mardi 28 février 2023

Blindés en Ukraine : Pourquoi les russes ne semblent-ils pas évoluer ? Le char d'assaut TPK.

Le conflit en Ukraine est un conflit comme nous en avons rarement vu depuis 1945 : il se déroule géographiquement en Europe, il un front fixé, des opérations de grande ampleur, et surtout, il engage quelques milliers de véhicules blindés.

Et les pertes russes, surtout en blindés lourds (artillerie automotrice et chars d'assaut) ont poussé certains "penseurs" de la défense à annoncer, haut et fort, que le char est mort, longue vie à lui.

Pertes russes en chars d'assaut au 28/02/2023 source

Et, en voyant la Russie passer les 1000 chars d'assaut perdus (détruits) en ce mois de février, nous sommes en droit de nous questionner sur le rôle du char dans la guerre moderne. Lui qui était déjà déclaré obsolète par 20 ans de conflits asymétriques, serait-il désormais inutile dans le cadre des conflits symétriques ?


Efrem Lukatsky AP

La réponse est plus complexe que cela.

A cause de plusieurs facteurs. Tout d'abord, l'âge des matériels. Si la Russie a engagé des chars relativement modernes, comme le T-90M ou les T-72B3, la vaste majorité de son parc blindé, même au premier jour de l'offensive, est assez vieux pour voter depuis quelques années, et certains matériels sont d'âge canonique (je ne manquerai pas de faire un petit article sur l'engagement du T-62 en Ukraine par la Russie prochainement).
Ces chars fabriqués ou remis à niveau dans les années 80 ou 90 ne possèdent souvent pas les capteurs ou capacités pour se défendre contre d'autres blindés équivalents mais remis à niveau (comme le T-84 Ukrainien, engagé en petits nombres), ou même une infanterie bien retranchée et camouflée armée de missiles anti-chars modernes.


IRINA RYBAKOVA | PRESS SERVICE OF THE UKRAINIAN GROUND FORCES/REUTERS

Un autre facteur est celui de la tactique. Maintes fois, surtout au début du conflit, nous avons vu des vidéos des méthodes utilisées par les russes. Par exemple, engagement de MBT en milieu urbain sans protection par l'infanterie (un char d'assaut est et a toujours été une cible facile en milieu urbain à cause de la visibilité réduite de l'équipage). Cette méthode avait déjà mené à la catastrophe l'armée Russe en Tchétchénie, qui avait foncé avec ses T-72 dans Grozny sans protection.
Les russes montrent aussi fièrement qu'ils utilisent des chars comme "points durs" pour le tir en cloche sur les positions ukrainiennes. Ce qui en fait des cibles faciles pour un tir de contre-batterie ukrainien.
 
Genya Savilov | AFP/Getty Images

Un autre facteur, sur lequel nous allons nous étendre un peu plus ici, est celui de l'expérience.

L'expérience des officiers supérieurs, qui doivent adapter leur stratégie aux tactiques ukrainiennes.

Mais aussi, et surtout, l'expérience des équipages russes.

Red Dawn / REUTERS | Jorge Silva

L'expérience est acquise de plusieurs façons. Les tankistes français ont l'expérience d'exercices menés en condition réelles. Certains ont l'expérience du terrain, souvent en AMX-10RC (le Leclerc étant cantonné au territoire national pour des raisons de politique interne des armées). Fort heureusement, les troupes de la cavalerie française n'ont pour le moment pas eu l'expérience réelle du combat de char tel que nous l'imaginions à la grande époque de la Guerre Froide, lorsque les chars Soviétique allaient percer les défenses allemandes dans la passe de Fulda, pour se déverser dans les plaines de l'Ouest.

Les tankistes russes, eux, sont engagés dans du combat réel depuis février 2022. Ils affrontent toutes les menaces possibles pour un char (sauf les attaques d'hélicoptères au Hellfire, pour le moment). Mais ils ne semblent pas monter en capacité de combat, et ils semblent même faire, semaines après semaine, toujours les mêmes erreurs. N'ont-ils pas, en février à Vulhedar, fait de jolies colonnes, qui sont allées s'écraser contre les champs de mine des ukrainiens, avant que les survivants soient abandonnés ou pilonnés par l'artillerie?

Chargeur automatique sur T-72

La raison de cette apparente absence d'évolution, et donc de prise d'expérience, est simple : les chars russes sont conçus selon la théorie du Total Party Wipe.

Total Party Wipe/Total Party Kill est une expression venant du jeu de rôle, qui exprime la destruction totale, et involontaire, d'une équipe de joueurs. Suite a un mauvais équilibrage d'un affrontement, d'erreurs des joueurs, ou par la faute de mauvais jets de dés, l'équipe est éliminée, sans survivants. La campagne est terminée, et chacun rentre chez lui dépité, et devra créer un nouveau personnage pour la fois suivante. Et, plus important pour notre réflexion, personne n'a gagné d'expérience.

Et c'est là que le bât blesse dans les forces blindées russes : le taux de destruction des équipages est proche de 100%. Et si chaque char détruit équivaut à un TPK, cela signifie qu'aucun équipage ne peut monter en expérience, car aucun équipage ne survit assez longtemps pour développer les techniques et réflexes nécessaires à leur amélioration.

"Mais enfin, me répondrez-vous, sûrement que, dans toutes les évolutions et designs russes, cette spécificité des chars TPK, une fois cernée, sera corrigée ! Le char sera modifié de façon a mieux protéger l'équipage !"

La réponse est, malheureusement pour les tankiste russes, négative.

Les chars russes actuels (on ne compte pas le T-14, qui n'a pas prouvé qu'il existe ailleurs que dans les délires de la propagande du Kremlin) sont tous basés sur des designs développés lors de la période soviétique. Dans l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, une chose à toujours été vraie : l'humain ne coûte pas cher. Mieux, il est prêt à mourir pour la patrie. La rumeur veut que la formation d'un équipage de T-62 pouvait se faire en moins de 6 mois, tellement le véhicule est simple. Avec les mêmes ressources matérielles, l'Union Soviétique se faisait donc des forces gigantesques. Une partie de ces forces existe toujours, même si pas forcément utilisable, suite à des décennies de manque d'entretien et de vente des éléments importants.

L'union soviétique, c'était, à la "grande" époque, 10 000 chars de générations fortement variables, de qualité globalement faible. Mais la quantité est une qualité en elle-même, et face à peut-être 4000 chars occidentaux dans les plaines d'Allemagne de l'Ouest, et avec quelques milliers de blindés issues des satellites d'Europe de l'Est, les jeux n'étaient pas faits.

Pour cette raison, les chars russes sont simples et tirent vite, avant d'être résistants ou équipés d'optiques correctes. Le T-72 (et son dérivé le T-90) est par exemple équipé d'un chargeur automatique à carrousel. Ce carrousel se trouve directement sous la tourelle et n'est pas isolé du compartiment d'équipage, pour des raisons de simplification de la maintenance et du remplissage. Le T-72 n'est pas non plus équipé de panneaux d'évacuation des gaz, pour simplifier la fabrication. Le contrecoup de ces économies rend les destructions de T-72 très impressionnantes. Et on imagine difficilement que les membres d'équipages pourront survivre à ce type de destruction catastrophique de leur véhicule.

Le problème rencontré par l'armée russe dans ce domaine est donc double : Ils n'engagent pas assez de troupes et de véhicules pour profiter de l'avantage numérique, et leurs équipements ne génère aucune expérience chez les troupes, à cause du concept du TPK.

La livraison de blindés Occidentaux à l'Ukraine

Livraison des premiers Leopard 2 à l'Ukraine par la Pologne
/ Photo services de presse gouvernemental ukrainien

Bien entendu, le souci de l'Ukraine est qu'elle était, jusqu'à présent, limitée à l'utilisation de chars soviétiques, présentant le même problème de TPK que ceux des russes.

C'est là que l'entrée en scène des livraisons de chars occidentaux est bien plus importante que certains voudraient nous le faire croire.

Pour les forces de l'OTAN, la question a toujours été inversée. Un Homme est un Homme, dans les démocraties occidentales. Même s'il est prêt à mourir pour sa patrie, le soldat coûte cher, il doit donc être rentabilisé. Les armées occidentales s'équipent donc avec des véhicules adaptés à leurs armées de taille réduite, mais très entraînées. Les chars occidentaux comme le Leclerc, l'Abrams, le Leopard ou le Challenger sont conçus autour de piliers inversés par rapport à ceux des russes : la survivabilité, la performance, avant le nombre et le prix. L'expérience de terrain lors de l'engagement du M1 Abrams (Armée Américaine ou export) a montré une survivabilité élevée, avec aucun mort lors de Desert Storm (engagement contre T-72 Irakiens et incidents de feu ami), et l'Abrams est aussi capable d'engager des cibles au-delà de la portée efficace des chars russes, dû ses optiques plus évoluées. De même, les Leclercs engagés par l'UAE au Yemen ont montré une capacité de survie élevée face aux armes anti-char et aux mines déployées par les Houtis. Avec un seul mort et un blessé sur 4 véhicules endommagés (mais réparables) en 2016, la vaste majorité des équipages sont capables de retourner au complet au combat.

Et cette survivabilité élevée est primordiale pour l'Ukraine, qui cherche avant tout à garder sa population en vie, militaires compris. L'adoption de chars aux standard occidentaux leur permettra, à nombre de véhicules déployés égal, de sauvegarder les vies des équipages, et toucher les russes de plus loin.

Chaque T-64 remplacé par un Leopard, un Abrams ou un Challenger est un multiplicateur de force pour l'Ukraine, face à une Russie qui engage des chars de plus en plus anciens, souvent reconditionnés dans l'urgence, ou volés dans les stocks de T-90S déjà payés par l'Inde...

lundi 20 février 2023

L'entrée en guerre de la Biélorussie, ou l'Arlésienne orientale.

 Ces derniers jours, de nouveau, plane le spectre d'une attaque des forces biélorusses en Ukraine.

Cette invasion, annoncée depuis mars 2022, n'arrive pas, au plus grand étonnement de certains analystes occidentaux, et orientaux.

L'absence d'engagement de l'armée Biélorusse est effectivement étonnante, en surface. Les russes accusent l'Europe et les Etats-Unis de cobelligérance avec l'Ukraine, mais la Biélorussie est probablement le seul pays qui s'approche de la définition. En effet, les camps militaires biélorusses et le pays tout entier ont servi de lieu de préparation et de base arrière pour une partie de la force d'invasion Russe, avant et après le 24 février. Les forces de Moscou ont attaqué en direction de Kiev en allant au plus court, et ce plus court passait directement par la Biélorussie, qui ne s'est pas faite prier pour offrir ses routes, ses camps et ses voies ferrées à l'envahisseur.

Carte du MoD anglais montrant les axes d'attaque, donc certains passent par la Biélorussie.

De même, lors du repli des troupes russes de la région de Kiev début avril, nombreuses ont été les unités russes qui sont passées par la Biélorussie, et les soldats russes empoisonnés après avoir creusé des emplacements dans la "Forêt Rouge" de Tchernobyl ont étés envoyés à l'hôpital de Minsk.

Le soutien de la Biélorussie à l'invasion russe n'est donc pas à démontrer.
Cependant, malgré les annonces des deux côtés de la frontière, l'armée biélorusse ne se matérialise pas. Elle reste l'arme au pied, dans ses casernes.
Elle ne manque pas pour autant de nous montrer des vidéos où ses soldats forment des pyramides, sautent à la corde (avec la corde en feu), ou se cassent des briques sur le crâne. Tant de démonstration qui, si elles seraient impressionnantes sous le chapiteau de Pinder ou au Cirque d'Hiver, entre les tigres et le trapèze, n'ont aucun intérêt pour une force armée.

Alexandre Loukashenko dévoile la carte de l'invasion russe à la télévision, le 1er mars 2022 / Daily Beast
 
Alors, si la Biélorussie se pense si forte, et si les liens sont si serrés avec le Kremlin, pourquoi ne pas se joindre à la guerre ? Après tout, Alexandre Loukashenko, président "élu" de la Biélorussie, a affiché son soutien à Vladimir Poutine plus d'une fois.
Nous l'avons vu, la Biélorussie sert de base arrière à la Russie, et a également été utilisée pour le lancement de missiles de croisière sur les villes ukrainiennes.
Certaines sources ont également mentionné que la Russie fait ses "courses" en Biélorussie, chargeant des véhicules anciennement sous cocon (dont nombre de T-72) pour les transférer à ses propres troupes. La Biélorussie a également tenu des exercices avec la Russie, en janvier 2022 (qui ont servi de couverture pour la mise en place de l'invasion), en octobre, puis en janvier 2023.

La menace d'offensive suite a de nouveaux exercices en Biélorussie en octobre 2022 / Le Point

Les raisons de cette arlésienne Biélorusse ne manquent pas.
  • L'armée biélorusse n'a aucune capacité de combat
La Biélorussie est un satellite de la Russie, membre du CTSO. Le Kremlin de Poutine a dit, et démontré maintes fois, qu'il ne laissera pas ses vassaux tomber aux mains de l'UE ou de l'OTAN.
Et il sait pertinemment que ni l'UE, ni l'OTAN n'utiliseront la force pour s'imposer. Les deux organisations travaillent selon un schéma de bienveillance.
Le meilleur moyen de maintenir un pays dans le giron russe est donc de maintenir son armée sous les capacités de l'armée russe. Il suffit de regarder l'Ukraine pour s'en convaincre : avant 2014, malgré des dépenses élevées dans son armée, l'Ukraine gardait une capacité de combat très inférieure. C'est la principale raison pour laquelle la Crimée et une grande partie du Donbass et Luhansk sont tombés aux mains des russes (car nous savons tous que les "indépendantistes" n'en sont pas) en 2014-2015 : le maintien des forces ukrainiennes à un niveau très inférieur, pour assurer leur défaite au cas où le pays se refuse à la Russie.
L'armée Biélorusse est dans le même état : ses équipements étaient déjà datés à la chute de l'URSS, et n'ont pas vraiment évolué depuis. Et si la Russie n'arrive pas à avancer face aux Ukrainiens, quel espoir a la Biélorussie?
  • Loukashenko craint la réaction de la population, et de l'opposition
Dès le déclenchement du conflit, une partie de la population biélorusse a activement ou passivement saboté l'effort russe. Sabotages des lignes ferrées pour bloquer la logistique, partage des mouvements sur les réseaux sociaux...
La population biélorusse ne suit pas son chef. Elle s'était déjà rebellée en 2020 après les dernières élections truquées, la situation n'est pas assez stable pour que le Lider Maximo (qui se réclame dernier dictateur d'Europe)se prive d'une force armée qui lui permet de maintenir diverses forces d'opposition "dans le droit chemin".
  • La frontière ukrainienne n'est pas praticable
Suite au retrait russe de la région de Kiev, les ukrainiens ont, logiquement, fortifié la frontière.
Si en janvier 2022 elle se limitait à des postes de garde et un peu de barbelé, aujourd'hui la donne n'est plus la même.
Le gouvernement Biélorusse s'est d'ailleurs plaint que les ukrainiens avaient détruit tous les ponts connectant les deux pays.
Les Biélorusses sont conscients que la frontière est désormais un immense champ de tir. Avec 10 mois de calme dans le secteur, les ukrainiens ont probablement repéré et cartographié toute les approches possibles et imaginables, créé des glacis et des entonnoirs, et minés les axes que les véhicules pourraient encore emprunter.
Les forces tentant de traverser la frontière se retrouveraient donc face à une défense bien préparée, et ne pourraient entrer en Ukraine qu'après de lourdes pertes.
L'armée biélorusse, qui ne comprend même pas 60 000 hommes d'active, équipés de matériels largement dépassés, ne durerait probablement pas longtemps dans ce type d'offensive.

Loukashenko, équilibriste ou pitre? / Twitter

Contrairement à ce que l'on pourrait penser de lui en écoutant/lisant ses interventions, Alexandre Loukashenko n'est pas un sombre crétin. A l'époque soviétique, il monte pas à pas les marches vers le pouvoir suprême biélorusse. Elu pour la première fois à la tête de l'état en 1994, il a réussi à se maintenir jusqu'à aujourd'hui, en 2023. Certains universitaires russes avancent même qu'il a été pressenti pour la présidence Russe, avant de se faire voler la vedette par un certain Vladimir Poutine.
Il a également, contrairement à son homologue russe, placé ses pions pour un maintien à la tête du pays après sa mort. Il entend fonder une dynastie (aspiration compréhensible venant d'un homme né d'un père inconnu), et veut donner les clés su pays à son troisième fils, Nikolaï.
Difficile de céder le pays à sa progéniture s'il se retrouve renversé, ou pire.

Il utilise donc ses talents de politicien et comique troupier pour se maintenir aux rênes du pouvoir. Il en fait juste assez pour ne pas attirer l'ire de son maître du Kremlin, mais pas assez pour que l'Ouest décide de lui mettre des bâtons dans les roues en soutenant réellement l'opposition, intérieur comme extérieure.

Les paris sont donc ouverts : La Biélorussie finira-t-elle par réellement s'engager dans le conflit, ou son "chef" réussira-t-il à ménager la chèvre russe et le chou ukrainien ?

Seul l'avenir nous le dira.

vendredi 17 février 2023

"Ce qu'il se passe en Ukraine, t'en penses quoi ?"

Le problème, quand on s'intéresse à la chose militaire, c'est que les gens s'en rendent compte.

Et du coup, quand il se passe des choses "militaires" qui nous impactent, des questions sont posées.

Pas toujours de façon habile, mais qui pourrait le condamner ? La majorité des gens ne savent pas quelle question poser, et les réponses ne sont pas simples non plus.


La question d'origine, en février 2022, était : "La guerre en Ukraine, t'en penses quoi ?"

Et la réponse, depuis février 2022, est : "ça dépend".

Seulement, ça dépend, bah ça dépasse...

Une guerre, ça n'est pas un blob homogène, qui s'explique, ou s'analyse, en deux phrases. Les guerres terminées depuis plus d'un siècle sont encore sujettes à débat, y compris chez des gens qui sont du même avis. Donc une guerre encore en cours, c'est compliqué.

Après, on peut dire que la guerre, c'est mal. C'est bien, mais ça ne fait pas avancer le schmilblick.

Tout d'abord, qu'on s'accorde sur une chose : je suis un militariste, mais pas un belliciste. Je suis pour une armée puissante et bien entraînée, mais aussi pour qu'elle ne serve pas à envahir les autres sous des excuses fallacieuses, comme celle de la langue parlée, par exemple, qui a le vent en poupe (comme dans les années 30). Donc la guerre, personnellement, je ne trouve pas ça drôle. Je n'ai pas étudié une guerre qui ait fait marrer qui que ce soit, surtout ceux qui sont revenus les pieds devant. Je n'ai pas parlé à un seul soldat ayant fait la guerre (la vraie, où l faut tirer sur des gens qui vous tirent dessus en retour) que ça ait fait rire.

Malheureusement, nous sommes des animaux, et les animaux se foutent sur la gueule régulièrement, pour des raisons qui leur sont propres, et qui leur paraissent super sérieuses sur le coup. Même si elles peuvent paraître idiotes plus tard. Ce n'est pas pour rien que Brassens chantait :

Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente

Jugeant qu'il n'y a pas péril en la demeure
Allons vers l'autre monde en flânant en chemin
Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure
Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain

 

Mais revenons à l'Ukraine, et au thème : l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • La guerre en Ukraine, évitable ?

Pour commencer, malheureusement, j'en pense que c'est une de ces choses que je voyais, personnellement, comme inéluctable, mais sans empressement de nous trouver dedans. Et les louvoiements politiques des années 2014 à 2021 trouvent leur origine, je pense, dans cette sorte de pensée magique. On s'imaginait pouvoir jouer la montre, et que l'empereur des Russes irait passer l'arme à gauche avant de se souvenir qu'il aime à imposer son opinion sur ses voisins, par la force de préférence.

C'était tellement inéluctable qu'il était nécessaire de blaguer sur le sujet, comme l'atteste cette saisie d'écran du 23 février 2022, tard dans la soirée :

Bonne blague à faire juste avant le déclenchement d'une guerre.

 

Et la surprise, en se levant le lendemain...

Notre "there will be peace in our time", c'est de n'avoir rien fait lorsque les russes ont envahi, de nouveau, la Tchétchénie. La Géorgie en 2008. L'Ukraine en 2014. Au contraire, jusqu'en 2015, on a fait pire que ne rien dire : au lieu d'isoler la Russie (contrairement à ce que sa propagande essaye de nous faire gober), on est allés leur vendre à manger, à boire, des équipements de haute technologie, on a investi chez eux. On a pensé, de façon collective, que si on les traitait comme des amis, ils nous traiteraient également comme tels.

Qu'en tant que gens civilisés, nous nous devions de les traiter comme des gens civilisés.

Même quand ils pourrissaient nos élections.

 

l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Humainement

Au-delà du reste, l'humain reste au centre de la guerre.

Pour commencer, ceux qui souffrent depuis 2014, et la première invasion russe. Celle des petits hommes verts, des "gens polis". Des "indépendantistes", ces soldats russes déguisés en Ukrainiens, qui créent une guerre avant d'aller se plaindre que ça tue des civils.

Puis, depuis février 2022, les milliers de civils morts. Les déplacés. Les déportés. Les enfants envoyés en rééducation.

Puis, tous ceux qui, de civils, ont dû devenir militaires, et sont morts au front, en défendant quelque chose. Leur pays, leur famille, leur ville. Leurs idées. Leurs idéaux.

La guerre en Ukraine est une tragédie. Pour les ukrainiens, envahis par une puissance hostile.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Ma vision pré-invasion

Je ne ne vais pas me voiler la face, je fais partie de ceux qui pensaient que les russes allaient avancer comme dans du beurre, sur la première centaine de kilomètres.

Songez, l'armée russe ! Un million d'hommes au bas mot. Du matériel (relativement) moderne. Des stocks à ne plus savoir qu'en faire. La propagande le disait haut et fort. Et si la Syrie était un mauvais exemple de la maîtrise du combat par l'armée russe, ça restait une armée de premier ordre.

Donc, dans mon scénario personnel du 24 février, les russes allaient avancer relativement vite jusqu'à ce que les ukrainiens puissent se rattraper, puis être obligés de s'arrêter pour consolider leurs acquis. Le gouvernement et commandement ukrainien irait se replier dans les Carpates, faciles à défendre, et on allait voir se développer une guerre hybride, avec une ligne de front potentiellement gelée sur une ligne Odessa-Kyiv-Lviv (grosso modo), et un pourrissement d'une occupation russe inadaptée. Une défaite sur 10-15 ans de combats de basse intensité.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • La réalité militaire

La réalité, c'est que les russes n'ont jamais réussi à consolider leurs acquis. Spécialement dans le Nord, d'où ils se sont retirés fin mars.

Avancée maximale de l'armée russe, source War Mapper sur Twitter

Bien entendu, comme beaucoup, à partir du 24 je suis scotché sur les réseaux, qui nous passent l'Ukraine en boucle. Je reconfigure mon compte Twitter pour me limiter aux nouvelles d'Ukraine. Je trouve quelques têtes de pont comme le britannique Mike Martin (@ThreshedThought) ou le général australien Mick Ryan (@WarintheFuture), qui me mènent à leur tour vers des analystes ou des comptes sérieux. Comme tout un chacun, je m'abonne à Oryx (@oryxspioenkop), pour suivre les pertes des deux côtés.

Et très rapidement, des éléments étranges commencent à apparaître.

Tout d'abord, ce sont des photos et vidéos de soldats russes. Ils ont étés abattus alors qu'ils mangeaient. Le moteur de leur camion ou BMP tourne encore. Ils déjeunaient tranquillement, hors de leurs véhicules. Ils ne semblent pas avoir posté de gardes. Les véhicules sont isolés.

Ce type de vidéo apparait une fois, puis deux, puis une dizaine de fois. Les troupes russes, en terrain ennemi, ne pratiquent aucune sécurité. Les véhicules logistiques et les ouvreurs (BMP, BTR, Iveco LMV...) semblent se déplacer de façon isolée, sans protection. Ils se comportent comme s'ils avaient déjà gagné, et que le pays leur était acquis.

Puis arrivent les "vraies" attaques. Les convois en cours de ravitaillement qui sautent. Les camions logistiques en convois qui sautent. Clairement, les russes n'ont pas sécurisé leurs arrières. Mais pire, les ukrainiens semblent l'avoir prédit, et laissé des unités derrière les lignes (ce qui se confirmera plus tard).

BM-21 russe en feu, 1er mars 2022

Arrivent ensuite les pannes d'essence. Les russes stoppent leur offensive, car ils n'arrivent pas à faire suivre le ravitaillement. Cela peut se comprendre pour une armée qui avance rapidement, et a été le cas plus d'une fois lors de la seconde guerre mondiale, mais pour une armée sensée s'être préparée à prendre un pays aussi grand que l'Ukraine en moins d'une semaine ? Se reposer sur les station-services civiles pour faire le plein d'un bataillon de T-72 est un peu optimiste.

Et, sur le front, les choses ne se passent pas aussi bien que décrit. Si les T-64 ukrainiens semblent relativement absents suite aux attaques d'hélicoptères des premiers jours, il semble qu'il y a une arme anti-char derrière chaque brin d'herbe.

Tourelle de T-72 dans un champ, 25 mars 2022

Les ukrainiens réussiront également quelques coups de com' pas piqués des hannetons, comme l'affichage des captures de matériels russes, souvent tirés par des tracteurs agricoles.


John Deere ukrainien tractant un poste SAM russe (Buk) lors de la première phase de la guerre

Les matériels russes, de conception relativement dépassée, montrent également leurs limites.

BMD-4 russe. Dû à sa coque en aluminium et son canon à carrousel, le BMD-4 tend à finir en flaque une fois touché...

 

La suite, on la connaît : les russes se retirent du Nord de l'Ukraine. Puis ils reculent au sud et au centre-est.

Aujourd'hui, ils appuient le trait sur des zones où leurs pertes sont élevées (certains rapportent 700 à 1200 morts par jour), probablement dans le but de gagner un peu de terrain, pour le premier anniversaire de l'invasion.

Les défenses anti-aériennes Buk et S400, sensées être les meilleures du monde, ont été plus d'une fois traversées par les ukrainiens, jusqu'à des frappes sur des bases de bombardiers stratégiques.

La flotte de la Mer Noire a perdu du matériel lourd, face à un ennemi qui n'a pas de marine militaire.


De son côté, l'Ukraine a tenu le choc. Ils ont reculé là où ils le devaient, et gardé la maîtrise là où ils ne pouvaient pas se permettre de reculer.

Ils ont absorbé le matériel occidental à une vitesse élevée.

Leurs offensives ont bousculés les russes avec une relative facilité, montrant qu'ils savent attaquer là où l'ennemi n'est pas préparé, et saisir les opportunités.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Et nous, dans tout ça ?

Certains se questionnent sur eux-mêmes.

Et nous, devrait-on souffrir pour les Ukrainiens ?

Mais, souffrir de quoi ? D'un degré de moins dans nos chaumières ? De carburants plus chers ? D'avoir des gens qui mettent la pâté aux russes, et que ça ne nous coûte rien, à part des matériels destinés à la ferraille, pour leur majorité ?

Qu'on ne se voile pas la face : la guerre en Ukraine, à l'échelle des choses, ne nous coûte rien. Nous ne l'avons pas déclenchée, nous n'y avons pas d'hommes ni de femmes. Les bombes ne tombent pas chez nous.

Elle a lieu, qu'on le veuille ou non. La paix serait mieux, c'est sûr. Mais sommes-nous peureux au point de l'imposer à 41 millions (et des poussières) d'êtres humains, contre leur gré, pour notre petit confort personnel ? J'ose penser que les idéaux français sont au-delà de ça. Qu'on pourra se permettre un peu d'inconfort pour permettre à tout un peuple de rester libre, au prix de leur sang.


A bientôt pour la suite.

mercredi 15 février 2023

Le retour ?

En mai 2007, je créais un blog, dans le but de regrouper les informations que je ramassais à travers rencontres, lectures et salons.

En décembre 2010, jeune idiot que j'étais, ayant écrit quelques piges pour RAIDS, je pliait mes gaules et abandonnait le projet aux limbes.

Depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, il y a presque un an maintenant, je me dis que mes élucubrations stratégico-techniques devraient être rendues accessibles au plus grand nombre, parce que mon Ego est comme ça.

Et puis, aujourd'hui, je me suis souvenu que je possède un blog. Du coup je l'ai cherché, et par miracle, il est toujours en ligne, archives et tout.

Du coup c'est la rentrée des classes. Après un poil plus de 11 ans à se perdre dans divers jobs, on va revenir aux sources.


Le principe va très légèrement changer. Pour commencer, on va faire moins général, et se concentrer sur le conflit qui mets la zone à l'est de notre riant pays : l'Ukraine. Je vais aller racler tous les trucs que j'ai raconté sur Twitter, au grand dam de ma poignée d'abonnés, remettre ça en page, et poster ici.

Ensuite, eh bien... on verra.

Probablement un peu plus d'opinions, un peu moins de recherche de l'objectivité. Quelques coups de gueule.

Un peu plus d'humour, ça ne fait jamais de mal.


Donc voilà, du coup. A priori, je suis de retour. Il fallait au moins un conflit majeur en Europe pour ça. On dit merci Vladimir ?