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mardi 25 juillet 2023

Développement des forces aériennes locales à coût réduit : Le retour du Boeing OV-10 Bronco

Depuis le retrait de la force Barkhane du Mali, comme souvent avec le départ d'une force occidentale, le pays en question se retrouve privé d'un multiplicateur de force majeur, celui de la frappe aérienne.

Le problème reste le même depuis la fin de la seconde guerre mondiale : le développement de l'aviation d'attaque, et plus précisément des voitures fixes et tournantes destinées au support des troupes au sol est un élément majeur de la façon de fonctionner des armées occidentales, surtout dans le cadre des opérations contre-insurrectionnelles, qui sont devenues communes dans le cadre du conflit contre les milices djihadistes depuis la fin des années 90.

Mais leur utilisation comme pivot de fonctionnement se fait durement ressentir dès que la force aérienne n'est plus disponible.

OV-10G "Bronco" de North American Rockwell, aujourd'hui produit et supporté par Boeing Défense

Le CAS (close-air support)

Le support des forces terrestres en cas de guerre est presque aussi vieux que l'aérostat lui-même. Dès 1893, l'armée révolutionnaire française fonde une compagnie d'aérostiers, qui utiliseront leurs ballons captifs pour observer l'ennemi, permettant le repérage au profit de l'artillerie et relevant les mouvements de troupes ennemies.

L'évolution des télécommunications permet, à l'ouverture de la première guerre mondiale, aux aérostiers d'emporter des téléphones de campagne, et d'effectuer leurs travaux en synchronisation avec les troupes au sol, au lieu de devoir user de signaux visuels ou du largage de messages.

Très vite, l'avion devient une nouvelle source de renseignement et d'appui. S'il ne permet pas de rester aussi longtemps dans les airs, l'avion peut cependant faire de la surveillance en profondeur, et du bombardement.

L'évolution de la précision des armes et des radios permet, petit à petit, de rapprocher les bombardements de la ligne de front, et de soutenir de plus en plus près les troupes au sol.

Suite à l'expérience Indochinoise, l'armée française pose les bases de ce qui deviendra connu sous le nom de "close air support" (CAS), l'appui des forces au contact.

Pour ce faire, l'Armée de l'Air, la Marine et l'Armée de Terre s'appuient sur plusieurs nouvelles technologies, parfois développées de façon ad hoc. 

La première est la création d'hélicoptères d'attaque. Le principe de base est simple : les hélicoptères de transport sont équipés de mitrailleuses, canons ou lance-roquettes, et permettent l'appui-feu des posers opérationnels en rase campagne.

Sikorsky H34 de la marine française, équipé de deux canons de 20mm MG151/20 pour l'appui-feu

La seconde est l'apparition des armes guidées, tirées par avions ou hélicoptères. A l'origine filoguidées, elles permettent, depuis une altitude mettant les appareils à l'abri des tirs venant du sol, de frapper les troupes ennemies de façon précise, avec un risque réduit de toucher les troupes amies.

La troisième est la création d'un nouveau type d'appareil, conçu pour effectuer à la fois la reconnaissance, l'observation d'artillerie et le CAS. Ces appareils, souvent basés sur des appareils d’entraînement (dont le plus iconique est le T-6 jaune en Algérie), sont souvent biplaces (pilote et observateur) et relativement lents, ce qui leur permet de viser les troupes ennemies de façon stable, au plus près de la zone de contact.

North American T-6 français en Algérie, équipé de pods canons et roquettes pour le support des troupes au sol

Ces outils sont utilisés soit en escorte, soit en maraude, où ils sont maintenus en vol pour intervenir en cas de contact entre les troupes amies et l'ennemi.

Si les outils du CAS ne permettent pas le même volume de feu que l'artillerie à tubes, ils ont pour avantage une souplesse d'utilisation et une rapidité de mise en œuvre, même dans des terrains non repérés à l'avance, dont il devient difficile de se passer.

Le principe du CAS sera développé petit à petit, entre autres par les Américains au Vietnam, avec la création d'hélicoptères d'attaque dédiés au combat, et d'avions conçus autour de l'observation et de l'attaque au sol, qui permettront une plus grande efficacité par rapport aux hélicoptères et avions modifiés pour le rôle. Même si les hélicoptères de transport armés (souvent appelés "gunship") restent d'actualité jusqu'à nos jours.

Hélicoptère Mil Mi-17-1V gunship, permettant à la fois le transport de troupes et l'appui-feu

 

Avec l'apparition des armes guidées par télévision, laser et GPS, le CAS s'est peu à peu éloigné des avions à hélice, et aujourd'hui, avec l'aide de personnels spécialement formés présents au sol appelés JTAC (Joint Terminal Attack Controller), qui fournissent les informations nécessaires en direct via modules de désignation laser ou GPS, les opérations de support au contact sont en général réalisées par des appareils volant à haute altitude (B-1, B-52) ou des jets de chasse (Mirage 2000D, Rafale, F-16...), qui n'ont plus besoin de voler à basse vitesse et basse altitude pour s'assurer de ne pas frapper des troupes amies.

Le problème du CAS par les pays fortement industrialisés

Mig-21 Bis Malien en 2012

 

Le problème de l'utilisation du CAS dans les opérations combinées avec les pays pauvres et émergents se pose malheureusement depuis des années. La chute accélérée de Saïgon en 1975 sera en partie expliquée par l'état-major du Sud-Vietnam comme due au retrait du support aérien américain : les sud-vietnamiens sont entraînés de 1965 à 1974 aux opérations combinées, avec un appui d'artillerie, des hélicoptères pour les mouvements rapides et des avions d'attaque prêts à intervenir contre les troupes ennemies qui s'aventureraient à découvert. Le retrait des avions américains permet soudain aux nord-vietnamiens d'opérer à découvert de jour, et les sud-vietnamiens perdent une composante importante de leurs dispositifs interarmes.

Et ce schéma se reproduit à chaque fois qu'un pays fortement industrialisé fournit une aide technique et matérielle : la France au Tchad contre l'armée Libyenne, l'URSS en Afghanistan, puis les États-Unis en Afghanistan...

La maîtrise des airs permet de créer un dôme de protection pour les troupes alliées, ou parfois même des forces neutres : les interdictions de survol décrétées au-dessus de l'Irak après 1991 et en ex-Yougoslavie empêchent l'utilisation de forces aériennes pour la répression des indépendances, ou simplement le bombardement des civils depuis les airs.

Cependant, comme nous le voyons actuellement en Ukraine, la maîtrise de l'air est complexe, et nécessite des ressources que beaucoup de pays n'ont pas. L'exemple le plus criant est la contre-performance actuelle des russes, qui pouvaient se permettre tout et n'importe quoi en Syrie (y compris des manœuvres stupides), où les forces de la coalition ne vont pas les intercepter. Mais, en Ukraine, où les défenses aériennes sont denses, et suppléées par une force aérienne opérationnelle, les forces aériennes russes (VKS) ont peiné à avoir la maîtrise de l'air lors de leur attaque surprise du 24 février 2022. Et, ayant étés incapables d'éliminer les forces de défense aériennes et anti-aériennes ukrainiennes, les forces russes se retrouvent depuis face à un ciel contesté, où ils ne peuvent engager d'appareils à haute altitude, et peuvent difficilement les risquer, même à basse altitude, au-delà de la ligne de front.

L'engagement en pointillés des VKS dans le ciel ukrainien montre, en outre, que la gestion des forces aériennes sur le champ de bataille est complexe, et demande d'avoir des pilotes, opérateurs radar et radios bien formés.


Le problème de la force aérienne pour les pays émergents

Si la Russie, avec ses appareils relativement modernes et son armée professionnelle, est incapable d'y arriver, quelles sont les chances des pays émergents ?

Le premier problème qui se pose est celui de la flotte aérienne. Les pays émergents, en Afrique notamment, sont souvent équipés de matériels hérités de la guerre froide, quand les blocs leur offraient du matériel au nom de la grande Lutte. Ces matériels, parfois (souvent) pilotés et maintenus en état par le pays qui les mettait à disposition, ne sont souvent pas adaptés à la situation locale.

Pour exemple, les forces aériennes du Mali ont été équipées de chasseurs Mig-21, offerts par l'URSS, au nombre de 14 appareils. Après le retrait soviétique en 1991, les appareils se sont petit à petit dégradés, pour arrêter de voler en 2012.

Malgré la présence dans l'armée malienne d'hélicoptères Mi-24 et Mi-35, tous les vols de soutien de Serval et Barkhane contre les forces jihadistes ont étés opérés par des hélicoptères et des avions de l'armée française.

Depuis le retrait de la force Barkhane et de ses appareils, les troupes de JNIM et AQMI, qui ne se déplaçaient plus en nombre, se permettent de nouveau de sortir au grand jour.


 
Troupes de JNIM se déplaçant à découvert au Burkina Faso

Si certains affirmeront que les maliens ont fait leurs choix, en préférant l'alliance avec la Russie à celle avec la France, cela reste symptomatique d'un problème de méthodologie pour les pays aidant...

Et la France répète déjà le même schéma avec les voisins du Mali, en y postant des troupes et des moyens de support aériens.


Négatif pour eux, négatif pour nous

Le problème de la méthodologie actuelle est qu'elle repose sur une idée absurde, celle qu'il ne faudra rester que jusqu'à la fin du conflit, avant de rentrer chez nous. 

Cependant, les exemples afghans et maliens (et au Vietnam, dans une autre mesure) nous ont montré une chose : dans ce type de conflit protéiforme, les accords n'ont que peu de valeur, et les conflits ethniques larvés (avec la couche de peinture religieuse appliquée par-dessus) ne peuvent avoir qu'une fin politique.

Les pays de l'Ouest global ne voulant habituellement plus se mouiller dans la politique interne des pays, pour des raisons diverses (exemple américain en Irak et Afghanistan, peur d'être accusés de colonialisme...), les interventions sont donc à rallonge, durant une ou deux décennies (9 années pour l'opération Barkhane).

Face à cette réalité, il est important de changer de méthode, et d'arrêter de faire combattre des pays pauvres comme s'ils étaient riches. Ce qui permettra de désengager progressivement la chasse au profit d'une solution locale.

Et, dans ce cadre, l'utilisation d'avions de chasse, d'hélicoptères et de satellites est à proscrire. Tout utile qu'ils soient, ces outils sont trop chers, en usage et en maintenance, pour les pays dont nous parlons ici.

Il est important de former les locaux sur des outils qui soient à leur niveau, pour qu'ils puissent les maintenir en état et les utiliser après le départ du pays riche. Il en va de leur indépendance par rapport à nos aides.

Et, accessoirement, de ne pas en confier la maintenance et le pilotage à des contractuels, dont la fiabilité n'est pas prouvée, et qui déresponsabilisent les armées locales.


L'OV-10 "Bronco" de Boeing, ex North American Rockwell : Outil de la conversion


Il fallait qu'il entre en scène à un moment donné, étant dans le titre de l'article.

L'outil aérien le plus adapté à cette métamorphose de la relation entre nos pays et les émergents que nous aidons dans leur lutte contre des forces rebelles est l'OV-10 Bronco.


Développé dans les années 1960 par deux ingénieux (l'ingénieur W.H. Beckett et le colonel des Marines K.P. Rice) ayant fait connaissance sur le site d'essais de China Lake, l'OV-10 a connu l'expérience du Vietnam, en tant qu'appareil de surveillance, de repérage d'artillerie et de support. Les OV-10D de l'USMC ont opéré en Irak en 1991 pendant Desert Storm, mais également en en 2013, aux mains du 160e SOAR (SOCOM) en Afghanistan, et en 2015, lors de tests grandeur nature contre les forces de Daesh en Syrie et Irak.

L'appareil est donc toujours parfaitement adapté à la fonction dont nous parlons ici, opérer comme soutien multirôle contre des forces irrégulières, de jour comme de nuit.


Techniquement, l'OV-10 est un appareil relativement simple, qui utilise un train tricycle à bras tirés, équipée de pneus larges, lui permettant de faire usage de pistes de fortune. L'appareil est conçu pour décoller de pistes très courtes (226 mètres en charge, atterrissage sur 226 mètres à vide et 381 mètres à pleine charge). Cette capacité de décollage et poser sur courte distance lui permettait d'être opéré par l'US Navy et l'US Air Force depuis des porte-avions, alors que l'appareil n'est pas équipé pour le lancement via catapulte ou l’appontage.

OV-10A opérant depuis un porte-avions au Vietnam


La motorisation est  composée de deux turbopropulseurs Honeywell TPE331 civils. L'accès aux baies est simplifiée au maximum, pour permettre l'entretien sur des terrain mal équipés. La conception générale de l'appareil est pensée pour permettre un entretien courant n'utilisant qu'une trousse à outils de type automobile. Les turbopropulseurs sont eux-mêmes toujours distribués par Honeywell pour des usages civils, permettant un accès facile aux pièces de rechange.

Nacelle moteur d'OV-10A, montrant l'accès au Garett T76 (aujourd'hui Honeywell TPE331)

Voilà donc pour la facilité d'entretien et d'opération de l'OV-10 dans des pays possédant une infrastructure limitée. Mais pour les besoins de la mission ?

Verrière galbée d'un OV-10D+ (identifiable aux hélices quadripales)

 

L'OV-10 est un appareil tout-temps biplace (pilote et observateur), équipé d'un cockpit-bulle permettant une très grande visibilité.

L'OV-10A, avec les moteurs T76 originaux des années 60 et des réservoirs supplémentaires, est capable de voler 5h30 sans ravitaillement, permettant les escortes longues et les maraudes.

L'appareil est également capable d'emporter diverses armes, comme des bombes et roquettes non guidées sur 7 pylônes (2 sous les ailes et 5 sous la cellule). 

L'OV-10X "Super Bronco", proposé par Boeing lors du programme Light Attack/Armed Reconnaissance (LAAR), était quand à lui capable d'utiliser des munitions guidées (AIM-9 Sidewinder et AIM-114 Hellfire). 

L'OV-10G+, testé lors du programme Combat Dragon II en 2013, était quand à lui capable de tirer l'APKWS II, une munition guidée par laser basée sur la roquette Zuni FFAR.

Les OV-10D, D+, D+ et X sont par ailleurs équipés Link-16, ce qui permet son intégration dans le système d'appui feu interarmées, et donc une totale interopérabilité avec les armées de l'OTAN dans le cadre des opérations communes.

Fiche Boeing du Super Bronco

Le dernier argument en faveur de l'OV-10 est sa disponibilité : l'US Army et l'US Navy ont redéployé des cellules remises à niveau en 2015 pour tests. Des appareils sont en service continu avec le California Department of Forestry and Fire Protection pour la surveillance des feux de forêts, et l'entreprise privée Blue Air Training, située à côté de Las Vegas, opère 7 appareils pour la formation JTAC embarquée, pour le compte de l'US Air Force.

OV-10A de surveillance des feux de forêts en Californie

Mais, plus important que cela, Boeing semble ouvert à la relance de la production de l'appareil, qu'ils ont hérité de leur rachat de North American Rockwell en 1996. Une version modifiée de l'appareil, qui garde la mécanique d'origine en modernisant le cockpit et en ajoutant la capacité d'utiliser des armes guidées modernes (JDAM, Paveway, Hellfire...), a été proposée lors du programme LAAR, lancé en 2009 mais annulé en 2020.


OV-10A modifié par la NASA pour la surveillance de site et les relevés environnementaux.


Un appareil de ce type, simple et efficace, combiné à une formation de JTACs et de mécaniciens locaux, permettrait aux forces occidentales de concevoir la remise de leur défense nationale aux pays alliés, y compris ceux limités par leurs infrastructures et la profondeur de leur bourse.

 

Permettant de désengager notre présence, et de garantir l'indépendance des pays concernés.

Et de relancer la gamme petits appareils de Boeing, qui en a bien besoin en ce moment.


Combiné à une force de drones légers, lancés par catapulte ou à la main, l'OV-10 peut être l'outil de l'indépendance de nos alliés moins fortunés.