vendredi 17 février 2023

"Ce qu'il se passe en Ukraine, t'en penses quoi ?"

Le problème, quand on s'intéresse à la chose militaire, c'est que les gens s'en rendent compte.

Et du coup, quand il se passe des choses "militaires" qui nous impactent, des questions sont posées.

Pas toujours de façon habile, mais qui pourrait le condamner ? La majorité des gens ne savent pas quelle question poser, et les réponses ne sont pas simples non plus.


La question d'origine, en février 2022, était : "La guerre en Ukraine, t'en penses quoi ?"

Et la réponse, depuis février 2022, est : "ça dépend".

Seulement, ça dépend, bah ça dépasse...

Une guerre, ça n'est pas un blob homogène, qui s'explique, ou s'analyse, en deux phrases. Les guerres terminées depuis plus d'un siècle sont encore sujettes à débat, y compris chez des gens qui sont du même avis. Donc une guerre encore en cours, c'est compliqué.

Après, on peut dire que la guerre, c'est mal. C'est bien, mais ça ne fait pas avancer le schmilblick.

Tout d'abord, qu'on s'accorde sur une chose : je suis un militariste, mais pas un belliciste. Je suis pour une armée puissante et bien entraînée, mais aussi pour qu'elle ne serve pas à envahir les autres sous des excuses fallacieuses, comme celle de la langue parlée, par exemple, qui a le vent en poupe (comme dans les années 30). Donc la guerre, personnellement, je ne trouve pas ça drôle. Je n'ai pas étudié une guerre qui ait fait marrer qui que ce soit, surtout ceux qui sont revenus les pieds devant. Je n'ai pas parlé à un seul soldat ayant fait la guerre (la vraie, où l faut tirer sur des gens qui vous tirent dessus en retour) que ça ait fait rire.

Malheureusement, nous sommes des animaux, et les animaux se foutent sur la gueule régulièrement, pour des raisons qui leur sont propres, et qui leur paraissent super sérieuses sur le coup. Même si elles peuvent paraître idiotes plus tard. Ce n'est pas pour rien que Brassens chantait :

Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente

Jugeant qu'il n'y a pas péril en la demeure
Allons vers l'autre monde en flânant en chemin
Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure
Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain

 

Mais revenons à l'Ukraine, et au thème : l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • La guerre en Ukraine, évitable ?

Pour commencer, malheureusement, j'en pense que c'est une de ces choses que je voyais, personnellement, comme inéluctable, mais sans empressement de nous trouver dedans. Et les louvoiements politiques des années 2014 à 2021 trouvent leur origine, je pense, dans cette sorte de pensée magique. On s'imaginait pouvoir jouer la montre, et que l'empereur des Russes irait passer l'arme à gauche avant de se souvenir qu'il aime à imposer son opinion sur ses voisins, par la force de préférence.

C'était tellement inéluctable qu'il était nécessaire de blaguer sur le sujet, comme l'atteste cette saisie d'écran du 23 février 2022, tard dans la soirée :

Bonne blague à faire juste avant le déclenchement d'une guerre.

 

Et la surprise, en se levant le lendemain...

Notre "there will be peace in our time", c'est de n'avoir rien fait lorsque les russes ont envahi, de nouveau, la Tchétchénie. La Géorgie en 2008. L'Ukraine en 2014. Au contraire, jusqu'en 2015, on a fait pire que ne rien dire : au lieu d'isoler la Russie (contrairement à ce que sa propagande essaye de nous faire gober), on est allés leur vendre à manger, à boire, des équipements de haute technologie, on a investi chez eux. On a pensé, de façon collective, que si on les traitait comme des amis, ils nous traiteraient également comme tels.

Qu'en tant que gens civilisés, nous nous devions de les traiter comme des gens civilisés.

Même quand ils pourrissaient nos élections.

 

l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Humainement

Au-delà du reste, l'humain reste au centre de la guerre.

Pour commencer, ceux qui souffrent depuis 2014, et la première invasion russe. Celle des petits hommes verts, des "gens polis". Des "indépendantistes", ces soldats russes déguisés en Ukrainiens, qui créent une guerre avant d'aller se plaindre que ça tue des civils.

Puis, depuis février 2022, les milliers de civils morts. Les déplacés. Les déportés. Les enfants envoyés en rééducation.

Puis, tous ceux qui, de civils, ont dû devenir militaires, et sont morts au front, en défendant quelque chose. Leur pays, leur famille, leur ville. Leurs idées. Leurs idéaux.

La guerre en Ukraine est une tragédie. Pour les ukrainiens, envahis par une puissance hostile.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Ma vision pré-invasion

Je ne ne vais pas me voiler la face, je fais partie de ceux qui pensaient que les russes allaient avancer comme dans du beurre, sur la première centaine de kilomètres.

Songez, l'armée russe ! Un million d'hommes au bas mot. Du matériel (relativement) moderne. Des stocks à ne plus savoir qu'en faire. La propagande le disait haut et fort. Et si la Syrie était un mauvais exemple de la maîtrise du combat par l'armée russe, ça restait une armée de premier ordre.

Donc, dans mon scénario personnel du 24 février, les russes allaient avancer relativement vite jusqu'à ce que les ukrainiens puissent se rattraper, puis être obligés de s'arrêter pour consolider leurs acquis. Le gouvernement et commandement ukrainien irait se replier dans les Carpates, faciles à défendre, et on allait voir se développer une guerre hybride, avec une ligne de front potentiellement gelée sur une ligne Odessa-Kyiv-Lviv (grosso modo), et un pourrissement d'une occupation russe inadaptée. Une défaite sur 10-15 ans de combats de basse intensité.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • La réalité militaire

La réalité, c'est que les russes n'ont jamais réussi à consolider leurs acquis. Spécialement dans le Nord, d'où ils se sont retirés fin mars.

Avancée maximale de l'armée russe, source War Mapper sur Twitter

Bien entendu, comme beaucoup, à partir du 24 je suis scotché sur les réseaux, qui nous passent l'Ukraine en boucle. Je reconfigure mon compte Twitter pour me limiter aux nouvelles d'Ukraine. Je trouve quelques têtes de pont comme le britannique Mike Martin (@ThreshedThought) ou le général australien Mick Ryan (@WarintheFuture), qui me mènent à leur tour vers des analystes ou des comptes sérieux. Comme tout un chacun, je m'abonne à Oryx (@oryxspioenkop), pour suivre les pertes des deux côtés.

Et très rapidement, des éléments étranges commencent à apparaître.

Tout d'abord, ce sont des photos et vidéos de soldats russes. Ils ont étés abattus alors qu'ils mangeaient. Le moteur de leur camion ou BMP tourne encore. Ils déjeunaient tranquillement, hors de leurs véhicules. Ils ne semblent pas avoir posté de gardes. Les véhicules sont isolés.

Ce type de vidéo apparait une fois, puis deux, puis une dizaine de fois. Les troupes russes, en terrain ennemi, ne pratiquent aucune sécurité. Les véhicules logistiques et les ouvreurs (BMP, BTR, Iveco LMV...) semblent se déplacer de façon isolée, sans protection. Ils se comportent comme s'ils avaient déjà gagné, et que le pays leur était acquis.

Puis arrivent les "vraies" attaques. Les convois en cours de ravitaillement qui sautent. Les camions logistiques en convois qui sautent. Clairement, les russes n'ont pas sécurisé leurs arrières. Mais pire, les ukrainiens semblent l'avoir prédit, et laissé des unités derrière les lignes (ce qui se confirmera plus tard).

BM-21 russe en feu, 1er mars 2022

Arrivent ensuite les pannes d'essence. Les russes stoppent leur offensive, car ils n'arrivent pas à faire suivre le ravitaillement. Cela peut se comprendre pour une armée qui avance rapidement, et a été le cas plus d'une fois lors de la seconde guerre mondiale, mais pour une armée sensée s'être préparée à prendre un pays aussi grand que l'Ukraine en moins d'une semaine ? Se reposer sur les station-services civiles pour faire le plein d'un bataillon de T-72 est un peu optimiste.

Et, sur le front, les choses ne se passent pas aussi bien que décrit. Si les T-64 ukrainiens semblent relativement absents suite aux attaques d'hélicoptères des premiers jours, il semble qu'il y a une arme anti-char derrière chaque brin d'herbe.

Tourelle de T-72 dans un champ, 25 mars 2022

Les ukrainiens réussiront également quelques coups de com' pas piqués des hannetons, comme l'affichage des captures de matériels russes, souvent tirés par des tracteurs agricoles.


John Deere ukrainien tractant un poste SAM russe (Buk) lors de la première phase de la guerre

Les matériels russes, de conception relativement dépassée, montrent également leurs limites.

BMD-4 russe. Dû à sa coque en aluminium et son canon à carrousel, le BMD-4 tend à finir en flaque une fois touché...

 

La suite, on la connaît : les russes se retirent du Nord de l'Ukraine. Puis ils reculent au sud et au centre-est.

Aujourd'hui, ils appuient le trait sur des zones où leurs pertes sont élevées (certains rapportent 700 à 1200 morts par jour), probablement dans le but de gagner un peu de terrain, pour le premier anniversaire de l'invasion.

Les défenses anti-aériennes Buk et S400, sensées être les meilleures du monde, ont été plus d'une fois traversées par les ukrainiens, jusqu'à des frappes sur des bases de bombardiers stratégiques.

La flotte de la Mer Noire a perdu du matériel lourd, face à un ennemi qui n'a pas de marine militaire.


De son côté, l'Ukraine a tenu le choc. Ils ont reculé là où ils le devaient, et gardé la maîtrise là où ils ne pouvaient pas se permettre de reculer.

Ils ont absorbé le matériel occidental à une vitesse élevée.

Leurs offensives ont bousculés les russes avec une relative facilité, montrant qu'ils savent attaquer là où l'ennemi n'est pas préparé, et saisir les opportunités.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Et nous, dans tout ça ?

Certains se questionnent sur eux-mêmes.

Et nous, devrait-on souffrir pour les Ukrainiens ?

Mais, souffrir de quoi ? D'un degré de moins dans nos chaumières ? De carburants plus chers ? D'avoir des gens qui mettent la pâté aux russes, et que ça ne nous coûte rien, à part des matériels destinés à la ferraille, pour leur majorité ?

Qu'on ne se voile pas la face : la guerre en Ukraine, à l'échelle des choses, ne nous coûte rien. Nous ne l'avons pas déclenchée, nous n'y avons pas d'hommes ni de femmes. Les bombes ne tombent pas chez nous.

Elle a lieu, qu'on le veuille ou non. La paix serait mieux, c'est sûr. Mais sommes-nous peureux au point de l'imposer à 41 millions (et des poussières) d'êtres humains, contre leur gré, pour notre petit confort personnel ? J'ose penser que les idéaux français sont au-delà de ça. Qu'on pourra se permettre un peu d'inconfort pour permettre à tout un peuple de rester libre, au prix de leur sang.


A bientôt pour la suite.

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