Après des décennies de débat sur l'usage des munitions de petit calibre, de l'efficacité à longue distance de la 5,56x45mm OTAN, et l'engagement en Afghanistan des forces américaines, il semblerait que les Etats-Unis aient décidé, une fois pour toute (?), d'adopter un nouveau système d'arme, mais surtout, un nouveau calibre.
Le programme, appelé Next Generation Squad Weapon (NGSW), lancé en 2017, s'est terminé en 2022, avec la victoire de Sig avec le fusil XM5 - ensuite renommé XM7 - et le fusil-mitrailleur XM250, couplé à une optique pilotée de Vortex Optics et à la munition 6,8x51mm (.277 Fury).
Principaux concurrent du programme NGSW |
L'un des éléments les plus importants du programme NGSW, au-delà des plateformes, était de proposer un nouveau type de munition "hybride", avec la restriction d'utiliser un projectile de 6,8mm de diamètre, permettant de se place exactement entre la 7,62 OTAN (.30 caliber) et la 5,56mm OTAN (.22 caliber).
Les différents fabricants ont donc proposé des armes utilisant des munitions conceptuellement différentes de l'habituelle balle chemisée cuivre avec un étui en acier laqué ou laiton.
SIG et Winchester proposent une munition à étui hybride, avec un culot en acier et une enveloppe en laiton.
General Dynamics Ordnance, une munition a étui composite polymère plastique/métal fabriquée par True Velocity.
Textron, une munition télescopique (où la balle est contenue dans l'étui et placée au milieu du propulseur, au lieu d'être devant celui-ci).
La munition choisie est donc l'étui hybride de SIG/Winchester. Loin d'être révolutionnaire.
Si le programme a un air de déjà-vu, c'est probablement car il donne l'impression d'être sorti tout droit des restes du programme ACR (Advanced Combat Rifle) développé pendant les années 80, pour l'étude de nouveaux systèmes d'armes légères devant remplacer le M16A2 dans l'armée américaine.
Ce nouveau programme n'est pas la première fois que les américains tentent de trouver un remplacement au fusils M16 et M4 en service dans ses forces armées. Tous les dix ans, grosso modo, un nouveau programme est lancé pour essayer de trouver quelque chose de mieux, dans une dimension qui soit assez quantifiable pour pouvoir être qualifiée comme étant un changement dans l'état de l'art.
Beaucoup de pays le font dans tous les domaines, cherchant toujours comment prendre l'avantage, sans compliquer leur logistique et l'entraînement de leurs soldats.
Le programme SALVO, dans les années 50, mènera à l'adoption du 7,62x51mm comme calibre principal (et son imposition aux alliés de l'OTAN, face au .280/7mm British conçu pour le fusil EM-2).
La conclusion de SALVO sera cependant de continuer l'étude des munitions dites "intermédiaires", se plaçant entre les munitions de fusil issues de l'arrivée de la poudre sans fumée en 1896 (.303 anglais, .30-06 Américain, 7,92 Mauser...), considérées trop puissantes pour les fusils d'assaut introduits pendant les dernières années de la seconde guerre mondiale, et les munitions de pistolet (9mm Mauser, 7,65 Tokarev, .45 ACP...) utilisées dans les pistolets-mitrailleurs pour le combat à plus courte distance.
Ces études, suivant la conclusion de SALVO, mèneront au développement d'une version Magnum de la .222 Remington destinée à la chasse de petit gibier. Combinée aux études de Stoner et Sullivan chez ArmaLite en Californie, la nouvelle munition donnera, en 1965, l'adoption du fusil d'assaut M-16 en 5,56x45mm (.223 Remington).
ArmaLite AR-15 original. Les éléments issus de l'AR-10 en 7,62 sont bien visibles, comme le levier d'armement protégé par la rampe de la hausse. |
Le M-16 est un changement de paradigme dans l'armée américaine. Si le fusil M14 n'est pas beaucoup plus qu'un M1 Garand avec un chargeur démontable (Beretta arrivera au même résultat en partant du Garand avec son BM-59), le M16 est résolument moderne : les éléments habituellement en bois (crosse, poignée pistolet, garde-main) sont désormais en polymère plastique plus léger, les pièces en acier sont remplacées autant que possible par un alliage d'aluminium, la munition plus légère permet un tir en rafales contrôlable...
Mais cela n'empêche pas l'US Army de lancer immédiatement un nouveau programme pour trouver son remplacement. Et avec de bonnes raisons : le M14 a été adopté en 1959 et remplacé en 1965, le département de la défense américain n'a pas de raison de penser qu'un nouveau remplacement ne sera pas développé sous 10 ans.
Le projet SPIW (Special Purpose Individual Weapon) est donc lancé dans les années 60. Le SPIW est globalement une nouvelle version de SALVO, cherchant à développer la nouvelle munition du futur (et le fusil allant avec), mais cette fois avec un petit calibre (.22) au lieu d'un gros (.30). Les différents acteurs proposeront des munitions fléchette, des munitions a sabot (telles que celles utilisées sur les chars de combat, en plus gros calibre), des munitions télescopiques, des balles doubles...
SPIW de AAI Corporation, tirant des munitions fléchette de petit calibre, avec lance-grenade intégré |
La conclusion de SPIW sera l'adoption finale du M16 en 1966. Project NIBLICK, un projet tangentiel du SPIW visant à créer un lance-grenade intégré pour l'infanterie, mènera cependant au développement de la munition de 40mm basse pression, et aux lance-grenades XM148, M-79 et M-203.
Lance-grenades 40mm XM148 monté sur upper M16E1 |
L'US Army ressuscitera le programme trois ans plus tard, en 1969, sous la forme du programme "Future Rifle". Future Rifle sera mis en sommeil par le congrès américain, qui l'accusera de dépenser l'argent du contribuable en frivolités.
"Future Rifle" de AAI |
En 1986, 10 ans après la fin du conflit au Vietnam et 4 ans après l'adoption du M16A2 (version modifiée du M16A1 utilisant un canon plus épais, rayé pour la nouvelle munition SS109 au standard OTAN), le programme ACR (Advanced Combat Rifle) est lancé. Une nouvelle fois, il étudie la possibilité de remplacer les munitions à balle chemisée et étui laiton avec poudre sans fumée.
ACR verra l'introduction et le test des habituelles munitions duplex (2 balles tirées par la même cartouche), fléchettes... mais cette fois, Hughes Helicopters propose une munition avec étui plastique (basé sur les munitions de chasse à étui hybride plastique/laiton), et Heckler & Koch sa munition sans étui, combinée au fusil d'assaut G11 développé pour l'armée Allemande.
Le programme ACR se terminera en creux, l'US Army ayant demandé une amélioration de performances de 100% par rapport au M16A2, à 200m de distance. Encore une fois, nous retrouvons cette nécessité de changement de paradigme.
Cependant, une des leçons du programme ACR sera l'importance des optiques de visée pour l'amélioration des performances de l'infanterie. A ce stade, la seule arme d'infanterie à posséder une optique grossissante d'origine est le Steyr AUG, équipé d'une optique x1,5. Avec les résultats de ACR, l'équipement des armes d'infanterie avec des optiques s’accélérera. H&K, dans les années 1990, proposera le G36 équipé d'origine avec un couple lunette/red dot, et l'US Army commencera à déployer des optiques avec ou sans grossissement sur le M16A2 et la carabine M4.
Elcan M79. Montée sur le prototype de l'ACR de Colt, l'Elcan sera adoptée par les forces armées canadiennes, puis par les forces spéciales Américaines. |
Le M16 ACR mènera quand à lui Colt à proposer le M16A3 et le M4A1, tous deux équipés de poignées de transport/hausses démontables, donnant accès à un rail Mil-Spec-1913 pour le montage d'optiques de visée.
M16A4 présentant le remplacement de la poignée de transport d'origine par une optique ACOG 4x32. |
Le programme G11 et les munitions sans étui de H&K, de leur côté, se retrouvent dans l'impasse suite à l'implosion du bloc de l'est entre 1989 et 1991. Adopté en cours de développement par la Bundeswehr, le coût du G11 est considéré comme exorbitant, face à une menace désormais disparue. D'un autre côté, l'Allemagne a besoin d'argent pour la réunification et la "mise à niveau" de l'Allemagne de l'Est.
La Bundeswehr adopte le G36, moins coûteux, basé sur une mécanique d'AR18 et chambré en 5,56x45mm OTAN. Les munitions sans étui sont rangées au placard.
Elements constitutifs de la munition sans étui de 4,7mm DM11 : propulseur solide, amorce, balle, bague de centrage plastique. |
En 2010, en plein conflit Afghan et Irakien, l'US Army lance l'Individual Carbine Program, sensé étudier le remplacement de la carabine M4 par une autre plateforme en 5,56x45mm. Le programme sera bouclé sans entraîner de changements, mis à part chez les forces spéciales américaines, qui adopteront en nombres réduits le SCAR et le HK416.
Au milieu de tout ça, et d'une certaine façon indépendamment de tous ces programmes, on trouverai également l'OICW (Objective Individual Combat Weapon). Faisant partie du programme d'intégration technologique "Future Warrior" (combattant du futur), le XM29 OICW est conçu pour tout intégrer : un fusil d'assaut, un lance-grenade "intelligent" (dont les grenades peuvent être programmées selon le type de cible), optiques de visée avec compensateur balistique, télémètre, visée déportée...
XM29 OICW, le fusil du futur... en 1995. |
Après divers tests et l'explosion du système en plusieurs pièces, les derniers restants du programme OICW (le lance-grenades XM25 et le fusil d'assaut XM8, un G36 modifié), seront annulés en 2005.
Le Next Generation Squad Weapon, c'est nouveau ?
Comme cela devient probablement évident, le NGSW n'est rien de nouveau.
Tellement rien de nouveau que SIG, durant Eurosatory 2022 (donc après la signature des contrats officiels avec les américains), présentait le XM5 (aujourd'hui XM7) et le fusil-mitrailleur XM250 chambrés en 7,62x51mm, la munition standard OTAN.
XM5 'US Army' a Eurosatory 2022, chambré en... 7,62. |
Clairement, SIG n'est pas près à mettre tous ses œufs dans le même panier. Même si les contrats sont signés, et les tests de terrain programmés (en théorie), il n'est pas impossible que, comme lors des programmes précédents, les américains ne fassent pas demi-tour.
Pour plusieurs raisons:
Le changement de calibre n'a pas vraiment de sens. La munition de 6,8x51mm est un retour en arrière, et un retour en arrière de plus d'un demi-siècle. C'est une munition de fusil équivalente, peu ou prou, au 7mm Mauser de 1892 : une balle légèrement plus petite dans l'étui bouteille d'une munition de fusil déjà existante. Les changements de balistique et de puissance sont intéressants pour du tir de précision, mais complètement hors de propos pour un usage généralisé.
La puissance et le recul plus élevés changement complètement le mode d'utilisation. Les soldats passeront d'une munition permettant de doubler les tirs (très utile contre des cibles en mouvement) à une munition obligeant de toucher au premier tir, pour éviter de perdre la cible, comme avec le Garand ou le M14.
La puissance et le recul nécessiteront également d'augmenter le nombre d'heures d'entraînement pour maîtriser l'arme. L'US Army a d'ailleurs déjà annoncé que les munitions d'entraînement seront moins puissantes que les munitions de déploiement, ce qui aura un effet positif sur la vitesse d'entraînement, mais négatif sur les performances sur le terrain...
Les arguments de précision et de portée sont, au mieux, tendancieux. Un M4 ou HK416 fabriqué en 2023 est largement plus précis que 95% de ses utilisateurs. La portée, elle, est une leçon tirée de l'Afghanistan, et des tirs de harcèlement à longue distance subis dans le cadre d'une guerre asymétrique. Avec le retour de la guerre symétrique en Ukraine, et le fait que les tirs de harcèlement sont souvent traités à l'arme lourde, la leçon de la portée de l'infanterie semble être étrange. Sachant que la vaste majorité des engagements d'infanterie se font toujours à moins de 200m, et que les cibles au-delà peuvent habituellement être traités à l'aide d'une arme collective, souvent montée sur un Véhicule de Combat d'Infanterie...
L'argument suivant est celui de la protection balistique. Les forces Chinoises et Russes étant "définitivement" équipées de protections individuelles du même niveau que celles utilisées par les États-Unis, il serait nécessaire que l'infanterie transporte des fusils capables de percer ces protections balistiques.
Cette logique est contredite par deux choses : la première est le développement dans les années 80 du programme PDW, sensé permettre aux troupes de l'arrière de pouvoir combattre des parachutistes/commandos soviétiques équipés de protections modernes. Les P90 et MP7 ont étés développés dans ce but. Mais, en 2022, tout le monde a pu constater que les parachutistes russes n'étaient en fait pas tous équipés de vestes pare-balles, et que même avec leurs protections balistiques modernes, ils ne faisaient pas long-feu face à des ukrainiens armés de façon moderne, utilisant des munitions classiques (7,62x39, 5,45x39...).
Le deuxième élément contredisant la théorie du pare-balles est que, pour tout l'usage que les protections individuelles ont contre les munitions d'armes légères, leur principal rôle reste la protection contre les éclats d'artillerie ou de grenades. L'artillerie restant maitresse du champ de bataille, comme nous pouvons le voir actuellement en Ukraine. Même le meilleur gilet de protection actuel pourra être défait par plusieurs tirs direct avec une arme légère.
"L'armée Américaine a déjà passé commande et une usine est prête à produire les munitions"
Pour cet argument-là, je me rabattrai sur l'expérience du FBI avec le 10mm Auto. Adopté en 1989 en réaction à une fusillade où les agents du FBI se sont retrouvés en difficulté avec leurs revolvers en 9mm, le 10mm Auto est abandonné en 1994 suite à des problèmes d'entraînement et de maîtrise par les agents. La munition ne restera en service que sur les MP5/10 avec le Hostage Rescue Team (unité d'élite avec des temps d'entraînement très élevés), avant d'être remplacée par le 5,56mm dans les années 2010.
Dernier argument, et non des moindres : les tests de terrain doivent débuter en 2024.
Les tests de terrain peuvent détruire le programme, tout simplement. Et considérant la masse élevée du XM7 (presque 4kg à vide, contre 3kg pour une carabine M4 SOPMOD2), il est possible que les remarques négatives arrivent avant même que les soldats ne commencent à tirer.
Viendra ensuite l'épreuve du coût, s'il est nécessaire de remplacer toutes les armes en 7,62x51 et 5,56x45mm de l'armée américaine : mitrailleuses coaxiales sur les véhicules blindés, M134 sur les hélicoptères et les navires...
Et, dans tous les cas, l'adoption de la nouvelle munition 6,8mm crée un problème d'interopérabilité logistique avec le reste de l'OTAN. Mais cela, les américains ne semblent pas s'en soucier. Probablement persuadés qu'ils pourront simplement imposer leur choix de façon unilatérale, comme ils l'ont fait en 1959 avec le 7,62mm.
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