samedi 4 mars 2023

Blindés en Ukraine : la Russie et le T-62 en service actif en 2022-23

 Disclaimer : Ce papier a été partagé à l'origine en tant que fil Twitter le 17 septembre 2022, en anglais. Les données ayant changé depuis et les éditions seront indiquées entre [crochets].

Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et forcent des décisions éditoriales.

[NDR : Article écrit lors de la contre-offensive des forces ukrainiennes sur Kharkiv et Izium, durant laquelle les Ukrainiens ont partagé des photos de stocks de munitions de 125mm et 152mm capturés dans les dépôts de ravitaillement russes.]

Il semblerait que la Russie fournit toutes ses munitions de 125mm (utilisées par les T-72, T-80 et T-90, NDR) à l'Ukraine.
C'est assez logique.

Pourquoi ? Car sur le front, côté russe, apparaît maintenant le légendaire T-62.

Munitions de 125mm russes capturées par l'Ukraine lors de l'offensive sur Izium, septembre 2022

Mais, je vous entends dire, qu'est-ce qu'un T-62 ?

Eh bien, c'est un char d'assaut très intéressant.

Le T-62 est le tout premier char produit par les soviétiques utilisant un canon à âme lisse. Avant cela, l'Union Soviétique avait déjà développé un canon anti-char à âme lisse en 100mm, le MT-12, mais pas de version automotrice ou de char, les T-54 et T-55 étant équipés d'un canon rayé de 100mm.
Le MT-12 a d'ailleurs été lui aussi engagé en Ukraine ces derniers mois.

Canon MT-12 de 100mm en service Ukrainien

Le T-62, comme son nom l'indique, apparaît en 1962. A cette époque, [le Kharkiv Morozov Machine Building Design Bureau rencontre des difficultés dans le développement de ce qui deviendra] le T-64. Le chargement automatique prévu pour le T-64, révolutionnaire pour l'époque (et qui réduit l'équipage de 4 à 3 hommes), ralentit la mise en service des premiers prototypes.
Le T-55, de son côté, commence à montrer son âge (à peine 10 ans, pourtant) suite à la mise en service par les Anglais du nouveau L7 de 105mm sur le Centurion.

T-62 en Afghanistan

L7 qui a été développé spécifiquement pour défaire le T-54/55, suite à la présence accidentelle d'un T-54A dans la cour de l'ambassade anglais de Prague lors de la révolution de 1956, qui a permis aux anglais de faire, à leur guise, l'étude de son blindage. Avant que les soviétiques viennent poliment demander s'ils pouvaient récupérer leur blindé.

Mais je me disperse.

Donc à ce stade, face au L7 anglais et à l'évolution des technologies, le T-55 est insuffisant [et le T-64 pas encore disponible].

T-54 détruit dans les rues de Prague, 1956

[NDR : Ironiquement, les Israéliens produiront le char Tiran-5Sh sur la base de T-55 capturés (ou achetés), avec le canon 100mm soviétique d'origine remplacé par le L7 105mm anglais. Le Tiran-5Sh a été livré à l'Ukraine par la Slovénie, sous la forme du M-55S, mais pour l'instant n'a pas été vu sur la ligne de front.]

Pour l'époque [le début des années 60, donc], le T-62 est un char d'assaut plus que correct : canon de 115mm relativement puissant, mobilité décente, et la capacité d'engager les chars produits à l'Ouest à bonne distance. Leur engagement en 1973 contre Israël lors de la guerre du Yom Kippur montre ses capacités.
Avec le déploiement à grande échelle du T-64 dans les forces soviétiques à partir de la fin des années 60, le T-62 est largement distribué aux nations satellites et alliées.
[Sa simplicité d'utilisation et de maintenance est appréciée par les utilisateurs à travers le monde.]

T-62 Syriens dans les années 70

Donc, en 1973, le T-62 est toujours assez bon pour affronter une force équipée à l'occidentale et bien entraînée. Quid de la suite?

Très bonne question.


En 1991, durant l'opération Tempête du Désert au Koweit, les forces Irakiennes, aguerries par des années de combat contre l'Iran, sont incapables de faire le moindre dommage, avec leurs T-62, contre les forces de la coalition. Les régiments équipés de T-72 ont une performance légèrement plus élevée.

[En Afghanistan, l'Union Soviétique engage le T-62 plutôt que les plus modernes T-64, T-72 ou T-80, basé sur le fait que les chars servent principalement comme soutien à l'infanterie ou aux colonnes de transport.]
L'Armée Rouge y perdra entre 150 (chiffres de Moscou) et 325 (chiffres américains) chars T-62, contre un ennemi qui ne possède ni véhicules blindés, ni troupes anti-chars...

[Un bilan mitigé, donc.]

T-62 Irakien au Koweit, 1991

En 2008, l'armée Russe engage le T-62 en Géorgie. Selon les rapports de l'époque, les T-62 passent leur temps à tomber en panne, et nécessitent d'être réparés avant même d'arriver sur la ligne de front.

Après cela, l'armée Russe déclare le modèle obsolète, et revend son parc roulant aux Syriens. Le reste des véhicules est placé sous cocon, ou ferraillé. Et c'est la fin du service actif du T-62 en Russie, après quasiment 50 ans.

Ou, du moins, c'est ce que l'on croyait.

Colonne de T-62 en Géorgie, 2008

Avant de parler du T-62 en Ukraine, parlons un peu de certaines spécificités techniques du T-62 :

  • Tout d'abord, le T-62, contrairement aux séries T-64, T-72, T-80 et T-90 actuellement en service russe, n'est pas équipé du chargement automatique. C'est un char à l'ancienne, qui utilise une munition d'un seul tenant (obus, propulseur et étui préassemblés), chargée à la main par un membre de l'équipage. De ce fait, l'équipage du T-62 est de 4 hommes, au lieu de 3 dans le reste des chars russes en service actif. 3x T-62 nécessitent donc le même nombre de personnels que 4x T-80.
  • Les étuis vides sont éjectés en automatique, via une trappe à l'arrière de la tourelle. Cela crée un point faible sur la tourelle (portes articulées), qui s'ouvre après chaque tir. Un peu comme un boss de jeux vidéo, d'une certaine façon. Cette éjection automatique semble désactivée sur les chars engagés par la Russie en Ukraine, ce qui signifie que l'équipage est obligé d'évacuer les étuis à la main, réduisant d'autant leur vitesse de tir (la tourelle du T-62 est trop petite pour accueillir les étuis vides, d'où l'extraction automatique).

  • A cause du format du canon 2A20 comparé à la taille de la tourelle, le T-62 nécessite un retour en position neutre après chaque tir, pour permettre le rechargement. Ce qui signifie qu'à chaque rechargement, le tireur va perdre sa cible, et devoir refaire l'acquisition.
T-62MV avec blindage réactif en cours de transfert vers l'Ukraine, 2022

En résumé, la Russie est en train de déployer en Ukraine [depuis septembre 2022] des chars vieux de 60 ans, équipés d'un canon obsolète, d'un équipage dont les rôles ne correspondent pas au reste de leur flotte, contre une armée Ukrainienne moderne, qui a prouvé qu'elle peut se battre contre les derniers chars russes (T-72B3 et T-90M) sur un pied d'égalité.

T-62 russe "Fury" capturé par les forces ukrainiennes, août 2022

Tout va donc pour le mieux du côté russe (l'agresseur, on le rappelle, qui a donc eu tout le temps de s'organiser et préparer ses forces).

Je vous laisserai, pour conclure, avec Nicolas Moran et Ian McCollum, et le T-62 et son armement (en anglais) :



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NDR, conclusion au 4/03/2023 :

Le débat sur l'obsolescence des chars de divers pays fait rage depuis l'annonce de la livraison de Leopard 1 à l'Ukraine. Bien entendu, un char obsolète comme le Leopard 1 ou le T-62 ont pour eux la dimension du "mieux que rien": Il est préférable d'avoir un char dépassé que aucun char.
Ces modèles ont d'ailleurs toujours un rôle potentiel à jouer dans une zone de combat : l'appui de l'infanterie (surtout face à des emplacements fortifiés), et les rôles d'arrière-garde, pour nettoyer des poches de résistance après une offensive menée avec du matériel plus avancé.

De même, la question de la reconversion des T-62 capturés par l'Ukraine se pose. J'ai dans mes fils Twitter une petite discussion sur les solutions disponibles à base de T-62, que je devrai poster ici sous peu, après une bonne remise en page et mise à jour.

Concernant l'engagement du T-62 en Ukraine par la Russie, il semblerait qu'il ne va pas s'arrêter, bien au contraire. De multiples informations tombent actuellement sur le reconditionnement de vastes quantités de T-62 en Russie, pour boucher les trous dans les unités équipés anciennement de T-72 ou T-80.
L'armée Russe a également dévoilé dernièrement le T-62 Obr. 2022, qui voit le remplacement des optiques d'origine par un modèle plus moderne, ainsi que l'ajout d'un système de visée thermique et optiques de vision de nuit.

T-62 Obr 2022

La Russie semble donc compenser son manque de capacité de production - qui est une maladie globale, les Etats-Unis eux-mêmes étant incapables de produite plus de 100 Abrams par an - par un reconditionnement accéléré de modèles plus anciens.
La question restant de savoir si le "nouveau" T-62 sera engagé directement contre les T-64BVM et nouveaux Leopard 2 de l'Ukraine, ou seront utilisés pour garnir des unités territoriales délestées de leurs T-72, eux envoyés en Ukraine.

Dans tous les cas, l'armée Russe semble vouloir brûler toutes ses réserves d'hommes et de matériel en Ukraine, selon la stratégie "la quantité est une qualité en elle-même", déjà utilisée pendant la seconde guerre mondiale.

Ce qui devrait mener, à terme, à un affaiblissement global de leurs forces armées.
Avec l'arrivée du BTR-50 en Ukraine, montrant un manque de BMP et BMD disponibles criant, et une fois les stocks de T-62 épuisés, quelle sera la solution Russe ? Ont-ils encore des réserves de T-10 et de T-55 à engager ?
Auront-ils assez de munitions pour même maintenir le T-62 en service ?

Le futur nous le dira.

jeudi 2 mars 2023

Blindés en Ukraine : le décompte des pertes russes

 Disclaimer : Ce papier a été partagé à l'origine en tant que fil Twitter le 4 septembre 2022, en anglais. Les données ayant changé depuis et les éditions seront indiquées entre [crochets].
Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et forcent des décisions éditoriales.

Avec le listing ORYX atteignant les 1000 chars perdus par la Russie en Ukraine [1781 pertes, dont 1050 détruits au 2/03/2023], il est temps de parler un peu de mathématiques, et de perspective.

Tout d'abord, ORYX est une source formidable pour ceux d'entre nous qui n'ont pas le temps de courir à droite et à gauche pour compter les pertes sur le terrain. Ils font un job formidable [NDR : Oryx est une plateforme tenue par des bénévoles, qui font ce travail sans être rémunérés. Merci à eux].

Leur problème est [que, pour les pertes russes,] ils ne peuvent se reposer que sur ce qui est visible sur les médias sociaux, et côté Ukrainien.

Cependant, les pertes de matériel n'arrivent pas que sur le terrain, et n'importe quelle personne ayant fait de la maintenance industrielle ou de véhicules pourra vous dire qu'une partie des pertes ne seront décomptées qu'après avoir été rapatriées dans un atelier de réparation. Et, dans le cas d'un conflit, il y aura toujours quelques équipements réduit à un tel état qu'il sera impossible de les identifier, ou même de les séparer d'autres matériels également détruits au même endroit.

Schéma simplifié du décompte de pertes

[Le compte Partizan Oleg sur Twitter] a effectué un décompte et des calculs il y a quelques mois.

Ils ont pris une version spécifique du T-80 [le T-80BVM, utilisé par une seule unité de l'armée russe], les chiffres existants sur ORYX pour cette version, et les pertes annoncées par l'armée russe.

Résultat : 75 à 86% des pertes reportées par Oryx. Ce qui est, en soi, prévisible. 15 à 25% des pertes non visibles sur le terrain colle à la logique schématisée ci-dessus.

Pour exemple, voir cet exemple d'un Sukhoï-25 russe, qui a pu retourner se poser en Russie, mais dont la cellule a probablement été ferraillée par la suite, dû à l'étendue des dégâts.

Vous allez me demander, mais où vais-je avec ce raisonnement ?

Une très bonne question, que je vous remercie d'avoir posée. Le Kyiv Independant a publié un article rapportant que les forces russes avaient, au 24 février 2022, 3300 chars d'assaut opérationnels (active et réserve).

Pas engagés en Ukraine, mais sur la totalité de la Russie.

Cela semble relativement proche de la réalité [voir cette vidéo de Covert Cabal sur le sujet].

Considérant que la Russie est connue pour ses stocks très long terme d'armement [NDR : Le char lourd T-10 de 1952 n'a été sorti des stocks opérationnels qu'en 1995, par exemple], ajoutons généreusement 700 chars d'origines diverses : LNR, DNR, sorties de cocons, et bien entendu les variantes du T-62 repérées [et déjà détruites/capturées] sur le terrain.

Soit un total d'environ 4000 chars d'assaut au début du conflit.

Oryx nous donne le chiffre de [1050] chars détruits.

En appliquant les chiffres ci-dessus, nous nous retrouvons avec une fourchette allant de 1200 à 1350 chars détruits.

Soit entre 30 et 34% de la totalité des chars de l'armée russe purement et simplement détruits.

A tout ça, on peut ajouter :

  • Endommagés, 86;
  • Abandonnés, 97;
  • Capturés, 548.

Et soudain, nous nous retrouvons avec un niveau de pertes se situant entre 48 et 52% du total des forces russes.

Donc, sur les [12 premiers] mois d'une opération sensée durer 3 jours, la Russie a perdu environ la moitié de son parc total de chars d'assaut, tous modèles confondus, allant du tout dernier T-90M à l'antique T-62.

[A 6 mois, en septembre, je me posait la question suivante :] Où cela nous mène-t-il ?

C'est une bonne question à laquelle je ne peux apporter de réponse.

L'armée Russe va-t-elle dégarnir les frontières pour envoyer plus de blindés modernes en Ukraine ? [Certaines rumeurs en ont déjà fait état, et il a été confirmé que l'armée Russe a pris des T-72 de l'armée Biélorusse pour les intégrer dans ses unités.] Cela montrerai que la Russie a totalement confiance dans le fait que l'OTAN et la Chine n'en profiteraient pas pour des incursions sur le territoire Russe (ce qui irait à l'encontre des accusations du Kremlin, NDR).

Vont-ils déployer sur le terrain plus de T-62, voire des T-54/55 ? En ont-ils toujours sous cocon, qu'ils pourraient remettre en service ?

[NDR : Au 2/03/2023, la Russie a perdu un total confirmé de 65 chars T-62 toutes versions confondues en Ukraine, et ouvert une ligne de reconditionnement de T-62, où des versions A, M, MV sont remises en état et équipées de nouvelles optiques de visées, y compris une caméra thermique 1PN96MT-02.]

T-62MV Obr. 2022, février 2023

[NDR : Le déploiement récent en Ukraine du BTR-50 par la Russie tendrait à confirmer la remise en état de matériels de plus en plus vieux pour leur engagement sur le terrain, dans une logique du "c'est mieux que rien".]

Le fameux T-14 Armata, encensé par la presse Russe depuis qu'il a été dévoilé, raison du développement du canon 130mm par les ingénieurs de l'Ouest, existe-t-il ? Sensé être le nouveau char d'assaut des forces russes, le T-14 ne s'est pas matérialisé autre part que dans les salons d'armement (uniquement en Russie) et lors des défilés sur la Place Rouge.

T-14 Armata, le futur du passé de l'armée Russe depuis 2014

Pour l'instant, le T-14 est un formidable exemple de vaporware militaire. Adopté en 2014 par les forces Russes, sensé être livré à 2300 exemplaires avant 2025, annulé en 2018, ressuscité en 2020, sensé être testé sur le terrain en 2022 (sic), au jour où ces lignes sont écrites, il semble n'être que 4 personnes sur des vélos, avec un char en carton-pâte par dessus…

La Russie est-elle même capable de produire des chars neufs, pour essayer de boucher certains trous dans la raquette ?

A ce stade, une seule chose est sûre : la Russie a perdu beaucoup de chars.

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Quelques précisions du rédacteur :

Depuis la rédaction du texte original en septembre, la Russie a suivi plusieurs chemins pour essayer d'endiguer leur perte de capacité blindée:

  • Création d'ateliers de reconditionnement pour le T-80. La Russie possède beaucoup de T-80 sous cocon (s'étant concentrée sur le T-72/90 depuis des années), au point que les pertes de T-80 dépassent aujourd'hui le nombre de véhicules en service en janvier 2022, d'après les estimations.
  • Création d'ateliers de reconditionnement pour le T-62. Malgré sa vétusté, le T-62 est toujours relativement efficace contre les emplacements retranchés, et pour le support d'infanterie. Il ne remplace cependant pas un char moderne.
  • Mise en place très couverte par la propagande d'ateliers de réparation pour leurs chars endommagés et récupérés.
  • Utilisation sur le terrain du T-90S destiné à l'export. Selon les dernières informations, ces chars sont propriété de l'armée indienne, et auraient étés récupérés par l'armée Russe alors qu'ils étaient à l'usine pour maintenance et rétrofit, menant à une plainte de l'Inde.
Ces mesures semblent cependant n'être qu'un cache-misère, avec des pertes constantes sur une année, qui ne feront que s'accélérer avec l'arrivée en Ukraine des premiers chars au standard OTAN pour une possible offensive de printemps.

mardi 28 février 2023

Blindés en Ukraine : Pourquoi les russes ne semblent-ils pas évoluer ? Le char d'assaut TPK.

Le conflit en Ukraine est un conflit comme nous en avons rarement vu depuis 1945 : il se déroule géographiquement en Europe, il un front fixé, des opérations de grande ampleur, et surtout, il engage quelques milliers de véhicules blindés.

Et les pertes russes, surtout en blindés lourds (artillerie automotrice et chars d'assaut) ont poussé certains "penseurs" de la défense à annoncer, haut et fort, que le char est mort, longue vie à lui.

Pertes russes en chars d'assaut au 28/02/2023 source

Et, en voyant la Russie passer les 1000 chars d'assaut perdus (détruits) en ce mois de février, nous sommes en droit de nous questionner sur le rôle du char dans la guerre moderne. Lui qui était déjà déclaré obsolète par 20 ans de conflits asymétriques, serait-il désormais inutile dans le cadre des conflits symétriques ?


Efrem Lukatsky AP

La réponse est plus complexe que cela.

A cause de plusieurs facteurs. Tout d'abord, l'âge des matériels. Si la Russie a engagé des chars relativement modernes, comme le T-90M ou les T-72B3, la vaste majorité de son parc blindé, même au premier jour de l'offensive, est assez vieux pour voter depuis quelques années, et certains matériels sont d'âge canonique (je ne manquerai pas de faire un petit article sur l'engagement du T-62 en Ukraine par la Russie prochainement).
Ces chars fabriqués ou remis à niveau dans les années 80 ou 90 ne possèdent souvent pas les capteurs ou capacités pour se défendre contre d'autres blindés équivalents mais remis à niveau (comme le T-84 Ukrainien, engagé en petits nombres), ou même une infanterie bien retranchée et camouflée armée de missiles anti-chars modernes.


IRINA RYBAKOVA | PRESS SERVICE OF THE UKRAINIAN GROUND FORCES/REUTERS

Un autre facteur est celui de la tactique. Maintes fois, surtout au début du conflit, nous avons vu des vidéos des méthodes utilisées par les russes. Par exemple, engagement de MBT en milieu urbain sans protection par l'infanterie (un char d'assaut est et a toujours été une cible facile en milieu urbain à cause de la visibilité réduite de l'équipage). Cette méthode avait déjà mené à la catastrophe l'armée Russe en Tchétchénie, qui avait foncé avec ses T-72 dans Grozny sans protection.
Les russes montrent aussi fièrement qu'ils utilisent des chars comme "points durs" pour le tir en cloche sur les positions ukrainiennes. Ce qui en fait des cibles faciles pour un tir de contre-batterie ukrainien.
 
Genya Savilov | AFP/Getty Images

Un autre facteur, sur lequel nous allons nous étendre un peu plus ici, est celui de l'expérience.

L'expérience des officiers supérieurs, qui doivent adapter leur stratégie aux tactiques ukrainiennes.

Mais aussi, et surtout, l'expérience des équipages russes.

Red Dawn / REUTERS | Jorge Silva

L'expérience est acquise de plusieurs façons. Les tankistes français ont l'expérience d'exercices menés en condition réelles. Certains ont l'expérience du terrain, souvent en AMX-10RC (le Leclerc étant cantonné au territoire national pour des raisons de politique interne des armées). Fort heureusement, les troupes de la cavalerie française n'ont pour le moment pas eu l'expérience réelle du combat de char tel que nous l'imaginions à la grande époque de la Guerre Froide, lorsque les chars Soviétique allaient percer les défenses allemandes dans la passe de Fulda, pour se déverser dans les plaines de l'Ouest.

Les tankistes russes, eux, sont engagés dans du combat réel depuis février 2022. Ils affrontent toutes les menaces possibles pour un char (sauf les attaques d'hélicoptères au Hellfire, pour le moment). Mais ils ne semblent pas monter en capacité de combat, et ils semblent même faire, semaines après semaine, toujours les mêmes erreurs. N'ont-ils pas, en février à Vulhedar, fait de jolies colonnes, qui sont allées s'écraser contre les champs de mine des ukrainiens, avant que les survivants soient abandonnés ou pilonnés par l'artillerie?

Chargeur automatique sur T-72

La raison de cette apparente absence d'évolution, et donc de prise d'expérience, est simple : les chars russes sont conçus selon la théorie du Total Party Wipe.

Total Party Wipe/Total Party Kill est une expression venant du jeu de rôle, qui exprime la destruction totale, et involontaire, d'une équipe de joueurs. Suite a un mauvais équilibrage d'un affrontement, d'erreurs des joueurs, ou par la faute de mauvais jets de dés, l'équipe est éliminée, sans survivants. La campagne est terminée, et chacun rentre chez lui dépité, et devra créer un nouveau personnage pour la fois suivante. Et, plus important pour notre réflexion, personne n'a gagné d'expérience.

Et c'est là que le bât blesse dans les forces blindées russes : le taux de destruction des équipages est proche de 100%. Et si chaque char détruit équivaut à un TPK, cela signifie qu'aucun équipage ne peut monter en expérience, car aucun équipage ne survit assez longtemps pour développer les techniques et réflexes nécessaires à leur amélioration.

"Mais enfin, me répondrez-vous, sûrement que, dans toutes les évolutions et designs russes, cette spécificité des chars TPK, une fois cernée, sera corrigée ! Le char sera modifié de façon a mieux protéger l'équipage !"

La réponse est, malheureusement pour les tankiste russes, négative.

Les chars russes actuels (on ne compte pas le T-14, qui n'a pas prouvé qu'il existe ailleurs que dans les délires de la propagande du Kremlin) sont tous basés sur des designs développés lors de la période soviétique. Dans l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, une chose à toujours été vraie : l'humain ne coûte pas cher. Mieux, il est prêt à mourir pour la patrie. La rumeur veut que la formation d'un équipage de T-62 pouvait se faire en moins de 6 mois, tellement le véhicule est simple. Avec les mêmes ressources matérielles, l'Union Soviétique se faisait donc des forces gigantesques. Une partie de ces forces existe toujours, même si pas forcément utilisable, suite à des décennies de manque d'entretien et de vente des éléments importants.

L'union soviétique, c'était, à la "grande" époque, 10 000 chars de générations fortement variables, de qualité globalement faible. Mais la quantité est une qualité en elle-même, et face à peut-être 4000 chars occidentaux dans les plaines d'Allemagne de l'Ouest, et avec quelques milliers de blindés issues des satellites d'Europe de l'Est, les jeux n'étaient pas faits.

Pour cette raison, les chars russes sont simples et tirent vite, avant d'être résistants ou équipés d'optiques correctes. Le T-72 (et son dérivé le T-90) est par exemple équipé d'un chargeur automatique à carrousel. Ce carrousel se trouve directement sous la tourelle et n'est pas isolé du compartiment d'équipage, pour des raisons de simplification de la maintenance et du remplissage. Le T-72 n'est pas non plus équipé de panneaux d'évacuation des gaz, pour simplifier la fabrication. Le contrecoup de ces économies rend les destructions de T-72 très impressionnantes. Et on imagine difficilement que les membres d'équipages pourront survivre à ce type de destruction catastrophique de leur véhicule.

Le problème rencontré par l'armée russe dans ce domaine est donc double : Ils n'engagent pas assez de troupes et de véhicules pour profiter de l'avantage numérique, et leurs équipements ne génère aucune expérience chez les troupes, à cause du concept du TPK.

La livraison de blindés Occidentaux à l'Ukraine

Livraison des premiers Leopard 2 à l'Ukraine par la Pologne
/ Photo services de presse gouvernemental ukrainien

Bien entendu, le souci de l'Ukraine est qu'elle était, jusqu'à présent, limitée à l'utilisation de chars soviétiques, présentant le même problème de TPK que ceux des russes.

C'est là que l'entrée en scène des livraisons de chars occidentaux est bien plus importante que certains voudraient nous le faire croire.

Pour les forces de l'OTAN, la question a toujours été inversée. Un Homme est un Homme, dans les démocraties occidentales. Même s'il est prêt à mourir pour sa patrie, le soldat coûte cher, il doit donc être rentabilisé. Les armées occidentales s'équipent donc avec des véhicules adaptés à leurs armées de taille réduite, mais très entraînées. Les chars occidentaux comme le Leclerc, l'Abrams, le Leopard ou le Challenger sont conçus autour de piliers inversés par rapport à ceux des russes : la survivabilité, la performance, avant le nombre et le prix. L'expérience de terrain lors de l'engagement du M1 Abrams (Armée Américaine ou export) a montré une survivabilité élevée, avec aucun mort lors de Desert Storm (engagement contre T-72 Irakiens et incidents de feu ami), et l'Abrams est aussi capable d'engager des cibles au-delà de la portée efficace des chars russes, dû ses optiques plus évoluées. De même, les Leclercs engagés par l'UAE au Yemen ont montré une capacité de survie élevée face aux armes anti-char et aux mines déployées par les Houtis. Avec un seul mort et un blessé sur 4 véhicules endommagés (mais réparables) en 2016, la vaste majorité des équipages sont capables de retourner au complet au combat.

Et cette survivabilité élevée est primordiale pour l'Ukraine, qui cherche avant tout à garder sa population en vie, militaires compris. L'adoption de chars aux standard occidentaux leur permettra, à nombre de véhicules déployés égal, de sauvegarder les vies des équipages, et toucher les russes de plus loin.

Chaque T-64 remplacé par un Leopard, un Abrams ou un Challenger est un multiplicateur de force pour l'Ukraine, face à une Russie qui engage des chars de plus en plus anciens, souvent reconditionnés dans l'urgence, ou volés dans les stocks de T-90S déjà payés par l'Inde...

lundi 20 février 2023

L'entrée en guerre de la Biélorussie, ou l'Arlésienne orientale.

 Ces derniers jours, de nouveau, plane le spectre d'une attaque des forces biélorusses en Ukraine.

Cette invasion, annoncée depuis mars 2022, n'arrive pas, au plus grand étonnement de certains analystes occidentaux, et orientaux.

L'absence d'engagement de l'armée Biélorusse est effectivement étonnante, en surface. Les russes accusent l'Europe et les Etats-Unis de cobelligérance avec l'Ukraine, mais la Biélorussie est probablement le seul pays qui s'approche de la définition. En effet, les camps militaires biélorusses et le pays tout entier ont servi de lieu de préparation et de base arrière pour une partie de la force d'invasion Russe, avant et après le 24 février. Les forces de Moscou ont attaqué en direction de Kiev en allant au plus court, et ce plus court passait directement par la Biélorussie, qui ne s'est pas faite prier pour offrir ses routes, ses camps et ses voies ferrées à l'envahisseur.

Carte du MoD anglais montrant les axes d'attaque, donc certains passent par la Biélorussie.

De même, lors du repli des troupes russes de la région de Kiev début avril, nombreuses ont été les unités russes qui sont passées par la Biélorussie, et les soldats russes empoisonnés après avoir creusé des emplacements dans la "Forêt Rouge" de Tchernobyl ont étés envoyés à l'hôpital de Minsk.

Le soutien de la Biélorussie à l'invasion russe n'est donc pas à démontrer.
Cependant, malgré les annonces des deux côtés de la frontière, l'armée biélorusse ne se matérialise pas. Elle reste l'arme au pied, dans ses casernes.
Elle ne manque pas pour autant de nous montrer des vidéos où ses soldats forment des pyramides, sautent à la corde (avec la corde en feu), ou se cassent des briques sur le crâne. Tant de démonstration qui, si elles seraient impressionnantes sous le chapiteau de Pinder ou au Cirque d'Hiver, entre les tigres et le trapèze, n'ont aucun intérêt pour une force armée.

Alexandre Loukashenko dévoile la carte de l'invasion russe à la télévision, le 1er mars 2022 / Daily Beast
 
Alors, si la Biélorussie se pense si forte, et si les liens sont si serrés avec le Kremlin, pourquoi ne pas se joindre à la guerre ? Après tout, Alexandre Loukashenko, président "élu" de la Biélorussie, a affiché son soutien à Vladimir Poutine plus d'une fois.
Nous l'avons vu, la Biélorussie sert de base arrière à la Russie, et a également été utilisée pour le lancement de missiles de croisière sur les villes ukrainiennes.
Certaines sources ont également mentionné que la Russie fait ses "courses" en Biélorussie, chargeant des véhicules anciennement sous cocon (dont nombre de T-72) pour les transférer à ses propres troupes. La Biélorussie a également tenu des exercices avec la Russie, en janvier 2022 (qui ont servi de couverture pour la mise en place de l'invasion), en octobre, puis en janvier 2023.

La menace d'offensive suite a de nouveaux exercices en Biélorussie en octobre 2022 / Le Point

Les raisons de cette arlésienne Biélorusse ne manquent pas.
  • L'armée biélorusse n'a aucune capacité de combat
La Biélorussie est un satellite de la Russie, membre du CTSO. Le Kremlin de Poutine a dit, et démontré maintes fois, qu'il ne laissera pas ses vassaux tomber aux mains de l'UE ou de l'OTAN.
Et il sait pertinemment que ni l'UE, ni l'OTAN n'utiliseront la force pour s'imposer. Les deux organisations travaillent selon un schéma de bienveillance.
Le meilleur moyen de maintenir un pays dans le giron russe est donc de maintenir son armée sous les capacités de l'armée russe. Il suffit de regarder l'Ukraine pour s'en convaincre : avant 2014, malgré des dépenses élevées dans son armée, l'Ukraine gardait une capacité de combat très inférieure. C'est la principale raison pour laquelle la Crimée et une grande partie du Donbass et Luhansk sont tombés aux mains des russes (car nous savons tous que les "indépendantistes" n'en sont pas) en 2014-2015 : le maintien des forces ukrainiennes à un niveau très inférieur, pour assurer leur défaite au cas où le pays se refuse à la Russie.
L'armée Biélorusse est dans le même état : ses équipements étaient déjà datés à la chute de l'URSS, et n'ont pas vraiment évolué depuis. Et si la Russie n'arrive pas à avancer face aux Ukrainiens, quel espoir a la Biélorussie?
  • Loukashenko craint la réaction de la population, et de l'opposition
Dès le déclenchement du conflit, une partie de la population biélorusse a activement ou passivement saboté l'effort russe. Sabotages des lignes ferrées pour bloquer la logistique, partage des mouvements sur les réseaux sociaux...
La population biélorusse ne suit pas son chef. Elle s'était déjà rebellée en 2020 après les dernières élections truquées, la situation n'est pas assez stable pour que le Lider Maximo (qui se réclame dernier dictateur d'Europe)se prive d'une force armée qui lui permet de maintenir diverses forces d'opposition "dans le droit chemin".
  • La frontière ukrainienne n'est pas praticable
Suite au retrait russe de la région de Kiev, les ukrainiens ont, logiquement, fortifié la frontière.
Si en janvier 2022 elle se limitait à des postes de garde et un peu de barbelé, aujourd'hui la donne n'est plus la même.
Le gouvernement Biélorusse s'est d'ailleurs plaint que les ukrainiens avaient détruit tous les ponts connectant les deux pays.
Les Biélorusses sont conscients que la frontière est désormais un immense champ de tir. Avec 10 mois de calme dans le secteur, les ukrainiens ont probablement repéré et cartographié toute les approches possibles et imaginables, créé des glacis et des entonnoirs, et minés les axes que les véhicules pourraient encore emprunter.
Les forces tentant de traverser la frontière se retrouveraient donc face à une défense bien préparée, et ne pourraient entrer en Ukraine qu'après de lourdes pertes.
L'armée biélorusse, qui ne comprend même pas 60 000 hommes d'active, équipés de matériels largement dépassés, ne durerait probablement pas longtemps dans ce type d'offensive.

Loukashenko, équilibriste ou pitre? / Twitter

Contrairement à ce que l'on pourrait penser de lui en écoutant/lisant ses interventions, Alexandre Loukashenko n'est pas un sombre crétin. A l'époque soviétique, il monte pas à pas les marches vers le pouvoir suprême biélorusse. Elu pour la première fois à la tête de l'état en 1994, il a réussi à se maintenir jusqu'à aujourd'hui, en 2023. Certains universitaires russes avancent même qu'il a été pressenti pour la présidence Russe, avant de se faire voler la vedette par un certain Vladimir Poutine.
Il a également, contrairement à son homologue russe, placé ses pions pour un maintien à la tête du pays après sa mort. Il entend fonder une dynastie (aspiration compréhensible venant d'un homme né d'un père inconnu), et veut donner les clés su pays à son troisième fils, Nikolaï.
Difficile de céder le pays à sa progéniture s'il se retrouve renversé, ou pire.

Il utilise donc ses talents de politicien et comique troupier pour se maintenir aux rênes du pouvoir. Il en fait juste assez pour ne pas attirer l'ire de son maître du Kremlin, mais pas assez pour que l'Ouest décide de lui mettre des bâtons dans les roues en soutenant réellement l'opposition, intérieur comme extérieure.

Les paris sont donc ouverts : La Biélorussie finira-t-elle par réellement s'engager dans le conflit, ou son "chef" réussira-t-il à ménager la chèvre russe et le chou ukrainien ?

Seul l'avenir nous le dira.

vendredi 17 février 2023

"Ce qu'il se passe en Ukraine, t'en penses quoi ?"

Le problème, quand on s'intéresse à la chose militaire, c'est que les gens s'en rendent compte.

Et du coup, quand il se passe des choses "militaires" qui nous impactent, des questions sont posées.

Pas toujours de façon habile, mais qui pourrait le condamner ? La majorité des gens ne savent pas quelle question poser, et les réponses ne sont pas simples non plus.


La question d'origine, en février 2022, était : "La guerre en Ukraine, t'en penses quoi ?"

Et la réponse, depuis février 2022, est : "ça dépend".

Seulement, ça dépend, bah ça dépasse...

Une guerre, ça n'est pas un blob homogène, qui s'explique, ou s'analyse, en deux phrases. Les guerres terminées depuis plus d'un siècle sont encore sujettes à débat, y compris chez des gens qui sont du même avis. Donc une guerre encore en cours, c'est compliqué.

Après, on peut dire que la guerre, c'est mal. C'est bien, mais ça ne fait pas avancer le schmilblick.

Tout d'abord, qu'on s'accorde sur une chose : je suis un militariste, mais pas un belliciste. Je suis pour une armée puissante et bien entraînée, mais aussi pour qu'elle ne serve pas à envahir les autres sous des excuses fallacieuses, comme celle de la langue parlée, par exemple, qui a le vent en poupe (comme dans les années 30). Donc la guerre, personnellement, je ne trouve pas ça drôle. Je n'ai pas étudié une guerre qui ait fait marrer qui que ce soit, surtout ceux qui sont revenus les pieds devant. Je n'ai pas parlé à un seul soldat ayant fait la guerre (la vraie, où l faut tirer sur des gens qui vous tirent dessus en retour) que ça ait fait rire.

Malheureusement, nous sommes des animaux, et les animaux se foutent sur la gueule régulièrement, pour des raisons qui leur sont propres, et qui leur paraissent super sérieuses sur le coup. Même si elles peuvent paraître idiotes plus tard. Ce n'est pas pour rien que Brassens chantait :

Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente

Jugeant qu'il n'y a pas péril en la demeure
Allons vers l'autre monde en flânant en chemin
Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure
Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain

 

Mais revenons à l'Ukraine, et au thème : l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • La guerre en Ukraine, évitable ?

Pour commencer, malheureusement, j'en pense que c'est une de ces choses que je voyais, personnellement, comme inéluctable, mais sans empressement de nous trouver dedans. Et les louvoiements politiques des années 2014 à 2021 trouvent leur origine, je pense, dans cette sorte de pensée magique. On s'imaginait pouvoir jouer la montre, et que l'empereur des Russes irait passer l'arme à gauche avant de se souvenir qu'il aime à imposer son opinion sur ses voisins, par la force de préférence.

C'était tellement inéluctable qu'il était nécessaire de blaguer sur le sujet, comme l'atteste cette saisie d'écran du 23 février 2022, tard dans la soirée :

Bonne blague à faire juste avant le déclenchement d'une guerre.

 

Et la surprise, en se levant le lendemain...

Notre "there will be peace in our time", c'est de n'avoir rien fait lorsque les russes ont envahi, de nouveau, la Tchétchénie. La Géorgie en 2008. L'Ukraine en 2014. Au contraire, jusqu'en 2015, on a fait pire que ne rien dire : au lieu d'isoler la Russie (contrairement à ce que sa propagande essaye de nous faire gober), on est allés leur vendre à manger, à boire, des équipements de haute technologie, on a investi chez eux. On a pensé, de façon collective, que si on les traitait comme des amis, ils nous traiteraient également comme tels.

Qu'en tant que gens civilisés, nous nous devions de les traiter comme des gens civilisés.

Même quand ils pourrissaient nos élections.

 

l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Humainement

Au-delà du reste, l'humain reste au centre de la guerre.

Pour commencer, ceux qui souffrent depuis 2014, et la première invasion russe. Celle des petits hommes verts, des "gens polis". Des "indépendantistes", ces soldats russes déguisés en Ukrainiens, qui créent une guerre avant d'aller se plaindre que ça tue des civils.

Puis, depuis février 2022, les milliers de civils morts. Les déplacés. Les déportés. Les enfants envoyés en rééducation.

Puis, tous ceux qui, de civils, ont dû devenir militaires, et sont morts au front, en défendant quelque chose. Leur pays, leur famille, leur ville. Leurs idées. Leurs idéaux.

La guerre en Ukraine est une tragédie. Pour les ukrainiens, envahis par une puissance hostile.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Ma vision pré-invasion

Je ne ne vais pas me voiler la face, je fais partie de ceux qui pensaient que les russes allaient avancer comme dans du beurre, sur la première centaine de kilomètres.

Songez, l'armée russe ! Un million d'hommes au bas mot. Du matériel (relativement) moderne. Des stocks à ne plus savoir qu'en faire. La propagande le disait haut et fort. Et si la Syrie était un mauvais exemple de la maîtrise du combat par l'armée russe, ça restait une armée de premier ordre.

Donc, dans mon scénario personnel du 24 février, les russes allaient avancer relativement vite jusqu'à ce que les ukrainiens puissent se rattraper, puis être obligés de s'arrêter pour consolider leurs acquis. Le gouvernement et commandement ukrainien irait se replier dans les Carpates, faciles à défendre, et on allait voir se développer une guerre hybride, avec une ligne de front potentiellement gelée sur une ligne Odessa-Kyiv-Lviv (grosso modo), et un pourrissement d'une occupation russe inadaptée. Une défaite sur 10-15 ans de combats de basse intensité.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • La réalité militaire

La réalité, c'est que les russes n'ont jamais réussi à consolider leurs acquis. Spécialement dans le Nord, d'où ils se sont retirés fin mars.

Avancée maximale de l'armée russe, source War Mapper sur Twitter

Bien entendu, comme beaucoup, à partir du 24 je suis scotché sur les réseaux, qui nous passent l'Ukraine en boucle. Je reconfigure mon compte Twitter pour me limiter aux nouvelles d'Ukraine. Je trouve quelques têtes de pont comme le britannique Mike Martin (@ThreshedThought) ou le général australien Mick Ryan (@WarintheFuture), qui me mènent à leur tour vers des analystes ou des comptes sérieux. Comme tout un chacun, je m'abonne à Oryx (@oryxspioenkop), pour suivre les pertes des deux côtés.

Et très rapidement, des éléments étranges commencent à apparaître.

Tout d'abord, ce sont des photos et vidéos de soldats russes. Ils ont étés abattus alors qu'ils mangeaient. Le moteur de leur camion ou BMP tourne encore. Ils déjeunaient tranquillement, hors de leurs véhicules. Ils ne semblent pas avoir posté de gardes. Les véhicules sont isolés.

Ce type de vidéo apparait une fois, puis deux, puis une dizaine de fois. Les troupes russes, en terrain ennemi, ne pratiquent aucune sécurité. Les véhicules logistiques et les ouvreurs (BMP, BTR, Iveco LMV...) semblent se déplacer de façon isolée, sans protection. Ils se comportent comme s'ils avaient déjà gagné, et que le pays leur était acquis.

Puis arrivent les "vraies" attaques. Les convois en cours de ravitaillement qui sautent. Les camions logistiques en convois qui sautent. Clairement, les russes n'ont pas sécurisé leurs arrières. Mais pire, les ukrainiens semblent l'avoir prédit, et laissé des unités derrière les lignes (ce qui se confirmera plus tard).

BM-21 russe en feu, 1er mars 2022

Arrivent ensuite les pannes d'essence. Les russes stoppent leur offensive, car ils n'arrivent pas à faire suivre le ravitaillement. Cela peut se comprendre pour une armée qui avance rapidement, et a été le cas plus d'une fois lors de la seconde guerre mondiale, mais pour une armée sensée s'être préparée à prendre un pays aussi grand que l'Ukraine en moins d'une semaine ? Se reposer sur les station-services civiles pour faire le plein d'un bataillon de T-72 est un peu optimiste.

Et, sur le front, les choses ne se passent pas aussi bien que décrit. Si les T-64 ukrainiens semblent relativement absents suite aux attaques d'hélicoptères des premiers jours, il semble qu'il y a une arme anti-char derrière chaque brin d'herbe.

Tourelle de T-72 dans un champ, 25 mars 2022

Les ukrainiens réussiront également quelques coups de com' pas piqués des hannetons, comme l'affichage des captures de matériels russes, souvent tirés par des tracteurs agricoles.


John Deere ukrainien tractant un poste SAM russe (Buk) lors de la première phase de la guerre

Les matériels russes, de conception relativement dépassée, montrent également leurs limites.

BMD-4 russe. Dû à sa coque en aluminium et son canon à carrousel, le BMD-4 tend à finir en flaque une fois touché...

 

La suite, on la connaît : les russes se retirent du Nord de l'Ukraine. Puis ils reculent au sud et au centre-est.

Aujourd'hui, ils appuient le trait sur des zones où leurs pertes sont élevées (certains rapportent 700 à 1200 morts par jour), probablement dans le but de gagner un peu de terrain, pour le premier anniversaire de l'invasion.

Les défenses anti-aériennes Buk et S400, sensées être les meilleures du monde, ont été plus d'une fois traversées par les ukrainiens, jusqu'à des frappes sur des bases de bombardiers stratégiques.

La flotte de la Mer Noire a perdu du matériel lourd, face à un ennemi qui n'a pas de marine militaire.


De son côté, l'Ukraine a tenu le choc. Ils ont reculé là où ils le devaient, et gardé la maîtrise là où ils ne pouvaient pas se permettre de reculer.

Ils ont absorbé le matériel occidental à une vitesse élevée.

Leurs offensives ont bousculés les russes avec une relative facilité, montrant qu'ils savent attaquer là où l'ennemi n'est pas préparé, et saisir les opportunités.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Et nous, dans tout ça ?

Certains se questionnent sur eux-mêmes.

Et nous, devrait-on souffrir pour les Ukrainiens ?

Mais, souffrir de quoi ? D'un degré de moins dans nos chaumières ? De carburants plus chers ? D'avoir des gens qui mettent la pâté aux russes, et que ça ne nous coûte rien, à part des matériels destinés à la ferraille, pour leur majorité ?

Qu'on ne se voile pas la face : la guerre en Ukraine, à l'échelle des choses, ne nous coûte rien. Nous ne l'avons pas déclenchée, nous n'y avons pas d'hommes ni de femmes. Les bombes ne tombent pas chez nous.

Elle a lieu, qu'on le veuille ou non. La paix serait mieux, c'est sûr. Mais sommes-nous peureux au point de l'imposer à 41 millions (et des poussières) d'êtres humains, contre leur gré, pour notre petit confort personnel ? J'ose penser que les idéaux français sont au-delà de ça. Qu'on pourra se permettre un peu d'inconfort pour permettre à tout un peuple de rester libre, au prix de leur sang.


A bientôt pour la suite.

mercredi 15 février 2023

Le retour ?

En mai 2007, je créais un blog, dans le but de regrouper les informations que je ramassais à travers rencontres, lectures et salons.

En décembre 2010, jeune idiot que j'étais, ayant écrit quelques piges pour RAIDS, je pliait mes gaules et abandonnait le projet aux limbes.

Depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, il y a presque un an maintenant, je me dis que mes élucubrations stratégico-techniques devraient être rendues accessibles au plus grand nombre, parce que mon Ego est comme ça.

Et puis, aujourd'hui, je me suis souvenu que je possède un blog. Du coup je l'ai cherché, et par miracle, il est toujours en ligne, archives et tout.

Du coup c'est la rentrée des classes. Après un poil plus de 11 ans à se perdre dans divers jobs, on va revenir aux sources.


Le principe va très légèrement changer. Pour commencer, on va faire moins général, et se concentrer sur le conflit qui mets la zone à l'est de notre riant pays : l'Ukraine. Je vais aller racler tous les trucs que j'ai raconté sur Twitter, au grand dam de ma poignée d'abonnés, remettre ça en page, et poster ici.

Ensuite, eh bien... on verra.

Probablement un peu plus d'opinions, un peu moins de recherche de l'objectivité. Quelques coups de gueule.

Un peu plus d'humour, ça ne fait jamais de mal.


Donc voilà, du coup. A priori, je suis de retour. Il fallait au moins un conflit majeur en Europe pour ça. On dit merci Vladimir ?




jeudi 23 décembre 2010

7,62 Vs 5,56 ? Pourquoi ?

Le débat existe au moins depuis que les américain ont forcé l'OTAN à adopter le 7,62x51mm T65 : la meilleure munition est-elle le 7,62 OTAN ou le 5,56 OTAN ? Le premier a été dérivé du .30-06, munition créée à l'origine pour tirer d'une tranchée à l'autre en semi automatique depuis un fusil, ou en automatique avec des armes collectives. Le second a été créé pour être tiré en automatique sur des cibles mouvantes dans le cadre de combats de rue.

Les arguments pour l'adoption du 5,56x45mm OTAN (SS109/M855) étaient clairs : munition plus légère, permettant aux soldats de transporter une quantité de cartouches plus élevée. Cela à été prouvé dans le cadre d'exercices qui montrèrent qu'un peloton de 8 soldats équipés de XM16 avec des chargeurs de 20 cartouches avaient un avantage clair sur 11 soldats équipés de M14 avec chargeurs de 20 cartouches ; le recul est moins élevé, permettant aux soldats de tirer en automatique, chose quasiment impossible avec un FAL, un G3 ou un M14, les deux premiers ayant d'ailleurs été développés à l'origine pour des calibres moins puissants (.280 british, .30 Carbine, 7,92x33 Kurz...).

Cependant la munition 5,56mm a monté ses limites en Afghanistan, où les engagements se font à des distances élevées. Pour pallier à ce problème, les forces de l'OTAN se sont dotées de nouveau de fusils chambrés pour le 7,62mm OTAN. A grand renfort de HK417, Mk17 SCAR-H, Mk14 et autres SR-25 et dérivés, l'ISAF a repoussé les limites de ses armes individuelles, déployant de nouveau des armes de 7,62mm compactes et non destinées au tir longue distance uniquement. De même les Minimi ont plus ou moins disparu, remplacées par des mitrailleuses légères chambrées elles aussi en 7,62mm.

Et les retours des troupes sur le terrain sont assez positifs, mis à part quelques détails : les munitions sont lourdes et encombrantes, faisant que les soldats se retrouvent à court de cartouches plus vite qu'avec les fusils en 5,56mm. Et enfin, le recul est trop élevé pour tirer efficacement en automatique avec les fusils d'assaut.
Loin de moi l'idée de critiquer la décision des hauts commandements : la réintroduction d'une munition puissante est une bonne idée. Cependant ils auraient dû se douter que les problèmes rencontrés précédemment avec le même calibre allaient refaire surface. Les changements de plateformes ne vont pas modifier les spécificités de la munition.

Mais à priori personne ne veut passer le pas, et développer une nouvelle munition intermédiaire entre le 7,62mm et le 5,56mm.
Une munition qui pousserai moins sur l'épaule du tireur que le 7,62mm , mais aurait plus de portée et d'efficacité que le 5,56mm. C'est tout à fait possible, puisque cela existe dans le civil. De plus en ce début de XXIe siècle, ne serait-il pas une bonne idée de reprendre l'idée d'unification des munitions datant du début du XXe siècle ? Ce concept qui avait mené l'armée française à n'utiliser qu'une seule munition "full power", le 8mm Lebel, qui alimentais toutes les armes longues : fusils, fusils-mitrailleurs et mitrailleuses lourdes.
Ne serait-il pas plus simple, plutôt que promener toutes ces munitions différentes, de créer une cartouche intermédiaire, une sorte d'équivalent du .280 British (avec une ogive entre 6 et 7mm), qui pourrait alimenter à la fois les fusils d'assaut et les mitrailleuses polyvalentes.
Et étant donné la quantité de fusils d'assaut de tailles variées développés autour du 7,62 OTAN, il ne serait même pas nécessaire que la nouvelle munition tienne forcément dans un AR-15.

jeudi 5 août 2010

Info - Monkeys, guns and trunks

Vous avez probablement entendu l'information suivante : les rebelles afghans entraînent désormais des singes a attaquer les forces de la coalition (ISAF) avec des armes automatiques. Mon avis - et visiblement celui de la communauté scientifique qui dénie toute véracité à cette 'news' - est que donner des fusils d'assaut à un groupe de singe ne peut finir que d'une seule façon : avec beaucoup de singes morts dans les camps d'entraînements.

Mais cependant c'est une occasion de revenir sur un autre singe : le 'trunk monkey' (littéralement singe de coffre).
L'expression a fait du chemin depuis son apparition, pour finir dans le domaine militaire.

Tout commence en 2000, lorsque Sean Sosik-Hamor invente la première itération du trunkmonkey pour NESIC (New England Subaru Impreza Club). Le trunk monkey est un singe (en peluche) placé dans le coffre des voitures, qui devient vivant lors des manoeuvres à haute vitesse, et se déplace dans le coffre pour changer l'équilibrage de la voiture.
En 2003, la société publicitaire R/West (Portland, Oregon) reprends le concept pour une série de vidéos promotionnelles pour le Suburban Auto Group (Sandy, Oregon). Dans les clips vidéos, le trunk monkey est une option automobile consistant en un singe (chimpanzé) vivant dans le coffre de la voiture, et effectuant à la pression d'un bouton (ou au déclenchement de l'alarme) des tâches diverses telles que : vous débarrasser d'un gêneur, des voleurs de voitures, d'envahisseurs extraterrestres, ou pour surveiller votre fille lorsqu'elle sors avec son petit ami...


Bien entendu, n'importe quel concept absurde sorti du civil finis par avoir un sens dans le monde militaire. Sont donc apparus le 'tactical trunk monkey' et ' militarytrunk monkey', qui désignent tout deux la personne qui fait la couverture arrière d'un convoi militaire. En effet, étant dernier du convoi, il a l'honneur et l'avantage de passer son temps dans le coffre du véhicule de queue (dans les vans et tout-terrains).

'Trunk monkey' dans un convoi de sécurité privée en Irak

samedi 26 juin 2010

News - No more SCARs

Après quasiment six années de développement, une année complète de tests sur le terrain et six versions du SCAR-L (SOCOM Combat Assault Rifle - Light), ou Mk16, est abandonné par le SOCOM. Seul le SCAR-H et le SSR sont encore au budget pour l'année fiscale 2011, car le Mk16 est considéré comme n'étant pas une priorité, n'apportant - selon les utilisateurs - que peu par rapport à l'arme qu'il étais sensé remplacer sur le terrain, le Colt M4A1.

FN SCAR-L ou Mk16 Mod0 équipé du lance grenades Mk13

Produit par FN USA, pendant américain de la Fabrique Nationale de Herstal belge, le SCAR a été créé à l'origine à la demande du Naval Special Warfare Command, composante Navy du SOCOM. Développé par et pour les forces spéciales en vue du remplacement du M4A1, le SCAR s'est ensuite divisé en deux familles, le SCAR-L en 5,56x45mm OTAN et le SCAR-H en 7,62x51mm OTAN. Le SCAR-H a ensuite été dérivé en Mk20 SSR (Sniper Support Rifle) équipé d'un garde main et d'un canon plus longs.

Les Mk17 et SSR restent au catalogue des commandes pour 2011, car ils sont considérés nécessaires pour combler le besoin d'unité dans les armes automatiques et semi-automatiques utilisées par le SOCOM, en remplacement des M14, SR25, FN FAL et dérivés en utilisation pour jusqu'à l'arrivée du Mk17 en 2009.

Les 850 Mk16 Mod0 déjà livrés continueront à être utilisés en opérations, mais devront être reversés aux armureries à chaque fin de tour, pour être utilisés par l'unité suivante. Les soldats devront se contenter des M4A1 et éventuels HK416 disponibles dans leurs unités pour l'entraînement.
La fin du programme SCAR-L est particulièrement difficile pour les SEALs du NSW, qui ne touchent pas leurs armes individuelles par le biais de leur branche (US Navy) - contrairement aux autres composantes du SOCOM - mais directement par le Special Ops COMmand lui-même.


Certaines sources chez FN USA font état d'un projet de nouveau lower receiver avec puits interchangeables, permettant aux soldats de passer les Mk17 de 7,62mm à 5,56mm plus facilement que par le remplacement complet du lower comme c'est le cas aujourd'hui.

vendredi 25 juin 2010

Info - Hilux et conflits armés

Toyota Hi-Lux et conflits armés

Dans la tête des spécialistes des véhicules tactiques, Toyota Hilux a toujours été synonyme de conflits armés au in fond de l'Afrique. Les pick-ups japonais, particulièrement les Hilux de Toyota réputés invincibles - et à raison, comme prouvé par cette petite vidéo réalisée par l'équipe de l'émission britannique Top Gear - ont été la monture préférée des rebelles et militaires de tout poil dans les pays du tiers monde depuis les années 70, et mainte fois utilisés par les africains comme plateforme pour les 'Technicals', ces véhicules tout-terrains équipés localement d'armes collectives sur affût.


Rebelles montés sur un 'Technical',
Toyota Hilux équipé d'une mitrailleuse russe DSHk

Des centaines de Hilux ont même été fournis gracieusement à l'armée tchadienne en 1987 durant l'offensive contre l'armée lybienne, et utilisés comme cavalerie légère grâce au montage d'armes automatiques et de postes anti-chars sur la benne. Les Hilux permettront même, pendant la bataille de Fada, de traverser les champs de mines à des vitesses élevées (au delà de 100km/h) sans les détonner. Le Times appellera même le conflit Tchad-Lybie "great toyota war".

Dans un passé plus proche de nous, le Hilux se démarquera comme principal véhicule tactique des forces Talibanes et de l'Alliance du Nord lors des conflits ethniques de la fin des années 90 en Afghanistan, permettant aux utilisateurs de se déplacer rapidement, et amplement chargés, sur le réseau routier local,d'une qualité douteuse car jamais entretenu après le départ des russes dans les années 80.


Toyota Hilux 7e génération (2005) utilisé par les hommes du 5th Special Forces Group (US SOCOM/ARMY) en Afghanistan. en plus du matériel classique emporté par une A-Team, les soldats ont monté une M240B équipée d'une lunette jour/nuit PVS-10 sur affût dans la benne.

Lors de l'Opération Enduring Freedom (OEF), les forces spéciales américaines seront fournies sur le terrain en HiLux, tout d'abord grâce à un programme de leasing (location longue durée) de Toyota USA, puis par la fourniture gratuite de 100+ véhicules directement par le quartier général de Toyota, avec comme seule condition l'interdiction de recouvrir les logos Toyota et Hilux présents sur les véhicules.
Encore aujourd'hui, le Hilux est largement utilisé par les troupes Afghanes, les forces spéciales américaines et nombre d'armées asiatiques, africaines et sud-américaines, ainsi que par un grand nombre d'entreprises de sécurité privées.


Toyota HiLux Gen7 blindé de la MNU dans District 9

Un clin d'oeil cinématographique est fait à l'utilisation tactique du Pick-Up dans le film de Peter Jackson District 9 (2009), où les mercenaires de la MNU utilisent comme véhicules principaux des Mamba Sud Africains (produits par BAe Systems) et des Toyota Hilux blindés.

Cependant le concept de Hilux blindé est une réalité aujourd'hui, avec le dernier véhicule tactique de ACMAT : l'ALTV (All-wheeled Light Tactical Vehicule).

ACMAT All-wheeled Light Tactical Vehicule

L'ALTV est une reprise de la plateforme 7e génération Hilux, modifiée pour l'adapter à une utilisation militaire. le capot moteur est renforcé (protection balistique B4+/classe III) pour protéger les organes vitaux du véhicule, la benne est modifiée pour intégrer des ridelles et alléger lamasse totale. Les principaux éléments Toyota restent présent dans le véhicule, avec la boite 6 vitesses, la boite de transfert, le blocage mécanique des différentiels, la climatisation et la direction assistée. La mobilité tout-terrain est améliorée par la présente de roues 'anti crevaison' dotées d'un disque plastique, permettant de rouler avec les 4 pneus à plat.


ACMAT ALTV "stripped down"

L'ALTV est disponible en trois versions : standard, avec capot moteur blindé et cabine classique double ou simple, standard blindé, avec une protection B4+ 360° au niveau de la cabine, et en version "stripped down" sans cabine rigide et sans portières.
L'ALTV est propulsé par le standard Hilux, un moteur 2.5L Turbo Diesel Toyota de 170 chevaux et de 400 N.m de couple.

Planche de bord de l'ALTV.
On reconnais bien le design Toyota au niveau des bouches d'aération.


14/11/10 : Comme on me l'a justement fait remarquer, l'ALTV est basé sur le Nissan Navarra. Cependant cela n'enlève rien au fait que c'est une application du concept de "technical" prouvé sur le terrain ces dernières années par les pick-ups de Toyota.