jeudi 2 mars 2023

Blindés en Ukraine : le décompte des pertes russes

 Disclaimer : Ce papier a été partagé à l'origine en tant que fil Twitter le 4 septembre 2022, en anglais. Les données ayant changé depuis et les éditions seront indiquées entre [crochets].
Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et forcent des décisions éditoriales.

Avec le listing ORYX atteignant les 1000 chars perdus par la Russie en Ukraine [1781 pertes, dont 1050 détruits au 2/03/2023], il est temps de parler un peu de mathématiques, et de perspective.

Tout d'abord, ORYX est une source formidable pour ceux d'entre nous qui n'ont pas le temps de courir à droite et à gauche pour compter les pertes sur le terrain. Ils font un job formidable [NDR : Oryx est une plateforme tenue par des bénévoles, qui font ce travail sans être rémunérés. Merci à eux].

Leur problème est [que, pour les pertes russes,] ils ne peuvent se reposer que sur ce qui est visible sur les médias sociaux, et côté Ukrainien.

Cependant, les pertes de matériel n'arrivent pas que sur le terrain, et n'importe quelle personne ayant fait de la maintenance industrielle ou de véhicules pourra vous dire qu'une partie des pertes ne seront décomptées qu'après avoir été rapatriées dans un atelier de réparation. Et, dans le cas d'un conflit, il y aura toujours quelques équipements réduit à un tel état qu'il sera impossible de les identifier, ou même de les séparer d'autres matériels également détruits au même endroit.

Schéma simplifié du décompte de pertes

[Le compte Partizan Oleg sur Twitter] a effectué un décompte et des calculs il y a quelques mois.

Ils ont pris une version spécifique du T-80 [le T-80BVM, utilisé par une seule unité de l'armée russe], les chiffres existants sur ORYX pour cette version, et les pertes annoncées par l'armée russe.

Résultat : 75 à 86% des pertes reportées par Oryx. Ce qui est, en soi, prévisible. 15 à 25% des pertes non visibles sur le terrain colle à la logique schématisée ci-dessus.

Pour exemple, voir cet exemple d'un Sukhoï-25 russe, qui a pu retourner se poser en Russie, mais dont la cellule a probablement été ferraillée par la suite, dû à l'étendue des dégâts.

Vous allez me demander, mais où vais-je avec ce raisonnement ?

Une très bonne question, que je vous remercie d'avoir posée. Le Kyiv Independant a publié un article rapportant que les forces russes avaient, au 24 février 2022, 3300 chars d'assaut opérationnels (active et réserve).

Pas engagés en Ukraine, mais sur la totalité de la Russie.

Cela semble relativement proche de la réalité [voir cette vidéo de Covert Cabal sur le sujet].

Considérant que la Russie est connue pour ses stocks très long terme d'armement [NDR : Le char lourd T-10 de 1952 n'a été sorti des stocks opérationnels qu'en 1995, par exemple], ajoutons généreusement 700 chars d'origines diverses : LNR, DNR, sorties de cocons, et bien entendu les variantes du T-62 repérées [et déjà détruites/capturées] sur le terrain.

Soit un total d'environ 4000 chars d'assaut au début du conflit.

Oryx nous donne le chiffre de [1050] chars détruits.

En appliquant les chiffres ci-dessus, nous nous retrouvons avec une fourchette allant de 1200 à 1350 chars détruits.

Soit entre 30 et 34% de la totalité des chars de l'armée russe purement et simplement détruits.

A tout ça, on peut ajouter :

  • Endommagés, 86;
  • Abandonnés, 97;
  • Capturés, 548.

Et soudain, nous nous retrouvons avec un niveau de pertes se situant entre 48 et 52% du total des forces russes.

Donc, sur les [12 premiers] mois d'une opération sensée durer 3 jours, la Russie a perdu environ la moitié de son parc total de chars d'assaut, tous modèles confondus, allant du tout dernier T-90M à l'antique T-62.

[A 6 mois, en septembre, je me posait la question suivante :] Où cela nous mène-t-il ?

C'est une bonne question à laquelle je ne peux apporter de réponse.

L'armée Russe va-t-elle dégarnir les frontières pour envoyer plus de blindés modernes en Ukraine ? [Certaines rumeurs en ont déjà fait état, et il a été confirmé que l'armée Russe a pris des T-72 de l'armée Biélorusse pour les intégrer dans ses unités.] Cela montrerai que la Russie a totalement confiance dans le fait que l'OTAN et la Chine n'en profiteraient pas pour des incursions sur le territoire Russe (ce qui irait à l'encontre des accusations du Kremlin, NDR).

Vont-ils déployer sur le terrain plus de T-62, voire des T-54/55 ? En ont-ils toujours sous cocon, qu'ils pourraient remettre en service ?

[NDR : Au 2/03/2023, la Russie a perdu un total confirmé de 65 chars T-62 toutes versions confondues en Ukraine, et ouvert une ligne de reconditionnement de T-62, où des versions A, M, MV sont remises en état et équipées de nouvelles optiques de visées, y compris une caméra thermique 1PN96MT-02.]

T-62MV Obr. 2022, février 2023

[NDR : Le déploiement récent en Ukraine du BTR-50 par la Russie tendrait à confirmer la remise en état de matériels de plus en plus vieux pour leur engagement sur le terrain, dans une logique du "c'est mieux que rien".]

Le fameux T-14 Armata, encensé par la presse Russe depuis qu'il a été dévoilé, raison du développement du canon 130mm par les ingénieurs de l'Ouest, existe-t-il ? Sensé être le nouveau char d'assaut des forces russes, le T-14 ne s'est pas matérialisé autre part que dans les salons d'armement (uniquement en Russie) et lors des défilés sur la Place Rouge.

T-14 Armata, le futur du passé de l'armée Russe depuis 2014

Pour l'instant, le T-14 est un formidable exemple de vaporware militaire. Adopté en 2014 par les forces Russes, sensé être livré à 2300 exemplaires avant 2025, annulé en 2018, ressuscité en 2020, sensé être testé sur le terrain en 2022 (sic), au jour où ces lignes sont écrites, il semble n'être que 4 personnes sur des vélos, avec un char en carton-pâte par dessus…

La Russie est-elle même capable de produire des chars neufs, pour essayer de boucher certains trous dans la raquette ?

A ce stade, une seule chose est sûre : la Russie a perdu beaucoup de chars.

_______________

Quelques précisions du rédacteur :

Depuis la rédaction du texte original en septembre, la Russie a suivi plusieurs chemins pour essayer d'endiguer leur perte de capacité blindée:

  • Création d'ateliers de reconditionnement pour le T-80. La Russie possède beaucoup de T-80 sous cocon (s'étant concentrée sur le T-72/90 depuis des années), au point que les pertes de T-80 dépassent aujourd'hui le nombre de véhicules en service en janvier 2022, d'après les estimations.
  • Création d'ateliers de reconditionnement pour le T-62. Malgré sa vétusté, le T-62 est toujours relativement efficace contre les emplacements retranchés, et pour le support d'infanterie. Il ne remplace cependant pas un char moderne.
  • Mise en place très couverte par la propagande d'ateliers de réparation pour leurs chars endommagés et récupérés.
  • Utilisation sur le terrain du T-90S destiné à l'export. Selon les dernières informations, ces chars sont propriété de l'armée indienne, et auraient étés récupérés par l'armée Russe alors qu'ils étaient à l'usine pour maintenance et rétrofit, menant à une plainte de l'Inde.
Ces mesures semblent cependant n'être qu'un cache-misère, avec des pertes constantes sur une année, qui ne feront que s'accélérer avec l'arrivée en Ukraine des premiers chars au standard OTAN pour une possible offensive de printemps.

Aucun commentaire: