samedi 18 mars 2023

MQ-9 vs Su-27 sur la mer noire

Suite à l'interception d'un MQ-9 "Reaper" américain au-dessus de la mer noire par l'aviation russe du 14 mars 2023, un petit papier "à chaud", ou presque.


  • L'incident

Le 14 mars 2023, lors d'un vol dans l'espace aérien international au-dessus de la mer noire, l'US Air Force déclare avoir perdu un drone MQ-9 "Reaper", présent sur zone pour surveiller le secteur dans le cadre de la protection des frontières de l'OTAN dans la région. L'US Air Force annonce également que le drone a été percuté par un chasseur russe Su-27 lors de manœuvres considérées dangereuses et non professionnelles.

Carte de la mer noire. Roumanie, Bulgarie et Turquie sont des membres de l'OTAN.

La Russie reconnaît qu'un drone américain est tombé dans la mer noire alors que des Sukois l'interceptaient, mais annonce, pour sa part, que les pilotes russes n'ont fait aucune manœuvre contre l'appareil, et qu'il est simplement tombé de lui-même.

Le lendemain, le DoD américain déclasse la vidéo de l'incident, enregistrée par le drone de surveillance, qui fait rapidement le tour du monde :

Faisons donc un tour de l'incident.

  • Le General Atomics MQ-9 "Reaper"

Drone MQ-9 Reaper de General Atomics. Le MQ-9 est destiné à la surveillance armée et à l'attaque au sol/appui-feu.
 

Le MQ-9 est fabriqué par la firme américaine General Atomics Aeronautical Systems, Inc., basée en Californie et issue du pétrolier Gulf Oil, dans les années 60. A l'origine créée pour gérer le développement de réacteurs nucléaires par Gulf, General Atomics crée une branche aviation et drones au début des années 90.

En 1995, General Atomics livre les premiers drones de surveillance RQ-1 (R pour Reconnaissance, Q pour sans pilote).

MQ-1 Pretador en configuration appui-feu

Le RQ-1 est rapidement modifié pour emporter des moyens d'attaque au sol (missiles guidés Hellfire...), et prend en 2002 la désignation officielle MQ-1 (M pour multirôles), et est surnommé "Predator" (prédateur).

Très rapidement, General Atomics travaille sur un "Predator-B". Cette nouvelle version remplace le moteur Rotax à pistons par un turbopropulseur, gagne en tonnage (et donc en voilure et en emport), et aboutit sur le MQ-9, surnommé "Reaper" (la faucheuse).

Le MQ-9 entre en service en 2007, et est utilisé par les Etats-Unis, mais également un grand nombre de forces aériennes de l'OTAN, dont l'Armée de l'Air et de l'Espace française.

Le MQ-9 est un drone de surveillance et d'appui-feu d'environ 2,5 tonnes, capable de rester 14h en vol à une vitesse de croisière de 300 km/h, et piloté depuis une base (souvent loin du front) via satellite.

Comme on peut le voir sur la vidéo de l'incident, le MQ-9 intercepté n'est pas armé, et donc purement en mission de surveillance.

  • Le Sukhoi Su-27

Sukhoi-27 Russe

 Le Sukhoi Su-27 est un chasseur monoplace multirôle, développé dans les années 70 et 80, et qui sert de principal cheval de bataille aux forces aériennes russes depuis la consolidation du bureau d'études et des capacité de productions de Mikoyan (anciennement MiG) et Yakovlev dans le consortium d'état PJSC United Aircraft Corporation en 2006, qui a mené à un phagocytage complet de l'aviation Russe par Sukhoï.

(NDR: Avec la consolidation des capacités d'étude et de production russes, leurs avionneurs sont devenus souvent de simples assembleurs.)

Sukhoi produit aujourd'hui plusieurs modèles de chasseurs basés sur le Sukhoi-27 (Su-30, Su-33 navalisé, Su-35 et Su-34).

Le Sukhoi 27 est entre autres connu pour la manœuvre du Cobra, impressionnante visuellement mais complètement inutile (et fatigante pour la cellule) dans un monde où la majorité des engagements s'effectuent à distance, avec des missiles guidés.

Manœuvre du "Cobra", destinée à esquiver un ennemi en combat rapproché (dogfight)

Le Sukhoi-27 est un appareil multirôle et un intercepteur décent, mais l'entrée de son dérivé Su-35 dans divers tests dans les années 90 et 2000 (en Corée et au Brésil, entre autres) ont montré les limites de la plateforme face aux appareils au standard OTAN.

Le Su-27 et ses dérivés restent la colonne vertébrale de l'armée de l'air Russe, en attendant l'arrivée (annoncée depuis les années 90) du Su-57 de nouvelle génération.

  • Interrogations sur les manœuvres russes

La vidéo plus haut montre qu'avant l'impact, les chasseurs russes (au nombre de deux, d'après les sources officielles) ont commencé par pulvériser du kérosène sur le drone, avant qu'un pilote fasse une fausse manœuvre et le percute, mettant fin à l'interception avec la perte de propulsion et le crash du drone. Pour plus d'informations sur les raisons de l'impact, je vous renvoie à une vidéo sur la chaîne du pilote de chasse ATE, ex-Marine nationale :


Au-delà de l'impact, à priori imprévu et non voulu, la question des actions russes se posent.

Qu'essayaient-ils de faire en projetant du kérosène sur le drone ? La manœuvre est très risquée, le kérosène largué venant du réservoir principal des appareils (qui volent sans réservoir supplémentaires dans la vidéo). Les pilotes prennent donc le risque de ne pas pouvoir rentrer à la base en faisant ces manœuvres.

L'effet du kérosène sur le drone est également un gros point d'interrogation : le kérosène pulvérisé par un vide-vite se disperse et s'évapore, ne laissant qu'un film léger sur certaines surfaces. Il est donc peu probable que le dégazage gène les capacités de surveillance du drone. On peut d'ailleurs constater sur les vidéos que même en filmant directement le passage des avions russes, la caméra (qui est située sous le nez du MQ-9) ne semble pas impactée par les épandages répétés (au nombre de 12, d'après l'US Air Force).

Il est également peu probable que le kérosène déversé en vide-vite puisse avoir un effet sur la motorisation du drone : le MQ-9 utilisant un turbopropulseur, la saturation en kérosène de l'air aspiré nécessiterai d'être extrêmement élevée pour pouvoir stopper la turbine, qui repartirait probablement d'elle-même après quelques secondes, une fois le surplus évacué. Même le moteur à pistons turbocompressé Rotax du MQ-1 n'aurait fait que tourner très riche quelques instants, avant de repartir normalement.

Vue en coupe d'un turbopropulseur. Le kérosène aspiré ne ferait que ressortir par l'échappement après avoir traversé le moteur.

 

La question du but de la manœuvre reste donc entière, considérant les risques pris par les pilotes russes.

  • La réponse américaine, et pourquoi elle est parfaitement logique

La réponse américaine a été rapide sur le sujet : les pilotes russes sont des amateurs, et ce genre d'incident montre qu'il n'ont pas un niveau approprié pour les missions d'interception.

Les analystes internationaux ont également rapidement fait remonter le fait que les Russes utilisent ce type de méthodes de coercition lors d'interceptions en mer ou dans les airs, en zone internationale, avec une régularité qui fait froid dans le dos. Et qu'une recrudescence des vols très basse altitude en Syrie a lieu depuis le début du mois de mars.

En tout temps, les pilotes soviétiques et russes ont étés très agressifs envers les appareils et navires de ceux qu'ils perçoivent comme leurs ennemis, c'est à dire les pays Européens et les États-Unis. Et ce même si la qualité de la formation de leurs pilotes s'est visiblement dégradée depuis la chute de l'Empire Soviétique, et que les machines qu'ils utilisent vieillissent.

On pourrait faire le parallèle avec nos amis canins : il n'y a pas plus agressif, extérieurement, qu'un chien apeuré.

  • L'armée de l'air russe et les espaces aériens : faites comme je dis, pas comme je fais

De son côté, la Russie a appuyé sur une prétendue violation de l'espace aérien du champ de bataille ukrainien.

Même sans prendre en compte le fait que l'espace aérien autour de la Crimée n'est pas reconnu comme Russe, mais comme étant Ukrainien, par la communauté internationale (et donc que les Russes n'ont aucun droit à limiter qui peut s'y déplacer), la situation est cocasse lorsqu'on jette un œil aux violations d'espace aérien de ses voisins par la Russie. 

Outre les incidents intervenus cette semaine, la Russie a violé l'espace aérien suédois avec des appareils armés au mois de mars 2022 (après le début de leur invasion de l'Ukraine), et leurs violations répétées de l'espace aérien Turc en 2015 avaient mené à la destruction d'un bombardier Sukoi-24 Russe par la chasse turque.

  • En conclusion

La destruction du MQ-9 apparaît comme étant accidentelle, et due a une erreur de pilotage côté russe.

Cependant, l'interview du pilote soviétique ayant intercepté le vol Korean Air 007 au-dessus de Sakhaline en 1983, dans une interview donnée au journal russe Izvestia en 1991, précise que ses choix lors de l'interception étaient de tirer au canon, au missile, ou de percuter l'avion de ligne. Cette dernière information tendrait à montrer que l'impact volontaire avec un appareil intercepté était une tactique parfaitement normale pour les pilotes soviétiques, et potentiellement toujours d'actualité avec les pilotes russes en 2023.

Dans tous les cas, si la Russie prétend que tout s'est passé comme prévu, et offre une de ses fameuses médailles en fer-blanc au pilote qui a percuté le MQ-9, les américains de leur côté on opté pour le mépris, la désescalade, et le maintien des vols de reconnaissance sur la mer noir.


Il est donc probable qu'à moins d'une nouvelle action d'agression Russe sur un appareil piloté, les choses en resteront là. Les forces de l'OTAN dans leur ensemble, et les américains en particulier, ne voient pas leur intérêt à répondre aux pitreries des russes.

Et gardent un œil (armé) sur les frontières de l'Europe.

Rafale français en cours de ravitaillement / Photo US CENTCOM


dimanche 12 mars 2023

Guerre en Ukraine, la IIIe Guerre Mondiale à nos portes ?

 Disclaimer : Ce papier a été publié pour la première fois sous forme de fil Twitter le 17 octobre 2022. Les  éditions seront indiquées entre [crochets]. 
Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et force des décisions éditoriales.
 

[L'une des marottes des réseaux pro-Kremlin, et les idiots utiles répétant leurs points de vue, depuis le début du conflit en Ukraine,est de parler de l'avènement de la 3e Guerre Mondiale.]

Et, dans le tas, beaucoup de gens semblent ne pas savoir, ou ne pas comprendre, ce qu'est une "Guerre Mondiale".

 

Exemple de personne avec un auditoire public, qui ne comprend pas ce qu'est une Guerre Mondiale, ou ment au public de façon volontaire.

Beaucoup de gens présentent un affrontement entre le Pacte de Varsovie et l'OTAN en Europe dans les années 1980 comme étant une guerre mondiale. 

Dans le genre Tempête Rouge de Clancy. 

Red Storm Rising, ou Tempête Rouge en français, raconte un affrontement entre les Soviétiques et l'OTAN en Europe, sur fond de crise économique en URSS au milieu des années 80.
 

Et donc, dans cette logique, un affrontement entre la Russie et les forces d'un ou plusieurs pays de l'OTAN en Ukraine serait la IIIe Guerre Mondiale.

Seulement, une guerre mondiale, ce n'est pas une guerre où des gens viennent de la terre entière pour, poliment, se mettre sur la gueule.

C'est une guerre où les théâtres d'opérations s'étendent sur tous les continents, ou presque (l'Antarctique ne compte pas, étant une zone internationale sans population).

 

 

  • La Première Guerre Mondiale (1914-1918)

De par notre point de vue d'Européens, nous regardons la 1ère Guerre Mondiale comme étant purement Européenne. Cependant, si c'était le cas, ce serait juste une guerre Franco-Prussienne classique. La guerre de 1870 est-elle une guerre mondiale ? Non, pas plus que les campagnes Napoléoniennes, qui se sont pourtant étendues sur tout le continent Européen.



Cependant, en 1914, par le jeu des colonies, après la déclaration de guerre le conflit s'étend à l'Afrique, où les troupes coloniales allemandes, comme les Askari de Von Lettow-Vorbeck, tentent de garder le contrôle de l'empire colonial face à des troupes alliées supérieurs en nombre, équipement, et ayant accès à leur métropole pour le ravitaillement.

Troupes coloniales allemandes Askari, et leurs officiers impériaux Allemands, 1914

Les colonies sont également un argument de recrutement pour les alliés : les sud-africains et portugais se voient promettre des territoires contre leur aide en Europe, et à la fin du conflit les colonies allemandes seront distribuées entre les vainqueurs.

Troupes coloniales Anglaises en Afrique

L'est de l'Asie et l'Océanie seront, de même, emmenées dans la guerre, avec l'attaque et la capture des colonies et comptoirs allemands dans le Pacifique et en Chine. Les allemands tenteront de fomenter une révolte en Inde, sans succès. 

Troupes allemandes lors du siège de Tsingtao (Qingdao) par les troupes japonaises et anglaises

L'Asie sera également concernée par des batailles alliées contre les Ottomans (alliés des empires Allemand et Austro-Hongrois), et les révoltes arabes - motivées par les pays de l'Ouest - en Asie Mineure. L’Amérique du Sud, elle, ne sera concernée que par des batailles navales, le long de ses côtes. 

Donc 5 continents sur 6 sont concernés par les affrontements, et nous avons déjà dit que l'Antarctique ne compte pas. 

Mondiale, la guerre, comme disait Coluche. 

 

 

  • La Seconde Guerre Mondiale (1939-1945)

Concernant la seconde Guerre Mondiale, je vais faire plus rapide et plus simplifié, car tout le monde (ou presque) est conscient de sa dimension internationale, et inter-continentale : 

Expansion maximale des forces Allemandes (et leurs alliés) en novembre 1942.

 

- Allemands en Europe et Afrique du Nord 
- Japonais en Chine, quasiment jusqu'à l'Inde, qui descendent jusqu'à la mer de Corail, limite de l'Océanie.

L'Amérique, une fois de plus touchée principalement par les batailles navales, entre les raideurs allemands (sous-marins et navires de surface) et les marines alliées.

Expansion maximale japonaise, 1942

  • Le scénario Ukrainien

Maintenant que nous avons vu ce qu'est une Guerre Mondiale, nous pouvons étudier un scénario "Tempête Rouge" en Ukraine.

On a deux blocs : La Russie, avec des achats de matériels Iraniens et Nord-Coréens d'un côté, et l'Ukraine, aidée par ventes & dons de matériels OTAN de l'autre.

Carte de situation dans Tempête Rouge de Tom Clancy, avec un engagement direct entre les forces Soviétiques et de l'OTAN

Où se passent les combats ? 

En Ukraine, et quelques bombardements au-delà de la frontière Russe. 

Quels autres endroits ? Nulle part

Donc nous sommes dans une guerre se déroulant sur un terrain restreint en Europe. C'est tout.

[NDR : au 12/03/2023, les combats, hors quelques frappes sur des bases russes, ne sortent pas des frontières terrestres et maritimes de l'Ukraine telles que définies en 1991.]

Carte animée du front en Ukraine, de Février à Août 2022, montrant la sectorisation très limitée des combats
 

Mais, j'en entend dans le fond qui hurlent "oui, mais si l'OTAN s'en mêle sur le terrain ?"

Et je leur répondrai "Si l'OTAN s'en mêlait, et attaque la Russie, et qu'on appelle ça une 'Guerre Mondiale', alors il faudra faire des requalifications, et ça sera la 4e guerre mondiale, pas la 3e".

Pourquoi ? C'est simple :

 

 

  • La guerre où tout le monde est contre tous les autres de façon ouverte, mais pas mondiale

 

La Guerre de Corée, 1950-1953 (combats), 1950-présent (techniquement)

De 1950 à 1953 (techniquement jusqu'à aujourd'hui, la paix n'a jamais été signée) s'est déroulé un truc appelé la "Guerre de Corée". Une guerre symétrique (ou "near-peer" comme on dit de nos jours), avec d'un côté les Nord-Coréens, les Chinois et les Russes (oui, tous avec des troupes sur le front, pas juste de l'aide).

 De l'autre côté, les Sud-Coréens, et des troupes :
- Américaines
- Françaises
- Anglaises + Commonwealth
- Turques
- Thaïs
- Philippines
- etc...

On va passer les détails, mais en gros tout le monde est là, y compris des éthiopiens, des colombiens et des sud-africains.

 

Char d'assaut Centurion anglais en Corée, 1951.

Cet engagement largement international, en Corée de 1950 à 1953, est dû en grande partie a l'ONU et à sa résolution n° 83, du 27 juin 1950, recommandant une aide des états membres à la Corée du Sud.

Mais si les deux blocs s'affrontent de façon complètement ouverte (Les forces de l'ONU combattent sous leurs propres pavillons, les Chinois sous le leur, et les Soviétiques engagent leur armée de l'air de façon à peine voilée), le terrain des affrontement se limite à la péninsule Coréenne, les forces de l'ONU faisant même spécialement attention à ne pas franchir la frontière Chinoise en 1950, malgré la poussée véhémente de Douglas Mac Arthur.

La guerre de Corée serait donc la 3e "Guerre Mondiale", si l'on considère que c'est une question de représentativité, et non de champs de batailles.

Hors la Guerre de Corée, jusqu'à aujourd'hui, reste la guerre de Corée. Pas la 3e Guerre Mondiale. Ou même la 2,5e Guerre Mondiale.

Les gens qui soutiennent que la guerre en Ukraine va mener à la 3e GM et que l'on devrait laisser les Russes gagner, probablement.

  • En conclusion, non, la 3e Guerre Mondiale n'est pas pour demain

Du coup, guerre en Ukraine qui tournerait à la guerre mondiale? 

Oui mais non. 

Même si les russes déploient des Coréens ou des Iraniens sur le front... 

Même si l'OTAN décidait d'attaquer la Russie... 

Parce que les forces de l'OTAN sont en Europe, et n'ont pas besoin d'en sortir : Moscou est à quelques heures des pays baltes en AMX-10RC.

Trajet entre Terehova, à la frontière Lettone, et la Place Rouge à Moscou. Pas besoin de sortir de l'Europe continentale !

Pour avoir une guerre mondiale, il faudrait que les Russes attaquent le Japon et les États-Unis sur leur sol, et l'armée française en Afrique.
Et même s'ils étaient assez idiots pour le tenter, au jour d'aujourd'hui, ils n'auraient pas les capacités pour.
A part en envoyant 3 clampins en scooter...

Et donc, maintenant, vous savez pourquoi les gens qui crient à la Guerre Mondiale vous racontent des bêtises.

A  bientôt pour de nouvelles aventures.


samedi 11 mars 2023

Blindés en Ukraine : L'armée ukrainienne et les T-62 capturés

 Disclaimer : Ce papier a été partagé à l'origine en tant que fil Twitter le 27 septembre 2022, en anglais. Les données ayant changé depuis et les éditions seront indiquées entre [crochets]. 

Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et force des décisions éditoriales.

Comme mentionné dans l'article précédent l'armée russe engage des chars d'assaut T-62 en Ukraine.

Lors de ses contre-offensives de la seconde moitié de 2022, l'Ukraine a capturé des quantités non négligeables de ces T-62, souvent simplement car ils ont étés abandonnés pour cause de panne.

[Au 11/03/2023, d'après le site Oryx, qui recense les pertes russes et ukrainiennes en open source, les Ukrainiens auraient capturé 45 chars T-62]

Rapport entre les T-62 détruits, abandonnés et capturés, comparé aux chiffres sur la totalité du parc Russe. Les chars T-62 sont majoritairement capturés, à cause de leurs problèmes de fiabilités dus à leur âge, et au manque de sabotage des équipements laissés sur le terrain par les troupes russes.
 

[Pour illustration, une galerie de T-62 capturés entre Août et Novembre 2022 :]










Face aux quantités de véhicules capturés, une question se pose : Cela vaut-il le coup (et le coût) de rapatrier ces véhicules sur les arrières, et les ukrainiens n'auraient-ils pas meilleur temps de les saboter, ou de les enterrer comme casemates, comme les russes l'ont fait des IS-3 et T-10 sur la frontière avec la Chine ?

Eh bien, cela dépend.

Nous avons déjà jeté un œil au T-62 et à ses défauts.

Le T-62 est un char décent, mais ancien et inférieur aux T-64BV déjà alignés par l'armée ukrainienne.

Et, bien entendu, même pour une utilisation en support d'infanterie ou de nettoyage de poches après une offensive, ils ont avant tout le défaut d'utiliser un canon dans un calibre non standard, le 115mm :

- Munitions non disponibles dans l'arsenal Ukrainien, nécessite de se reposer sur des stocks capturés ;

- Logistiquement complexe, force au stockage de 2 calibres complètement différents pour les chars.

[NDR : Le problème des munitions de 115m avait déjà forcé les Israéliens à mettre au rebut la majorité des T-62 capturés des Égyptiens et Syriens, alors qu'ils ont étés grands utilisateurs du T-54 et T-55, en version standard ou modifiée.]

 

Donc, que faire de tous ces T-62 capturés ?

  • Solution n°1 (Canadienne) : Le T-62 Kangaroo

VBTT Ram Kangaroo canadien en France en 1944, basé sur le Tank, Cruiser, Ram, Mark II

 La première solution est de ressusciter le concept du "Kangaroo" Canadien. Le concept du Kangaroo, utilisé sur le M3, le RAM, les automoteurs Priest et certains Sherman, est relativement simple : prendre un véhicule blindé à chenilles, enlever l'armement (tourelle, canons, racks de munitions), souder une plaque de blindage sur les éventuels trous laissés ouverts dans le blindage, ajouter des places assises dans la caisse.

Pour peu de frais, on se retrouve avec un Véhicule Blindé de Transport de Troupes (VBTT), capable de suivre les chars d'assaut (puisque, souvent, basé sur un châssis de char d'assaut allégé), et présentant le même niveau de protection que ces derniers.

L'autre avantage de cette conversion est la rapidité avec laquelle elle peut être faite. Avec les T-62, quelques semaines pour retirer les équipements inutiles et réviser les moteurs et trains roulants permet de les remettre en service, avec un équipement minimal.

  • Solution n°2 (Israélienne) : Le VCI

Achzarit Israélien

 La seconde solution est de prendre la route utilisée par les Israéliens avec le Véhicule de Combat d'Infanterie (VCI) Achzarit : prendre un char d'assaut (T-55 dans le cas de l'Achzarit), retirer les équipements et le blindage supérieur, souder une nouvelle caisse blindée sur le châssis d'origine au format voulu. Cela permet de créer un véhicule spécialisé capable de porter les fantassins au front, avec un maximum de protection (portes de sortie à l'arrière, profil bas, armement piloté...).

Une firme de Kiev a, à priori, déjà effectué les travaux de conception et dessin pour un VCI basé sur le T-62, jamais produit pour le moment.

BMPV-64, VCI basé sur le châssis du T-64 Ukrainien

  • Solution n°3 (Française) : la remise à niveau

La troisième solution est d'appeler le groupe Nexter en France, et leur demander de fouiller dans leurs vieux cartons.

 

Projet de T-62 en 120mm OTAN, développé par GIAT pour le moyen-orient dans les années 80

Dans les années 80, le marché du rétrofit de chars russes s'ouvre au moyen-orient. De nombreux pays comme l'Egypte se tournent vers l'occident, comprenant que l'URSS est en perte de vitesse, et à l'article de la mort.

GIAT (aujourd'hui devenu Nexter) développe des packs de rétrofit pour les modèles les plus communs. Le T59, qui équipe le T-55 d'un canon de 105mm CN-105 F1 et de la conduite de tir de l'AMX-30, et un projet de modification du T-62.

Le T-62 tel que vu par les ingénieurs de GIAT monterait, sur le berceau d'origine, un canon 120mm OTAN de type CN-120-25 G1, à l'origine destiné à l'AMX-40 pour l'export.

Cette solution permettrait aux Ukrainiens de posséder un char de support d'infanterie équipé d'un canon standard OTAN, capable de défaire les blindés russes les plus lourds, sans avoir à monopoliser un Leopard, plus utile à des endroits où ils sont sûrs de rencontrer des T-72 ou T-80. L'utilisation d'optiques modernes permettrait en outre de ne pas être limité par la qualité du matériel russe, que ce soit en distance d'acquisition ou en capacité de combat de nuit.

Le problème avec cette dernière solution est, malheureusement, double :

D'une part, le canon CN-120 G1 n'a jamais été produit en série, et uniquement monté sur des prototypes. Il serait nécessaire de créer une ligne de production en partant de zéro, ou adapter le CN-120 F1, utilisé sur le Leclerc (dont la production est également arrêtée depuis plusieurs années).

D'autre part, le projet n'a (faute de demandes) à priori jamais dépassé le stade papier. L'étude serait donc à reprendre quasiment de zéro, et pour commencer à retrouver dans les archives chez Nexter.


[NDR : Suite à des photos parues en janvier, il semblerait que les Ukrainiens soient partis de leur propre côté, en transformant certains T-62 capturés en chars de dépannage, pour permettre la récupération près du front des chars et autres véhicules blindés, et les travaux du génie.]

T-62 russe capturé et démonté, en cours de conversion en char de dépannage par les ateliers ukrainiens.


samedi 4 mars 2023

Blindés en Ukraine : la Russie et le T-62 en service actif en 2022-23

 Disclaimer : Ce papier a été partagé à l'origine en tant que fil Twitter le 17 septembre 2022, en anglais. Les données ayant changé depuis et les éditions seront indiquées entre [crochets].

Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et forcent des décisions éditoriales.

[NDR : Article écrit lors de la contre-offensive des forces ukrainiennes sur Kharkiv et Izium, durant laquelle les Ukrainiens ont partagé des photos de stocks de munitions de 125mm et 152mm capturés dans les dépôts de ravitaillement russes.]

Il semblerait que la Russie fournit toutes ses munitions de 125mm (utilisées par les T-72, T-80 et T-90, NDR) à l'Ukraine.
C'est assez logique.

Pourquoi ? Car sur le front, côté russe, apparaît maintenant le légendaire T-62.

Munitions de 125mm russes capturées par l'Ukraine lors de l'offensive sur Izium, septembre 2022

Mais, je vous entends dire, qu'est-ce qu'un T-62 ?

Eh bien, c'est un char d'assaut très intéressant.

Le T-62 est le tout premier char produit par les soviétiques utilisant un canon à âme lisse. Avant cela, l'Union Soviétique avait déjà développé un canon anti-char à âme lisse en 100mm, le MT-12, mais pas de version automotrice ou de char, les T-54 et T-55 étant équipés d'un canon rayé de 100mm.
Le MT-12 a d'ailleurs été lui aussi engagé en Ukraine ces derniers mois.

Canon MT-12 de 100mm en service Ukrainien

Le T-62, comme son nom l'indique, apparaît en 1962. A cette époque, [le Kharkiv Morozov Machine Building Design Bureau rencontre des difficultés dans le développement de ce qui deviendra] le T-64. Le chargement automatique prévu pour le T-64, révolutionnaire pour l'époque (et qui réduit l'équipage de 4 à 3 hommes), ralentit la mise en service des premiers prototypes.
Le T-55, de son côté, commence à montrer son âge (à peine 10 ans, pourtant) suite à la mise en service par les Anglais du nouveau L7 de 105mm sur le Centurion.

T-62 en Afghanistan

L7 qui a été développé spécifiquement pour défaire le T-54/55, suite à la présence accidentelle d'un T-54A dans la cour de l'ambassade anglais de Prague lors de la révolution de 1956, qui a permis aux anglais de faire, à leur guise, l'étude de son blindage. Avant que les soviétiques viennent poliment demander s'ils pouvaient récupérer leur blindé.

Mais je me disperse.

Donc à ce stade, face au L7 anglais et à l'évolution des technologies, le T-55 est insuffisant [et le T-64 pas encore disponible].

T-54 détruit dans les rues de Prague, 1956

[NDR : Ironiquement, les Israéliens produiront le char Tiran-5Sh sur la base de T-55 capturés (ou achetés), avec le canon 100mm soviétique d'origine remplacé par le L7 105mm anglais. Le Tiran-5Sh a été livré à l'Ukraine par la Slovénie, sous la forme du M-55S, mais pour l'instant n'a pas été vu sur la ligne de front.]

Pour l'époque [le début des années 60, donc], le T-62 est un char d'assaut plus que correct : canon de 115mm relativement puissant, mobilité décente, et la capacité d'engager les chars produits à l'Ouest à bonne distance. Leur engagement en 1973 contre Israël lors de la guerre du Yom Kippur montre ses capacités.
Avec le déploiement à grande échelle du T-64 dans les forces soviétiques à partir de la fin des années 60, le T-62 est largement distribué aux nations satellites et alliées.
[Sa simplicité d'utilisation et de maintenance est appréciée par les utilisateurs à travers le monde.]

T-62 Syriens dans les années 70

Donc, en 1973, le T-62 est toujours assez bon pour affronter une force équipée à l'occidentale et bien entraînée. Quid de la suite?

Très bonne question.


En 1991, durant l'opération Tempête du Désert au Koweit, les forces Irakiennes, aguerries par des années de combat contre l'Iran, sont incapables de faire le moindre dommage, avec leurs T-62, contre les forces de la coalition. Les régiments équipés de T-72 ont une performance légèrement plus élevée.

[En Afghanistan, l'Union Soviétique engage le T-62 plutôt que les plus modernes T-64, T-72 ou T-80, basé sur le fait que les chars servent principalement comme soutien à l'infanterie ou aux colonnes de transport.]
L'Armée Rouge y perdra entre 150 (chiffres de Moscou) et 325 (chiffres américains) chars T-62, contre un ennemi qui ne possède ni véhicules blindés, ni troupes anti-chars...

[Un bilan mitigé, donc.]

T-62 Irakien au Koweit, 1991

En 2008, l'armée Russe engage le T-62 en Géorgie. Selon les rapports de l'époque, les T-62 passent leur temps à tomber en panne, et nécessitent d'être réparés avant même d'arriver sur la ligne de front.

Après cela, l'armée Russe déclare le modèle obsolète, et revend son parc roulant aux Syriens. Le reste des véhicules est placé sous cocon, ou ferraillé. Et c'est la fin du service actif du T-62 en Russie, après quasiment 50 ans.

Ou, du moins, c'est ce que l'on croyait.

Colonne de T-62 en Géorgie, 2008

Avant de parler du T-62 en Ukraine, parlons un peu de certaines spécificités techniques du T-62 :

  • Tout d'abord, le T-62, contrairement aux séries T-64, T-72, T-80 et T-90 actuellement en service russe, n'est pas équipé du chargement automatique. C'est un char à l'ancienne, qui utilise une munition d'un seul tenant (obus, propulseur et étui préassemblés), chargée à la main par un membre de l'équipage. De ce fait, l'équipage du T-62 est de 4 hommes, au lieu de 3 dans le reste des chars russes en service actif. 3x T-62 nécessitent donc le même nombre de personnels que 4x T-80.
  • Les étuis vides sont éjectés en automatique, via une trappe à l'arrière de la tourelle. Cela crée un point faible sur la tourelle (portes articulées), qui s'ouvre après chaque tir. Un peu comme un boss de jeux vidéo, d'une certaine façon. Cette éjection automatique semble désactivée sur les chars engagés par la Russie en Ukraine, ce qui signifie que l'équipage est obligé d'évacuer les étuis à la main, réduisant d'autant leur vitesse de tir (la tourelle du T-62 est trop petite pour accueillir les étuis vides, d'où l'extraction automatique).

  • A cause du format du canon 2A20 comparé à la taille de la tourelle, le T-62 nécessite un retour en position neutre après chaque tir, pour permettre le rechargement. Ce qui signifie qu'à chaque rechargement, le tireur va perdre sa cible, et devoir refaire l'acquisition.
T-62MV avec blindage réactif en cours de transfert vers l'Ukraine, 2022

En résumé, la Russie est en train de déployer en Ukraine [depuis septembre 2022] des chars vieux de 60 ans, équipés d'un canon obsolète, d'un équipage dont les rôles ne correspondent pas au reste de leur flotte, contre une armée Ukrainienne moderne, qui a prouvé qu'elle peut se battre contre les derniers chars russes (T-72B3 et T-90M) sur un pied d'égalité.

T-62 russe "Fury" capturé par les forces ukrainiennes, août 2022

Tout va donc pour le mieux du côté russe (l'agresseur, on le rappelle, qui a donc eu tout le temps de s'organiser et préparer ses forces).

Je vous laisserai, pour conclure, avec Nicolas Moran et Ian McCollum, et le T-62 et son armement (en anglais) :



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NDR, conclusion au 4/03/2023 :

Le débat sur l'obsolescence des chars de divers pays fait rage depuis l'annonce de la livraison de Leopard 1 à l'Ukraine. Bien entendu, un char obsolète comme le Leopard 1 ou le T-62 ont pour eux la dimension du "mieux que rien": Il est préférable d'avoir un char dépassé que aucun char.
Ces modèles ont d'ailleurs toujours un rôle potentiel à jouer dans une zone de combat : l'appui de l'infanterie (surtout face à des emplacements fortifiés), et les rôles d'arrière-garde, pour nettoyer des poches de résistance après une offensive menée avec du matériel plus avancé.

De même, la question de la reconversion des T-62 capturés par l'Ukraine se pose. J'ai dans mes fils Twitter une petite discussion sur les solutions disponibles à base de T-62, que je devrai poster ici sous peu, après une bonne remise en page et mise à jour.

Concernant l'engagement du T-62 en Ukraine par la Russie, il semblerait qu'il ne va pas s'arrêter, bien au contraire. De multiples informations tombent actuellement sur le reconditionnement de vastes quantités de T-62 en Russie, pour boucher les trous dans les unités équipés anciennement de T-72 ou T-80.
L'armée Russe a également dévoilé dernièrement le T-62 Obr. 2022, qui voit le remplacement des optiques d'origine par un modèle plus moderne, ainsi que l'ajout d'un système de visée thermique et optiques de vision de nuit.

T-62 Obr 2022

La Russie semble donc compenser son manque de capacité de production - qui est une maladie globale, les Etats-Unis eux-mêmes étant incapables de produite plus de 100 Abrams par an - par un reconditionnement accéléré de modèles plus anciens.
La question restant de savoir si le "nouveau" T-62 sera engagé directement contre les T-64BVM et nouveaux Leopard 2 de l'Ukraine, ou seront utilisés pour garnir des unités territoriales délestées de leurs T-72, eux envoyés en Ukraine.

Dans tous les cas, l'armée Russe semble vouloir brûler toutes ses réserves d'hommes et de matériel en Ukraine, selon la stratégie "la quantité est une qualité en elle-même", déjà utilisée pendant la seconde guerre mondiale.

Ce qui devrait mener, à terme, à un affaiblissement global de leurs forces armées.
Avec l'arrivée du BTR-50 en Ukraine, montrant un manque de BMP et BMD disponibles criant, et une fois les stocks de T-62 épuisés, quelle sera la solution Russe ? Ont-ils encore des réserves de T-10 et de T-55 à engager ?
Auront-ils assez de munitions pour même maintenir le T-62 en service ?

Le futur nous le dira.

jeudi 2 mars 2023

Blindés en Ukraine : le décompte des pertes russes

 Disclaimer : Ce papier a été partagé à l'origine en tant que fil Twitter le 4 septembre 2022, en anglais. Les données ayant changé depuis et les éditions seront indiquées entre [crochets].
Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et forcent des décisions éditoriales.

Avec le listing ORYX atteignant les 1000 chars perdus par la Russie en Ukraine [1781 pertes, dont 1050 détruits au 2/03/2023], il est temps de parler un peu de mathématiques, et de perspective.

Tout d'abord, ORYX est une source formidable pour ceux d'entre nous qui n'ont pas le temps de courir à droite et à gauche pour compter les pertes sur le terrain. Ils font un job formidable [NDR : Oryx est une plateforme tenue par des bénévoles, qui font ce travail sans être rémunérés. Merci à eux].

Leur problème est [que, pour les pertes russes,] ils ne peuvent se reposer que sur ce qui est visible sur les médias sociaux, et côté Ukrainien.

Cependant, les pertes de matériel n'arrivent pas que sur le terrain, et n'importe quelle personne ayant fait de la maintenance industrielle ou de véhicules pourra vous dire qu'une partie des pertes ne seront décomptées qu'après avoir été rapatriées dans un atelier de réparation. Et, dans le cas d'un conflit, il y aura toujours quelques équipements réduit à un tel état qu'il sera impossible de les identifier, ou même de les séparer d'autres matériels également détruits au même endroit.

Schéma simplifié du décompte de pertes

[Le compte Partizan Oleg sur Twitter] a effectué un décompte et des calculs il y a quelques mois.

Ils ont pris une version spécifique du T-80 [le T-80BVM, utilisé par une seule unité de l'armée russe], les chiffres existants sur ORYX pour cette version, et les pertes annoncées par l'armée russe.

Résultat : 75 à 86% des pertes reportées par Oryx. Ce qui est, en soi, prévisible. 15 à 25% des pertes non visibles sur le terrain colle à la logique schématisée ci-dessus.

Pour exemple, voir cet exemple d'un Sukhoï-25 russe, qui a pu retourner se poser en Russie, mais dont la cellule a probablement été ferraillée par la suite, dû à l'étendue des dégâts.

Vous allez me demander, mais où vais-je avec ce raisonnement ?

Une très bonne question, que je vous remercie d'avoir posée. Le Kyiv Independant a publié un article rapportant que les forces russes avaient, au 24 février 2022, 3300 chars d'assaut opérationnels (active et réserve).

Pas engagés en Ukraine, mais sur la totalité de la Russie.

Cela semble relativement proche de la réalité [voir cette vidéo de Covert Cabal sur le sujet].

Considérant que la Russie est connue pour ses stocks très long terme d'armement [NDR : Le char lourd T-10 de 1952 n'a été sorti des stocks opérationnels qu'en 1995, par exemple], ajoutons généreusement 700 chars d'origines diverses : LNR, DNR, sorties de cocons, et bien entendu les variantes du T-62 repérées [et déjà détruites/capturées] sur le terrain.

Soit un total d'environ 4000 chars d'assaut au début du conflit.

Oryx nous donne le chiffre de [1050] chars détruits.

En appliquant les chiffres ci-dessus, nous nous retrouvons avec une fourchette allant de 1200 à 1350 chars détruits.

Soit entre 30 et 34% de la totalité des chars de l'armée russe purement et simplement détruits.

A tout ça, on peut ajouter :

  • Endommagés, 86;
  • Abandonnés, 97;
  • Capturés, 548.

Et soudain, nous nous retrouvons avec un niveau de pertes se situant entre 48 et 52% du total des forces russes.

Donc, sur les [12 premiers] mois d'une opération sensée durer 3 jours, la Russie a perdu environ la moitié de son parc total de chars d'assaut, tous modèles confondus, allant du tout dernier T-90M à l'antique T-62.

[A 6 mois, en septembre, je me posait la question suivante :] Où cela nous mène-t-il ?

C'est une bonne question à laquelle je ne peux apporter de réponse.

L'armée Russe va-t-elle dégarnir les frontières pour envoyer plus de blindés modernes en Ukraine ? [Certaines rumeurs en ont déjà fait état, et il a été confirmé que l'armée Russe a pris des T-72 de l'armée Biélorusse pour les intégrer dans ses unités.] Cela montrerai que la Russie a totalement confiance dans le fait que l'OTAN et la Chine n'en profiteraient pas pour des incursions sur le territoire Russe (ce qui irait à l'encontre des accusations du Kremlin, NDR).

Vont-ils déployer sur le terrain plus de T-62, voire des T-54/55 ? En ont-ils toujours sous cocon, qu'ils pourraient remettre en service ?

[NDR : Au 2/03/2023, la Russie a perdu un total confirmé de 65 chars T-62 toutes versions confondues en Ukraine, et ouvert une ligne de reconditionnement de T-62, où des versions A, M, MV sont remises en état et équipées de nouvelles optiques de visées, y compris une caméra thermique 1PN96MT-02.]

T-62MV Obr. 2022, février 2023

[NDR : Le déploiement récent en Ukraine du BTR-50 par la Russie tendrait à confirmer la remise en état de matériels de plus en plus vieux pour leur engagement sur le terrain, dans une logique du "c'est mieux que rien".]

Le fameux T-14 Armata, encensé par la presse Russe depuis qu'il a été dévoilé, raison du développement du canon 130mm par les ingénieurs de l'Ouest, existe-t-il ? Sensé être le nouveau char d'assaut des forces russes, le T-14 ne s'est pas matérialisé autre part que dans les salons d'armement (uniquement en Russie) et lors des défilés sur la Place Rouge.

T-14 Armata, le futur du passé de l'armée Russe depuis 2014

Pour l'instant, le T-14 est un formidable exemple de vaporware militaire. Adopté en 2014 par les forces Russes, sensé être livré à 2300 exemplaires avant 2025, annulé en 2018, ressuscité en 2020, sensé être testé sur le terrain en 2022 (sic), au jour où ces lignes sont écrites, il semble n'être que 4 personnes sur des vélos, avec un char en carton-pâte par dessus…

La Russie est-elle même capable de produire des chars neufs, pour essayer de boucher certains trous dans la raquette ?

A ce stade, une seule chose est sûre : la Russie a perdu beaucoup de chars.

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Quelques précisions du rédacteur :

Depuis la rédaction du texte original en septembre, la Russie a suivi plusieurs chemins pour essayer d'endiguer leur perte de capacité blindée:

  • Création d'ateliers de reconditionnement pour le T-80. La Russie possède beaucoup de T-80 sous cocon (s'étant concentrée sur le T-72/90 depuis des années), au point que les pertes de T-80 dépassent aujourd'hui le nombre de véhicules en service en janvier 2022, d'après les estimations.
  • Création d'ateliers de reconditionnement pour le T-62. Malgré sa vétusté, le T-62 est toujours relativement efficace contre les emplacements retranchés, et pour le support d'infanterie. Il ne remplace cependant pas un char moderne.
  • Mise en place très couverte par la propagande d'ateliers de réparation pour leurs chars endommagés et récupérés.
  • Utilisation sur le terrain du T-90S destiné à l'export. Selon les dernières informations, ces chars sont propriété de l'armée indienne, et auraient étés récupérés par l'armée Russe alors qu'ils étaient à l'usine pour maintenance et rétrofit, menant à une plainte de l'Inde.
Ces mesures semblent cependant n'être qu'un cache-misère, avec des pertes constantes sur une année, qui ne feront que s'accélérer avec l'arrivée en Ukraine des premiers chars au standard OTAN pour une possible offensive de printemps.