraine, mais la Biélorussie est probablement le seul pays qui s'approche de la définition. En effet, les camps militaires biélorusses et le pays tout entier ont servi de lieu de préparation et de base arrière pour une partie de la force d'invasion Russe, avant et après le 24 février. Les forces de Moscou ont attaqué en direction de Kiev en allant au plus court, et ce plus court passait directement par la Biélorussie, qui ne s'est pas faite prier pour offrir ses routes, ses camps et ses voies ferrées à l'envahisseur.

Carte du MoD anglais montrant les axes d'attaque, donc certains passent par la Biélorussie.

De même, lors du repli des troupes russes de la région de Kiev début avril, nombreuses ont été les unités russes qui sont passées par la Biélorussie, et les soldats russes empoisonnés après avoir creusé des emplacements dans la "Forêt Rouge" de Tchernobyl ont étés envoyés à l'hôpital de Minsk.

Le soutien de la Biélorussie à l'invasion russe n'est donc pas à démontrer.
Cependant, malgré les annonces des deux côtés de la frontière, l'armée biélorusse ne se matérialise pas. Elle reste l'arme au pied, dans ses casernes.
Elle ne manque pas pour autant de nous montrer des vidéos où ses soldats forment des pyramides, sautent à la corde (avec la corde en feu), ou se cassent des briques sur le crâne. Tant de démonstration qui, si elles seraient impressionnantes sous le chapiteau de Pinder ou au Cirque d'Hiver, entre les tigres et le trapèze, n'ont aucun intérêt pour une force armée.

Alexandre Loukashenko dévoile la carte de l'invasion russe à la télévision, le 1er mars 2022 / Daily Beast
 
Alors, si la Biélorussie se pense si forte, et si les liens sont si serrés avec le Kremlin, pourquoi ne pas se joindre à la guerre ? Après tout, Alexandre Loukashenko, président "élu" de la Biélorussie, a affiché son soutien à Vladimir Poutine plus d'une fois.
Nous l'avons vu, la Biélorussie sert de base arrière à la Russie, et a également été utilisée pour le lancement de missiles de croisière sur les villes ukrainiennes.
Certaines sources ont également mentionné que la Russie fait ses "courses" en Biélorussie, chargeant des véhicules anciennement sous cocon (dont nombre de T-72) pour les transférer à ses propres troupes. La Biélorussie a également tenu des exercices avec la Russie, en janvier 2022 (qui ont servi de couverture pour la mise en place de l'invasion), en octobre, puis en janvier 2023.

La menace d'offensive suite a de nouveaux exercices en Biélorussie en octobre 2022 / Le Point

Les raisons de cette arlésienne Biélorusse ne manquent pas.
  • L'armée biélorusse n'a aucune capacité de combat
La Biélorussie est un satellite de la Russie, membre du CTSO. Le Kremlin de Poutine a dit, et démontré maintes fois, qu'il ne laissera pas ses vassaux tomber aux mains de l'UE ou de l'OTAN.
Et il sait pertinemment que ni l'UE, ni l'OTAN n'utiliseront la force pour s'imposer. Les deux organisations travaillent selon un schéma de bienveillance.
Le meilleur moyen de maintenir un pays dans le giron russe est donc de maintenir son armée sous les capacités de l'armée russe. Il suffit de regarder l'Ukraine pour s'en convaincre : avant 2014, malgré des dépenses élevées dans son armée, l'Ukraine gardait une capacité de combat très inférieure. C'est la principale raison pour laquelle la Crimée et une grande partie du Donbass et Luhansk sont tombés aux mains des russes (car nous savons tous que les "indépendantistes" n'en sont pas) en 2014-2015 : le maintien des forces ukrainiennes à un niveau très inférieur, pour assurer leur défaite au cas où le pays se refuse à la Russie.
L'armée Biélorusse est dans le même état : ses équipements étaient déjà datés à la chute de l'URSS, et n'ont pas vraiment évolué depuis. Et si la Russie n'arrive pas à avancer face aux Ukrainiens, quel espoir a la Biélorussie?
  • Loukashenko craint la réaction de la population, et de l'opposition
Dès le déclenchement du conflit, une partie de la population biélorusse a activement ou passivement saboté l'effort russe. Sabotages des lignes ferrées pour bloquer la logistique, partage des mouvements sur les réseaux sociaux...
La population biélorusse ne suit pas son chef. Elle s'était déjà rebellée en 2020 après les dernières élections truquées, la situation n'est pas assez stable pour que le Lider Maximo (qui se réclame dernier dictateur d'Europe)se prive d'une force armée qui lui permet de maintenir diverses forces d'opposition "dans le droit chemin".
  • La frontière ukrainienne n'est pas praticable
Suite au retrait russe de la région de Kiev, les ukrainiens ont, logiquement, fortifié la frontière.
Si en janvier 2022 elle se limitait à des postes de garde et un peu de barbelé, aujourd'hui la donne n'est plus la même.
Le gouvernement Biélorusse s'est d'ailleurs plaint que les ukrainiens avaient détruit tous les ponts connectant les deux pays.
Les Biélorusses sont conscients que la frontière est désormais un immense champ de tir. Avec 10 mois de calme dans le secteur, les ukrainiens ont probablement repéré et cartographié toute les approches possibles et imaginables, créé des glacis et des entonnoirs, et minés les axes que les véhicules pourraient encore emprunter.
Les forces tentant de traverser la frontière se retrouveraient donc face à une défense bien préparée, et ne pourraient entrer en Ukraine qu'après de lourdes pertes.
L'armée biélorusse, qui ne comprend même pas 60 000 hommes d'active, équipés de matériels largement dépassés, ne durerait probablement pas longtemps dans ce type d'offensive.

Loukashenko, équilibriste ou pitre? / Twitter

Contrairement à ce que l'on pourrait penser de lui en écoutant/lisant ses interventions, Alexandre Loukashenko n'est pas un sombre crétin. A l'époque soviétique, il monte pas à pas les marches vers le pouvoir suprême biélorusse. Elu pour la première fois à la tête de l'état en 1994, il a réussi à se maintenir jusqu'à aujourd'hui, en 2023. Certains universitaires russes avancent même qu'il a été pressenti pour la présidence Russe, avant de se faire voler la vedette par un certain Vladimir Poutine.
Il a également, contrairement à son homologue russe, placé ses pions pour un maintien à la tête du pays après sa mort. Il entend fonder une dynastie (aspiration compréhensible venant d'un homme né d'un père inconnu), et veut donner les clés su pays à son troisième fils, Nikolaï.
Difficile de céder le pays à sa progéniture s'il se retrouve renversé, ou pire.

Il utilise donc ses talents de politicien et comique troupier pour se maintenir aux rênes du pouvoir. Il en fait juste assez pour ne pas attirer l'ire de son maître du Kremlin, mais pas assez pour que l'Ouest décide de lui mettre des bâtons dans les roues en soutenant réellement l'opposition, intérieur comme extérieure.

Les paris sont donc ouverts : La Biélorussie finira-t-elle par réellement s'engager dans le conflit, ou son "chef" réussira-t-il à ménager la chèvre russe et le chou ukrainien ?

Seul l'avenir nous le dira.

vendredi 17 février 2023

"Ce qu'il se passe en Ukraine, t'en penses quoi ?"

Le problème, quand on s'intéresse à la chose militaire, c'est que les gens s'en rendent compte.

Et du coup, quand il se passe des choses "militaires" qui nous impactent, des questions sont posées.

Pas toujours de façon habile, mais qui pourrait le condamner ? La majorité des gens ne savent pas quelle question poser, et les réponses ne sont pas simples non plus.


La question d'origine, en février 2022, était : "La guerre en Ukraine, t'en penses quoi ?"

Et la réponse, depuis février 2022, est : "ça dépend".

Seulement, ça dépend, bah ça dépasse...

Une guerre, ça n'est pas un blob homogène, qui s'explique, ou s'analyse, en deux phrases. Les guerres terminées depuis plus d'un siècle sont encore sujettes à débat, y compris chez des gens qui sont du même avis. Donc une guerre encore en cours, c'est compliqué.

Après, on peut dire que la guerre, c'est mal. C'est bien, mais ça ne fait pas avancer le schmilblick.

Tout d'abord, qu'on s'accorde sur une chose : je suis un militariste, mais pas un belliciste. Je suis pour une armée puissante et bien entraînée, mais aussi pour qu'elle ne serve pas à envahir les autres sous des excuses fallacieuses, comme celle de la langue parlée, par exemple, qui a le vent en poupe (comme dans les années 30). Donc la guerre, personnellement, je ne trouve pas ça drôle. Je n'ai pas étudié une guerre qui ait fait marrer qui que ce soit, surtout ceux qui sont revenus les pieds devant. Je n'ai pas parlé à un seul soldat ayant fait la guerre (la vraie, où l faut tirer sur des gens qui vous tirent dessus en retour) que ça ait fait rire.

Malheureusement, nous sommes des animaux, et les animaux se foutent sur la gueule régulièrement, pour des raisons qui leur sont propres, et qui leur paraissent super sérieuses sur le coup. Même si elles peuvent paraître idiotes plus tard. Ce n'est pas pour rien que Brassens chantait :

Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente

Jugeant qu'il n'y a pas péril en la demeure
Allons vers l'autre monde en flânant en chemin
Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure
Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain

 

Mais revenons à l'Ukraine, et au thème : l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • La guerre en Ukraine, évitable ?

Pour commencer, malheureusement, j'en pense que c'est une de ces choses que je voyais, personnellement, comme inéluctable, mais sans empressement de nous trouver dedans. Et les louvoiements politiques des années 2014 à 2021 trouvent leur origine, je pense, dans cette sorte de pensée magique. On s'imaginait pouvoir jouer la montre, et que l'empereur des Russes irait passer l'arme à gauche avant de se souvenir qu'il aime à imposer son opinion sur ses voisins, par la force de préférence.

C'était tellement inéluctable qu'il était nécessaire de blaguer sur le sujet, comme l'atteste cette saisie d'écran du 23 février 2022, tard dans la soirée :

Bonne blague à faire juste avant le déclenchement d'une guerre.

 

Et la surprise, en se levant le lendemain...

Notre "there will be peace in our time", c'est de n'avoir rien fait lorsque les russes ont envahi, de nouveau, la Tchétchénie. La Géorgie en 2008. L'Ukraine en 2014. Au contraire, jusqu'en 2015, on a fait pire que ne rien dire : au lieu d'isoler la Russie (contrairement à ce que sa propagande essaye de nous faire gober), on est allés leur vendre à manger, à boire, des équipements de haute technologie, on a investi chez eux. On a pensé, de façon collective, que si on les traitait comme des amis, ils nous traiteraient également comme tels.

Qu'en tant que gens civilisés, nous nous devions de les traiter comme des gens civilisés.

Même quand ils pourrissaient nos élections.

 

l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Humainement

Au-delà du reste, l'humain reste au centre de la guerre.

Pour commencer, ceux qui souffrent depuis 2014, et la première invasion russe. Celle des petits hommes verts, des "gens polis". Des "indépendantistes", ces soldats russes déguisés en Ukrainiens, qui créent une guerre avant d'aller se plaindre que ça tue des civils.

Puis, depuis février 2022, les milliers de civils morts. Les déplacés. Les déportés. Les enfants envoyés en rééducation.

Puis, tous ceux qui, de civils, ont dû devenir militaires, et sont morts au front, en défendant quelque chose. Leur pays, leur famille, leur ville. Leurs idées. Leurs idéaux.

La guerre en Ukraine est une tragédie. Pour les ukrainiens, envahis par une puissance hostile.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Ma vision pré-invasion

Je ne ne vais pas me voiler la face, je fais partie de ceux qui pensaient que les russes allaient avancer comme dans du beurre, sur la première centaine de kilomètres.

Songez, l'armée russe ! Un million d'hommes au bas mot. Du matériel (relativement) moderne. Des stocks à ne plus savoir qu'en faire. La propagande le disait haut et fort. Et si la Syrie était un mauvais exemple de la maîtrise du combat par l'armée russe, ça restait une armée de premier ordre.

Donc, dans mon scénario personnel du 24 février, les russes allaient avancer relativement vite jusqu'à ce que les ukrainiens puissent se rattraper, puis être obligés de s'arrêter pour consolider leurs acquis. Le gouvernement et commandement ukrainien irait se replier dans les Carpates, faciles à défendre, et on allait voir se développer une guerre hybride, avec une ligne de front potentiellement gelée sur une ligne Odessa-Kyiv-Lviv (grosso modo), et un pourrissement d'une occupation russe inadaptée. Une défaite sur 10-15 ans de combats de basse intensité.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • La réalité militaire

La réalité, c'est que les russes n'ont jamais réussi à consolider leurs acquis. Spécialement dans le Nord, d'où ils se sont retirés fin mars.

Avancée maximale de l'armée russe, source War Mapper sur Twitter

Bien entendu, comme beaucoup, à partir du 24 je suis scotché sur les réseaux, qui nous passent l'Ukraine en boucle. Je reconfigure mon compte Twitter pour me limiter aux nouvelles d'Ukraine. Je trouve quelques têtes de pont comme le britannique Mike Martin (@ThreshedThought) ou le général australien Mick Ryan (@WarintheFuture), qui me mènent à leur tour vers des analystes ou des comptes sérieux. Comme tout un chacun, je m'abonne à Oryx (@oryxspioenkop), pour suivre les pertes des deux côtés.

Et très rapidement, des éléments étranges commencent à apparaître.

Tout d'abord, ce sont des photos et vidéos de soldats russes. Ils ont étés abattus alors qu'ils mangeaient. Le moteur de leur camion ou BMP tourne encore. Ils déjeunaient tranquillement, hors de leurs véhicules. Ils ne semblent pas avoir posté de gardes. Les véhicules sont isolés.

Ce type de vidéo apparait une fois, puis deux, puis une dizaine de fois. Les troupes russes, en terrain ennemi, ne pratiquent aucune sécurité. Les véhicules logistiques et les ouvreurs (BMP, BTR, Iveco LMV...) semblent se déplacer de façon isolée, sans protection. Ils se comportent comme s'ils avaient déjà gagné, et que le pays leur était acquis.

Puis arrivent les "vraies" attaques. Les convois en cours de ravitaillement qui sautent. Les camions logistiques en convois qui sautent. Clairement, les russes n'ont pas sécurisé leurs arrières. Mais pire, les ukrainiens semblent l'avoir prédit, et laissé des unités derrière les lignes (ce qui se confirmera plus tard).

BM-21 russe en feu, 1er mars 2022

Arrivent ensuite les pannes d'essence. Les russes stoppent leur offensive, car ils n'arrivent pas à faire suivre le ravitaillement. Cela peut se comprendre pour une armée qui avance rapidement, et a été le cas plus d'une fois lors de la seconde guerre mondiale, mais pour une armée sensée s'être préparée à prendre un pays aussi grand que l'Ukraine en moins d'une semaine ? Se reposer sur les station-services civiles pour faire le plein d'un bataillon de T-72 est un peu optimiste.

Et, sur le front, les choses ne se passent pas aussi bien que décrit. Si les T-64 ukrainiens semblent relativement absents suite aux attaques d'hélicoptères des premiers jours, il semble qu'il y a une arme anti-char derrière chaque brin d'herbe.

Tourelle de T-72 dans un champ, 25 mars 2022

Les ukrainiens réussiront également quelques coups de com' pas piqués des hannetons, comme l'affichage des captures de matériels russes, souvent tirés par des tracteurs agricoles.


John Deere ukrainien tractant un poste SAM russe (Buk) lors de la première phase de la guerre

Les matériels russes, de conception relativement dépassée, montrent également leurs limites.

BMD-4 russe. Dû à sa coque en aluminium et son canon à carrousel, le BMD-4 tend à finir en flaque une fois touché...

 

La suite, on la connaît : les russes se retirent du Nord de l'Ukraine. Puis ils reculent au sud et au centre-est.

Aujourd'hui, ils appuient le trait sur des zones où leurs pertes sont élevées (certains rapportent 700 à 1200 morts par jour), probablement dans le but de gagner un peu de terrain, pour le premier anniversaire de l'invasion.

Les défenses anti-aériennes Buk et S400, sensées être les meilleures du monde, ont été plus d'une fois traversées par les ukrainiens, jusqu'à des frappes sur des bases de bombardiers stratégiques.

La flotte de la Mer Noire a perdu du matériel lourd, face à un ennemi qui n'a pas de marine militaire.


De son côté, l'Ukraine a tenu le choc. Ils ont reculé là où ils le devaient, et gardé la maîtrise là où ils ne pouvaient pas se permettre de reculer.

Ils ont absorbé le matériel occidental à une vitesse élevée.

Leurs offensives ont bousculés les russes avec une relative facilité, montrant qu'ils savent attaquer là où l'ennemi n'est pas préparé, et saisir les opportunités.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Et nous, dans tout ça ?

Certains se questionnent sur eux-mêmes.

Et nous, devrait-on souffrir pour les Ukrainiens ?

Mais, souffrir de quoi ? D'un degré de moins dans nos chaumières ? De carburants plus chers ? D'avoir des gens qui mettent la pâté aux russes, et que ça ne nous coûte rien, à part des matériels destinés à la ferraille, pour leur majorité ?

Qu'on ne se voile pas la face : la guerre en Ukraine, à l'échelle des choses, ne nous coûte rien. Nous ne l'avons pas déclenchée, nous n'y avons pas d'hommes ni de femmes. Les bombes ne tombent pas chez nous.

Elle a lieu, qu'on le veuille ou non. La paix serait mieux, c'est sûr. Mais sommes-nous peureux au point de l'imposer à 41 millions (et des poussières) d'êtres humains, contre leur gré, pour notre petit confort personnel ? J'ose penser que les idéaux français sont au-delà de ça. Qu'on pourra se permettre un peu d'inconfort pour permettre à tout un peuple de rester libre, au prix de leur sang.


A bientôt pour la suite.