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mardi 30 juillet 2024

Chapitre 5 - Définition de l'adversaire

Chapitre 5
Définition de l'adversaire

 

Dans ce chapitre court (3 pages), Trinquier nous parle de définir l'ennemi spécifiquement, pour savoir comment le combattre.

Il commence avec les ennemis "historiques", de l'autre côté du Rhin ou de la Manche : des ennemis qui déclaraient ouvertement la guerre, puis entraient sur le territoire français avec une armée et des buts de guerre clairs.

Des ennemis qui ne pouvaient pas être convaincus de baisser les armes sans avoir étés battus "à la régulière", sur le terrain, par une autre armée.

 

Dans la guerre moderne, nous explique l'auteur, rien de tout ça : la guerre n'est pas déclarée ouvertement, et l'ennemi ne lance pas des divisions blindées à l'assaut du territoire de la patrie. Au contraire, l'Ennemi aura pour but de garder le plus longtemps possible une situation de paix, et d'agir plus insidieusement, via des partis politiques et des actions en sous-main.

Cette situation de fausse paix sera activement argumentée et maintenue par l'ennemi pendant qu'il s'organise et se prépare, et ne sera rompue qu'au moment où il sera capable de frapper vite et fort, en lançant une campagne terroriste organisée, combinée à une action de propagande forte.

Trinquier conclut le chapitre en expliquant que, la France n'étant pas un état totalitaire, il nous est impossible de simplement supprimer toute personne faisant connivence avec l'ennemi, que nous avons de toute façon souvent du mal à définir ouvertement, même lorsqu'il vient de l'étranger et nous présente à sa propre population comme étant un ennemi mortel.

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Le principe de définition de l'Ennemi est important également dans le domaine qui nous intéresse, celui de la politique intérieur et de l'action sociale.

D'une part, pour savoir contre qui se battre, mais aussi pour éviter d'être accusés par la propagande ennemie d'avoir une définition à géométrie variable.

Une définition mauvaise ou floue de l'Ennemi serait facile à utiliser pour nous présenter comme voulant tourner les français les uns contre les autres, et de vouloir la modifier constamment dans le but de cibler tous les opposants au pouvoir en place.



Il est donc important de prendre le temps d'identifier les contours de l'ennemi : ses partis politiques, ses groupuscules, ses actions contre la République.

Définir où est la frontière idéologique de la Nation Française, pour mieux quantifier qui l'attaque.
Identifier ses chefs, ses outils de propagande, ses moyens, pour pouvoir mieux les frapper ensuite.

Identifier les législations liberticides, qui pourraient servi à l'ennemi là où il prend pied dans le système politique et sécuritaire, pour les faire supprimer des codes.

Bien entendu, tout cela devra être fait dans le cadre d'un État de Droit, en situation de paix, qui répugne à sanctionner les groupes politiques eux-mêmes, même lorsqu'ils sont téléguidés par l'étranger, ou sont ouvertement une menace pour les principes démocratiques.



Une fois le travail de définition fait, les actions offensives peuvent être mises en place.

mardi 23 juillet 2024

Chapitre 4 - Le terrorisme, arme capitale de la guerre moderne

Chapitre 4

Le terrorisme, arme capitale de la guerre moderne


Nous passerons sur le chapitre 3, qui explique l'organisation de guerre du FLN en 1957, pour nous concentrer sur le chapitre 4 : le concept du terrorisme comme arme de guerre.

Trinquier considère le terrorisme comme étant une arme de guerre, utilisée pour séparer la population des autorités, par plusieurs moyens :


  • Le premier, donner un sentiment d'isolation à la population. Seul contre la violence, le citoyen se sent sans défense face à des attaques qui terrorisent son quotidien, et frappent de nulle part, à n'importe quel moment. Les cibles ne sont pas des symboles de la République, comme dans une guerre classique, mais la vie quotidienne des civils : magasins, restaurants, les rues où ils se promènent avec leurs enfants. La psychose déclenchée pousse les gens à rester terrés chez eux.
  • Le second, amener la rancœur envers l’État. La population, frappée chez elle dans son quotidien, a le sentiment lors d'une vague de terrorisme dont les forces de l'ordre et l’État sont incapables de la protéger. Des la combinaison avec des attaques contre les forces de l'ordre ou les services de la République enfonceront encore plus le clou : être proche de la République, c'est être une victime collatérale.
  • Le troisième est le rapprochement de force avec les insurgés : la seule manière de faire stopper la violence est de se mettre du côté des violents, c'est à dire des insurgés, voire même de rejoindre leur groupe. La propagande des insurgés présentera les choses de la sorte : les rejoindre, les soutenir, c'est l'assurance de la fin de la violence qu'ils déclenchent. Une propagande d'autant plus facile à utiliser lorsque les forces de l'ordre ou armées répondent au terrorisme par leur propre campagne de terreur aveugle.


Trinquier nous explique que le but du terrorisme n'est pas de frapper les forces armées, la police, ni même de tuer dans un but de dépouillement et de vol comme le feraient des bandits de grand chemin :
le terrorisme frappe le "ventre mou" du pays. Des cibles faciles à attaquer, qui n'ont aucun moyen de défense, sont toujours accessibles. Des gens normalement protégés par les lois de la guerre et par l'état.


De cette façon, le terroriste prend peu de risques lorsqu'il prépare son opération, car la cible est choisie spécialement pour sa vulnérabilité : terrasses de cafés, marchés à ciel ouvert, fêtes en extérieur, etc.

(NDR : selon la définition de Trinquier, les frappes russes en Ukraine sur des hôtels, hôpitaux et marchés, par définition non défendus, peuvent être qualifiées comme des actes de terrorisme)

Il continue en expliquant que, dans les zones peu couvertes par les forces de l'ordre et les services de la République, le terrorisme peut (et va) servir à supprimer l'emprise de l'état, en frappant en priorité les notables, les agents de l'état, les fonctionnaires territoriaux. Une fois l'emprise Républicaine supprimée, la population sera ralliée de gré ou de force. La population ralliée, les insurgés peuvent désormais se déplacer comme le poisson dans l'eau, et étendre leurs opérations aux secteurs voisins, en utilisant la même méthode.
Une surveillance des locaux sera mise en place, et les gens donnant des signes de non-ralliement punies durement, pour l'exemple.

Le terroriste est donc, pour Trinquier, à considérer non pas comme un criminel, mais comme un soldat. Cependant, il souligne que le terroriste, contrairement à un soldat ordinaire, refuse le risque, en frappant principalement des cibles sans défense. Il devra donc être traité comme un franc-tireur ou un aviateur abattu : interrogé pour connaître ses cibles, sa place dans l'organisation, ses contacts, pour pouvoir remonter le fil de son organisation le plus rapidement possible. Puis le terroriste, simple exécutant (NDR : en Irak et Afghanistan, les gens détonnant des véhicules piégés ou des vestes explosives étaient souvent de pauvres hères, qui faisaient ce 'travail' en échange d'une compensation financière pour leur famille) sera écroué jusqu'à jugement.

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Fait-on, dans la France des années 2020, l'objet d'une campagne terroriste de la part du RN, de ses troupes, d'organisations adhérant à ses idéaux ?

Réfléchissons à la définition de Trinquier :
-Frapper des gens sans défense chez eux ;
-Donner un sentiment d'isolation aux citoyens ;
-Créer une rancœur envers le pouvoir, son rejet, souligner son incapacité à protéger contre une menace, réelle ou imaginée ;
-Supprimer les notables ("élites"), les agents de l'état, les fonctionnaires ;
-Acquérir la population aux idées des insurgés par la force et par la peur ;
-Menacer d'exclusion, accuser de traitrise ceux qui refusent de plier ;
-Assurer que lorsqu'ils auront le pouvoir, l'ordre sera rétabli.

Si je prend la liste de façon franche et objective, tous ces éléments se retrouvent dans l'empire médiatique monté par Vincent Bolloré (Cnews, C8, JDD...) et d'autres médias 'mainstream'.
Certes, la violence et l'agression ne sont que verbales. Ne sont 'que' des mots.

Un TERRORISME INTELLECTUEL.

Présent partout, qui matraque les citoyens avec toujours des informations plus noires les unes que les autres, en présentant à longueur de page et de journée des faits divers sordides, appuyant sur le fait qu'ils pourraient arriver à n'importe qui, n'importe quand, car dans leur France de 2024, chaque coin de rue cache un "autre" (migrant, basané, noir, islamiste, gauchiste...), le couteau entre les dents, tuant les citoyens pour le plaisir.

Chez eux, les forces de l'ordre font leur travail, mais ce travail est sapé par un ennemi intérieur, l’État de Droit. 

Des juges qui remettraient en liberté les assassins par tombereau. Des associations 'wokes'* prêtes à tout pour faire relâcher des violeurs et des terroristes en puissance.

Les discours contre les supposées "élites", les diatribes de gens sortant de Science-Po ou de l'ENA contre tous les gens qui sont des intellectuels avec des idées différentes des leurs.

Argumentaire violent contre la fonction publique, faisant de la suppression de postes publiques, jugés "inutiles" une des priorités d'un futur nouveau gouvernement.

Répéter inlassablement les mêmes théories et histoires aux citoyens, en espérant les radicaliser contre les idées de Liberté, d’Égalité et de Fraternité présentes sur les frontons des écoles et des mairies à travers la pays.

Utiliser le concept de la trahison à toutes les sauces : lorsque des formations ont un débat démocratique, lors des alliances entre groupes politiques, dès que quelqu'un les accuse de chercher la dissension.


Et le Rassemblement National nous annonce, à chaque élection, que le porter au contrôle de la France rétablirai immédiatement l'Ordre (avec un grand O). Il suffit d'adhérer, il suffit de rejeter les préceptes de la République, et la violence qu'ils apportent quotidiennement dans la vie des français s'arrêtera.

A cela, on peut ajouter une réelle dynamique de terrorisme physique venue de mouvement d'extrême-droite en France : les 'ratonnades', les contre-manifestations violentes par des individus masqués dans certaines grandes villes, les projets d'attentats contre les services ou représentants de l'état par des groupes complotistes...

La France est victime, depuis des années, d'une campagne méthodique de terrorisme intellectuel, visant à avancer les pions de l'extrême-droite partout sur le territoire.
Au premier tour des élections législatives de 2024, nous avons vu le résultat : de gré ou de force, par la menace et la propagande, la carte de France s'est couverte de vert-de-gris.


Résultats du 1er tour des législatives 2024, en bleu foncé les circonscriptions avec RN, alliés et extrême-droite en tête des résultats. Pas très chouette.




*Woke : De l'anglais 'éveillé'. Terme lancé par les afro-américains pour parler d'égalité, d'altruisme et de compréhension entre les cultures et les gens. Utilisé par l'extrême-droite américaine et européenne comme raccourci pour définir tout ce qui n'est pas réactionnaire, et donc inadmissible pour eux.

"Woke", selon l'extrême-droite.

 

lundi 15 juillet 2024

Chapitre 2 - La Guerre Moderne : définition

Chapitre 2

La Guerre Moderne : définition


Dans ce chapitre, Trinquier nous parle de l'apparition de la guerre insurrectionnelle comme étant une nouvelle forme de guerre (dans la période 1945-61). Pas pour une dimension d'existence des insurrections armées, faits communs (entre autres dans les empires coloniaux, ou durant la seconde guerre mondiale avec les actions de partisans et franc-tireurs), mais comme articulation principale d'une guerre de moyenne ou grande envergure.

Indochine, Algérie, Malaisie, Palestine : la guerre n'est plus, d'après lui, un affrontement de deux armées conventionnelles à peu près équivalentes en capacités (mais pas forcément en moyens) et utilisant des combinaisons interarmes (sol, terre et mer).
La guerre devient non plus une question purement militaire, mais une question de combinaison de la force, de la psychologie et de la politique, pour renverser un régime et le remplacer par un autre.

Trinquier parle également de l'interdépendance entre nations - devenue entretemps mondialisation - menant à une circulation accrue des informations, et à la possibilité d'un conflit isolé à trouver un retentissement mondial, comme nous pouvons le voir actuellement avec, par exemple, Gaza et le conflit en Ukraine.

Chaque conflit secondaire peut donc (dans une dimension de guerre froide de l'époque) être représenté ou repris comme s'intégrant dans une multipolarité Est/Ouest, selon les besoins des personnes engagées.
On se souviendra par exemple de l'Indochine, où à partir de 1949 Ho Chi Minh saura attirer l'aide de la Chine et de l'URSS, qui déclenchera en réponse un soutien de la France par des Etats-Unis qui refusaient jusqu'alors de soutenir l'armée française, même indirectement.

Il critique ensuite les penseurs et stratèges militaires, qui se limitent à l'aspect militaire de la guerre, ignorant (volontairement ou par manque d'ouverture d'esprit) ses dimensions non-militaires. Pour lui, une armée ne peut gagner la Guerre Moderne qu'en s'engageant dans toutes ses dimensions : militaire, civile, politique, sociale, psychologique...
Il parle ensuite du manque d'étude de la guérilla après-guerre, et des moyens de la contrer. Les militaires se limitant souvent à noter les méthodes utilisées par les Allemands contre les maquis qui n'avaient eu aucune efficacité pour les stopper. Si tout le monde s'accordait à dire que les actions des partisans et franc-tireurs avaient gêné les allemands et aidé l'effort conventionnel des armées alliées, personne ne s'est occupé de savoir comment s'en prémunir, dans le cas où ces méthodes seraient utilisées contre nous.
La méthode principale étant l'utilisation (volontaire ou forcée) de la population. Trinquier cite même Mao : 

"Or, nous savons que le moyen essentiel pour vaincre dans la guerre moderne 
est de s'assurer l'appui inconditionnel des populations ; 
il est aussi indispensable aux combattants que l'eau au poisson" (p.6).


La guerre moderne, conclut-il, est celle d'une armée contre une organisation clandestine armée, dont le rôle principal est non pas de défaire une armée sur le champ de bataille, mais imposer sa volonté à la population (p.7).


Est-on dans une situation où un groupe conventionnel pense pouvoir battre une insurrection moderne avec des moyens dépassés ? Absolument.
Les partis Républicains, suite au changement de paradigme social et psychologique apparu avec les chaînes d'information 24/7 (1994 en France avec LCI) et les réseaux sociaux (surtout après l'arrivée de Facebook et Twitter à partir de 2006-07), ont pensé pouvoir continuer à communiquer sur leurs idées comme ils le faisaient précédemment.
Depuis des décennies, la politique de proximité se réduisait, et la communication n'était importante qu'en période de campagne, une fois tous les 5 à 7 ans selon le poste.

L'insurrection, cependant, a rapidement compris les possibilités qu'offrait la nouvelle communication : réagir à des faits divers qui tournent en boucle sur LCI ou BFMTV, être présent sur tous les réseaux sociaux sans distinction, de Twitter à TikTok, et surtout être toujours en train de dire quelque chose, vrai ou faux, pour exploiter les tensions internes du pays de façon constante, et élargir les oppositions entre les groupes internes.
Occuper le devant de la scène, et paraître à l'écoute face à des politiciens "à la papa", qui ne se présentent aux électeurs que pour les grandes batailles des élections, et sont le reste du temps à travailler, mais absents de la scène sociale et médiatique.
De même, l'interconnexion permet de faire circuler les informations (vraies ou fausses) à la vitesse de l'éclair, et polariser le moindre incident mineur (agression, violence policière, etc).

Une fois le problème de la montée de l'insurrection menée par le Rassemblement National détectée, les réponses ont également suivi le schéma rapporté par Trinquier :
- Aucune étude sérieuse de la menace, et des méthodes pour y remédier par les partis ;
- Abandon de terrain, en laissant les zones faiblement peuplées à la merci de l'insurrection, en se repliant sur les grandes métropoles, concentrant la communication et les programmes politiques sur les personnes y résidant ;
- Utilisation d'une "contre-guérilla", essayant de contrer pied-à-pied l'insurrection, et laissant donc toujours à l'ennemi l'initiative du terrain de l'affrontement ;
- Combattre avec les armes de l'ennemi, c'est-à-dire reprendre les théories et argumentaires des insurgés en espérant attirer à soi les électeurs "passés" au RN.

Toutes ces méthodes, comme le dit Trinquier, tentent de "résoudre rapidement le problème, sans même l'avoir posé".

En refusant d'étudier les raisons structurelles et psychologiques de la montée du RN. Les raisons structurelles et psychologique d'un désamour pour la chose démocratique, résumée par des taux d'abstention élevés et une représentativité des élus faible, menant à plus de corporatisme et à un cycle faisant toujours plus chuter l'adhésion démocratique et Républicaine.

LE POLITICIEN RÉPUBLICAIN DOIT ÊTRE DANS LA POPULATION 
COMME LE POISSON DANS L'EAU !


Lors des élections législatives de l'été 2024, le Rassemblement National (et ses alliés officiels et officieux, menés par Eric Ciotti et Eric Zemmour) a reçu un peu plus de 10 millions de votes (à un demi-million de voix de différences entre les deux tours, donc relativement stable).

Dix millions de votes, soit un peu plus d'un cinquième des inscrits (49 332 709).
Dix millions de votes, soit 15,4% des citoyens français (68 373 433).

L'insurrection n'est pas majoritaire en France.
Mais elle arrive à manipuler les citoyens et l'opinion, pour lui faire croire en sa majorité totale.
Elle est une organisation spéciale, de petite taille, mais prête à tout pour apparaître comme ayant le soutien de la population. De gré, ou de force. Par la propagande, ou par le terrorisme intellectuel.

Il ne tient qu'aux Républicains de tout bord (associations, politiques, société civile) de reprendre la main, et réduire l'insurrection, en utilisant des méthodes sur lesquelles nous nous étendront par la suite.

mercredi 10 juillet 2024

Première partie : la préparation à la guerre / Chapitre 1 - Une nécessité, adapter notre appareil militaire à la guerre moderne

Première partie : la préparation à la guerre

Chapitre 1

Une nécessité
Adapter notre appareil militaire à la guerre moderne


 

Vétéran du conflit sino-japonais, de la seconde guerre mondiale, d'Indochine et d'Algérie, Trinquier commence son ouvrage par un constat simple : les forces armées de la France d'après 1945 s’organisent et s'axent autour d'un combat purement conventionnel, destiné à affronter un ennemi near-peer dans un conflit symétrique.
Alors que les "guerres modernes" de l'armée françaises se font sous le signe de l'asymétrie, contre un adversaire qui se fond dans les populations et refuse systématiquement la bataille rangée, où sa capacité de combat inférieure serait rapidement éliminée.

"Nous dispersons en effet des bandes armées plus que nous les détruisons" (p.4)

D'après Trinquier, cette incapacité à s'adapter à un ennemi qui n'accepte pas le combat symétrique crée plusieurs problèmes majeurs :
- Un sentiment d'ennemi invincible, qui s'accrédite auprès de la population par l'incapacité d'une armée moderne à le battre. Sentiment retrouvé en Afghanistan.
- Développement d'idées fausses sur les actions de la France, comme au Sahel, où l'armée française a même été accusée d'aider les djihadistes qu'elle combattaient, les locaux étant incapables d'imaginer que l'armée française de 2020, avec tous ces moyens, ne puisse pas neutraliser des bandes armées uniquement équipées de fusils et de 4x4 Toyota.
D'après Trinquier, ces fausses idées sont faciles à diperser par propagande dans les populations civiles, les menant à une neutralité de fait qui les poussera à ne pas soutenir la République, et laisser faire les insurgés.


Les parallèles avec la situation actuelle en France sont faciles à trouver.
D'un côté, une République utilisant des moyens de communication surannés, à l'époque de la "post-vérité" et des faits alternatifs, diffusés en masse par des acteurs n'hésitant pas à exploiter le fonctionnement des réseaux sociaux et leurs algorithmes, et sur des agent du chaos* étrangers.
De l'autre, des groupes prêts à faire circuler tous les mensonges (distorsions de chiffres officiels, mensonges par omission, fausses nouvelles) et matraquer la population de faits divers sordides à longueur de journée pour faire monter leurs chiffres.

Ces méthodes antédiluviennes (datant d'avant le déluge des réseaux sociaux), combinées à une pensée politique complètement dépassée, qui se base sur des classes sociales qui n'existent plus dans leurs anciennes formes, et sur une séparation imaginée entre des zones géographiques et des classes d'âges données (jeunes contre retraités, ruraux, métropoles contre la "France périphérique"...) essayent de mener l'extrême-droite dans une bataille rangée qu'elle esquive, refusant même de débattre avec leurs opposants dans les circonscriptions (France Bleu, législatives 2024).


La capacité du RN à esquiver le combat de ligne tout en attaquant tous les jours via réseaux sociaux et médias 'traditionnels' donne deux images fausses :
- L'arrivée de Marine Le Pen au pouvoir est inéluctable, et donc le plus tôt serait le mieux, "pour s'en débarrasser". Arguant que l'extrême-droite, une fois au pouvoir, pourrait en être retirée facilement aux élections suivantes (le type de théories également développées par la droite Allemande de Von papen dans les années 30, avec le résultat que l'on sait) ;
- La République (et/ou le parti à sa tête) manipulerait les élections pour empêcher le RN de remporter une victoire qui lui est due, partant du principe que le candidat avec le plus gros score au premier tour est forcément victorieux au second dans une élection à deux tours.

"Nous ne devons donc plus nous laisser leurrer, et abandonner la lutte avant la victoire finale, car nous manquerions gravement à notre devoir. Nus livrerions des populations dans défense à des ennemis sans scrupules qui pourront les asservir à leur gré" (p.4)


Qu'on ne l'oublie pas : malgré la 'dédiabolisation', le Rassemblement National (et son allié de fait Reconquête, s'ils survivent après avoir étés saignés par Marion Maréchal) reste un parti anti-républicain, factieux, raciste, et une menace pour la France qui se targue d'assurer Liberté, Égalité et Fraternité à ses citoyens.
Face à leur insurrection, il est temps que les Républicains de tout bord mènent contre eux la Guerre Moderne, qui va plus loin d'un "barrage républicain", chancelant et lézardé de failles visibles de tous.



*Seront compté comme "agent du chaos" tous les acteurs qui appuient la circulation de fausses informations, non pas pour appuyer un parti spécifique, mais simplement pour créer le conflit et le doute chez les citoyens. L'Iran et la Corée du Nord sont coutumiers du fait. Si la Russie peut être considérée comme partie prenante dans les campagnes organisées par les partis d'extrême-droite en Europe, fournissant des moyens financiers et parfois techniques, ils ont également tendance à simplement agir en agents du chaos, pour brouiller les cartes lors de scrutins mineurs ou majeurs.

lundi 8 juillet 2024

Le théories de lutte contre les insurrections de Trinquier peuvent-elles nous apprendre comment redresser la France de 2024 ? Introduction.

La théorie militaire est-elle soluble dans la politique française du XXIe siècle ?

Nous y voilà donc. 

Lundi 8 juillet 2024. 

Au lendemain d'une élection législative anticipée, à mi-mandat, organisée en urgence, sans - semblerait-il - la moindre préparation ou réflexion en amont. Une dissolution non préparée, à la lumière d'un scrutin porté par une faible participation (les européennes de juin 2024). 

Au lendemain d'un score forcément historique pour l'extrême-droite. L'extrême-droite de Jean-Marie Le Pen (n'en déplaise aux dédiaboliseurs de tous bords), qui avait touché du doigt la Présidence en 2002, et n'a fait que ronger son frein - et mieux organiser sa progression - depuis. 

Résultats du second tour des législatives 2024, en bleu foncé les circonscriptions désormais représentées à l'assemblée nationale par le Rassemblement National.


Avec une montée du nombre de sièges contrôlés par le Rassemblement National, un parti foncièrement anti-républicain. 

Une situation que l'on pourrait comparer à celle de 1871, où les partis républicains, de gauche et de droite, sont face à de puissants groupes monarchistes, qui n'aspirent qu'à ramener les Bourbons à la tête du pays une fois de plus. 

La prise de puissance d'un parti anti-républicain, au XXIe siècle en France, est une forme d'insurrection. Pas une insurrection physique, avec des attaques de bases militaires, mais une insurrection intellectuelle. Une attaque quotidienne, un terrorisme visant à détruire les piliers de la République, et à mettre en place un système différent, qui n'aspirerait ni à la liberté de ses citoyens, l'égalité entre ces derniers, et la fraternité entre les peuples. 

Face à cette insurrection au long cours (débutée dès la fin de la guerre d'Algérie en 1962, mais centralisée avec la création du FN en 1972), les partis Républicains, de gauche comme de droite, se sont repliés derrière leurs fortifications, ont abandonné du terrain aux insurgés, parfois monté des alliances avec ces derniers pour s'assurer des postes dans l' "après" ou se maintenir, ou ont simplement abandonné le combat. 

 

Ces vingt dernières années, partageant ma vie entre les grandes métropoles et la France "périphérique", j'ai vu le fossé se creuser, et les idées exprimées par le Colonel Roger Trinquier me revenir, telle une litanie, après chaque élection, que ce soit en lisant les programmes ou en regardant les résultats, et l'avancée du vert-de-brun peint en bleu "Marine". 

Roger Trinquier, officier dans l'armée Coloniale à partir de 1928, para-colo de 1946 à 1960, utilisera son expérience en Indochine, en Algérie et en Afrique pour poser les bases d'une solide théorie de la contre-insurrection. Ses théories dans le domaine sont regroupées dans l'ouvrage La Guerre Moderne, paru en 1961.

C'est ce livre que je propose de vous lire, résumer, et étudier la façon dont les théories présentées peuvent être mise en relation avec la situation politique en France en 2024, et les pistes de réflexion concernant la réduction et, qui sait, l'élimination de l'insurrection anti-Républicaine. 

La découpe sera faite de la façon suivante : un article pour chaque chapitre - sauf dans les cas où les choses seraient trop denses pour s'y limiter - pour tenter de garder, au maximum, la structure d'origine dessinée par Trinquier. 

Cette structure est comme suit : 


Je ne me targue évidemment pas de tout savoir sur quelque sujet que ce soit, et veut simplement partager avec vous une idée, celle que la stratégie militaire n'est pas intéressante que pour les soldats, et que le maintien de la paix sociale Républicaine utilise les mêmes ressorts (mais pas les mêmes méthodes) que la maintien de la paix militaire. 

Dans ce cadre, je suis ouvert aux critiques, du moment qu'elles sont constructives

L'édition de La Guerre Moderne utilisée dans le cadre de cette série d'articles est parue chez Economica en 2008, dans la collection Stratégies & Doctrines, préfacée par François Géré.

 

Colonel Roger Trinquier en Algérie


dimanche 12 mars 2023

Guerre en Ukraine, la IIIe Guerre Mondiale à nos portes ?

 Disclaimer : Ce papier a été publié pour la première fois sous forme de fil Twitter le 17 octobre 2022. Les  éditions seront indiquées entre [crochets]. 
Bien entendu la mise en page Twitter rend les choses légèrement  moins lisibles et force des décisions éditoriales.
 

[L'une des marottes des réseaux pro-Kremlin, et les idiots utiles répétant leurs points de vue, depuis le début du conflit en Ukraine,est de parler de l'avènement de la 3e Guerre Mondiale.]

Et, dans le tas, beaucoup de gens semblent ne pas savoir, ou ne pas comprendre, ce qu'est une "Guerre Mondiale".

 

Exemple de personne avec un auditoire public, qui ne comprend pas ce qu'est une Guerre Mondiale, ou ment au public de façon volontaire.

Beaucoup de gens présentent un affrontement entre le Pacte de Varsovie et l'OTAN en Europe dans les années 1980 comme étant une guerre mondiale. 

Dans le genre Tempête Rouge de Clancy. 

Red Storm Rising, ou Tempête Rouge en français, raconte un affrontement entre les Soviétiques et l'OTAN en Europe, sur fond de crise économique en URSS au milieu des années 80.
 

Et donc, dans cette logique, un affrontement entre la Russie et les forces d'un ou plusieurs pays de l'OTAN en Ukraine serait la IIIe Guerre Mondiale.

Seulement, une guerre mondiale, ce n'est pas une guerre où des gens viennent de la terre entière pour, poliment, se mettre sur la gueule.

C'est une guerre où les théâtres d'opérations s'étendent sur tous les continents, ou presque (l'Antarctique ne compte pas, étant une zone internationale sans population).

 

 

  • La Première Guerre Mondiale (1914-1918)

De par notre point de vue d'Européens, nous regardons la 1ère Guerre Mondiale comme étant purement Européenne. Cependant, si c'était le cas, ce serait juste une guerre Franco-Prussienne classique. La guerre de 1870 est-elle une guerre mondiale ? Non, pas plus que les campagnes Napoléoniennes, qui se sont pourtant étendues sur tout le continent Européen.



Cependant, en 1914, par le jeu des colonies, après la déclaration de guerre le conflit s'étend à l'Afrique, où les troupes coloniales allemandes, comme les Askari de Von Lettow-Vorbeck, tentent de garder le contrôle de l'empire colonial face à des troupes alliées supérieurs en nombre, équipement, et ayant accès à leur métropole pour le ravitaillement.

Troupes coloniales allemandes Askari, et leurs officiers impériaux Allemands, 1914

Les colonies sont également un argument de recrutement pour les alliés : les sud-africains et portugais se voient promettre des territoires contre leur aide en Europe, et à la fin du conflit les colonies allemandes seront distribuées entre les vainqueurs.

Troupes coloniales Anglaises en Afrique

L'est de l'Asie et l'Océanie seront, de même, emmenées dans la guerre, avec l'attaque et la capture des colonies et comptoirs allemands dans le Pacifique et en Chine. Les allemands tenteront de fomenter une révolte en Inde, sans succès. 

Troupes allemandes lors du siège de Tsingtao (Qingdao) par les troupes japonaises et anglaises

L'Asie sera également concernée par des batailles alliées contre les Ottomans (alliés des empires Allemand et Austro-Hongrois), et les révoltes arabes - motivées par les pays de l'Ouest - en Asie Mineure. L’Amérique du Sud, elle, ne sera concernée que par des batailles navales, le long de ses côtes. 

Donc 5 continents sur 6 sont concernés par les affrontements, et nous avons déjà dit que l'Antarctique ne compte pas. 

Mondiale, la guerre, comme disait Coluche. 

 

 

  • La Seconde Guerre Mondiale (1939-1945)

Concernant la seconde Guerre Mondiale, je vais faire plus rapide et plus simplifié, car tout le monde (ou presque) est conscient de sa dimension internationale, et inter-continentale : 

Expansion maximale des forces Allemandes (et leurs alliés) en novembre 1942.

 

- Allemands en Europe et Afrique du Nord 
- Japonais en Chine, quasiment jusqu'à l'Inde, qui descendent jusqu'à la mer de Corail, limite de l'Océanie.

L'Amérique, une fois de plus touchée principalement par les batailles navales, entre les raideurs allemands (sous-marins et navires de surface) et les marines alliées.

Expansion maximale japonaise, 1942

  • Le scénario Ukrainien

Maintenant que nous avons vu ce qu'est une Guerre Mondiale, nous pouvons étudier un scénario "Tempête Rouge" en Ukraine.

On a deux blocs : La Russie, avec des achats de matériels Iraniens et Nord-Coréens d'un côté, et l'Ukraine, aidée par ventes & dons de matériels OTAN de l'autre.

Carte de situation dans Tempête Rouge de Tom Clancy, avec un engagement direct entre les forces Soviétiques et de l'OTAN

Où se passent les combats ? 

En Ukraine, et quelques bombardements au-delà de la frontière Russe. 

Quels autres endroits ? Nulle part

Donc nous sommes dans une guerre se déroulant sur un terrain restreint en Europe. C'est tout.

[NDR : au 12/03/2023, les combats, hors quelques frappes sur des bases russes, ne sortent pas des frontières terrestres et maritimes de l'Ukraine telles que définies en 1991.]

Carte animée du front en Ukraine, de Février à Août 2022, montrant la sectorisation très limitée des combats
 

Mais, j'en entend dans le fond qui hurlent "oui, mais si l'OTAN s'en mêle sur le terrain ?"

Et je leur répondrai "Si l'OTAN s'en mêlait, et attaque la Russie, et qu'on appelle ça une 'Guerre Mondiale', alors il faudra faire des requalifications, et ça sera la 4e guerre mondiale, pas la 3e".

Pourquoi ? C'est simple :

 

 

  • La guerre où tout le monde est contre tous les autres de façon ouverte, mais pas mondiale

 

La Guerre de Corée, 1950-1953 (combats), 1950-présent (techniquement)

De 1950 à 1953 (techniquement jusqu'à aujourd'hui, la paix n'a jamais été signée) s'est déroulé un truc appelé la "Guerre de Corée". Une guerre symétrique (ou "near-peer" comme on dit de nos jours), avec d'un côté les Nord-Coréens, les Chinois et les Russes (oui, tous avec des troupes sur le front, pas juste de l'aide).

 De l'autre côté, les Sud-Coréens, et des troupes :
- Américaines
- Françaises
- Anglaises + Commonwealth
- Turques
- Thaïs
- Philippines
- etc...

On va passer les détails, mais en gros tout le monde est là, y compris des éthiopiens, des colombiens et des sud-africains.

 

Char d'assaut Centurion anglais en Corée, 1951.

Cet engagement largement international, en Corée de 1950 à 1953, est dû en grande partie a l'ONU et à sa résolution n° 83, du 27 juin 1950, recommandant une aide des états membres à la Corée du Sud.

Mais si les deux blocs s'affrontent de façon complètement ouverte (Les forces de l'ONU combattent sous leurs propres pavillons, les Chinois sous le leur, et les Soviétiques engagent leur armée de l'air de façon à peine voilée), le terrain des affrontement se limite à la péninsule Coréenne, les forces de l'ONU faisant même spécialement attention à ne pas franchir la frontière Chinoise en 1950, malgré la poussée véhémente de Douglas Mac Arthur.

La guerre de Corée serait donc la 3e "Guerre Mondiale", si l'on considère que c'est une question de représentativité, et non de champs de batailles.

Hors la Guerre de Corée, jusqu'à aujourd'hui, reste la guerre de Corée. Pas la 3e Guerre Mondiale. Ou même la 2,5e Guerre Mondiale.

Les gens qui soutiennent que la guerre en Ukraine va mener à la 3e GM et que l'on devrait laisser les Russes gagner, probablement.

  • En conclusion, non, la 3e Guerre Mondiale n'est pas pour demain

Du coup, guerre en Ukraine qui tournerait à la guerre mondiale? 

Oui mais non. 

Même si les russes déploient des Coréens ou des Iraniens sur le front... 

Même si l'OTAN décidait d'attaquer la Russie... 

Parce que les forces de l'OTAN sont en Europe, et n'ont pas besoin d'en sortir : Moscou est à quelques heures des pays baltes en AMX-10RC.

Trajet entre Terehova, à la frontière Lettone, et la Place Rouge à Moscou. Pas besoin de sortir de l'Europe continentale !

Pour avoir une guerre mondiale, il faudrait que les Russes attaquent le Japon et les États-Unis sur leur sol, et l'armée française en Afrique.
Et même s'ils étaient assez idiots pour le tenter, au jour d'aujourd'hui, ils n'auraient pas les capacités pour.
A part en envoyant 3 clampins en scooter...

Et donc, maintenant, vous savez pourquoi les gens qui crient à la Guerre Mondiale vous racontent des bêtises.

A  bientôt pour de nouvelles aventures.


lundi 20 février 2023

L'entrée en guerre de la Biélorussie, ou l'Arlésienne orientale.

 Ces derniers jours, de nouveau, plane le spectre d'une attaque des forces biélorusses en Ukraine.

Cette invasion, annoncée depuis mars 2022, n'arrive pas, au plus grand étonnement de certains analystes occidentaux, et orientaux.

L'absence d'engagement de l'armée Biélorusse est effectivement étonnante, en surface. Les russes accusent l'Europe et les Etats-Unis de cobelligérance avec l'Ukraine, mais la Biélorussie est probablement le seul pays qui s'approche de la définition. En effet, les camps militaires biélorusses et le pays tout entier ont servi de lieu de préparation et de base arrière pour une partie de la force d'invasion Russe, avant et après le 24 février. Les forces de Moscou ont attaqué en direction de Kiev en allant au plus court, et ce plus court passait directement par la Biélorussie, qui ne s'est pas faite prier pour offrir ses routes, ses camps et ses voies ferrées à l'envahisseur.

Carte du MoD anglais montrant les axes d'attaque, donc certains passent par la Biélorussie.

De même, lors du repli des troupes russes de la région de Kiev début avril, nombreuses ont été les unités russes qui sont passées par la Biélorussie, et les soldats russes empoisonnés après avoir creusé des emplacements dans la "Forêt Rouge" de Tchernobyl ont étés envoyés à l'hôpital de Minsk.

Le soutien de la Biélorussie à l'invasion russe n'est donc pas à démontrer.
Cependant, malgré les annonces des deux côtés de la frontière, l'armée biélorusse ne se matérialise pas. Elle reste l'arme au pied, dans ses casernes.
Elle ne manque pas pour autant de nous montrer des vidéos où ses soldats forment des pyramides, sautent à la corde (avec la corde en feu), ou se cassent des briques sur le crâne. Tant de démonstration qui, si elles seraient impressionnantes sous le chapiteau de Pinder ou au Cirque d'Hiver, entre les tigres et le trapèze, n'ont aucun intérêt pour une force armée.

Alexandre Loukashenko dévoile la carte de l'invasion russe à la télévision, le 1er mars 2022 / Daily Beast
 
Alors, si la Biélorussie se pense si forte, et si les liens sont si serrés avec le Kremlin, pourquoi ne pas se joindre à la guerre ? Après tout, Alexandre Loukashenko, président "élu" de la Biélorussie, a affiché son soutien à Vladimir Poutine plus d'une fois.
Nous l'avons vu, la Biélorussie sert de base arrière à la Russie, et a également été utilisée pour le lancement de missiles de croisière sur les villes ukrainiennes.
Certaines sources ont également mentionné que la Russie fait ses "courses" en Biélorussie, chargeant des véhicules anciennement sous cocon (dont nombre de T-72) pour les transférer à ses propres troupes. La Biélorussie a également tenu des exercices avec la Russie, en janvier 2022 (qui ont servi de couverture pour la mise en place de l'invasion), en octobre, puis en janvier 2023.

La menace d'offensive suite a de nouveaux exercices en Biélorussie en octobre 2022 / Le Point

Les raisons de cette arlésienne Biélorusse ne manquent pas.
  • L'armée biélorusse n'a aucune capacité de combat
La Biélorussie est un satellite de la Russie, membre du CTSO. Le Kremlin de Poutine a dit, et démontré maintes fois, qu'il ne laissera pas ses vassaux tomber aux mains de l'UE ou de l'OTAN.
Et il sait pertinemment que ni l'UE, ni l'OTAN n'utiliseront la force pour s'imposer. Les deux organisations travaillent selon un schéma de bienveillance.
Le meilleur moyen de maintenir un pays dans le giron russe est donc de maintenir son armée sous les capacités de l'armée russe. Il suffit de regarder l'Ukraine pour s'en convaincre : avant 2014, malgré des dépenses élevées dans son armée, l'Ukraine gardait une capacité de combat très inférieure. C'est la principale raison pour laquelle la Crimée et une grande partie du Donbass et Luhansk sont tombés aux mains des russes (car nous savons tous que les "indépendantistes" n'en sont pas) en 2014-2015 : le maintien des forces ukrainiennes à un niveau très inférieur, pour assurer leur défaite au cas où le pays se refuse à la Russie.
L'armée Biélorusse est dans le même état : ses équipements étaient déjà datés à la chute de l'URSS, et n'ont pas vraiment évolué depuis. Et si la Russie n'arrive pas à avancer face aux Ukrainiens, quel espoir a la Biélorussie?
  • Loukashenko craint la réaction de la population, et de l'opposition
Dès le déclenchement du conflit, une partie de la population biélorusse a activement ou passivement saboté l'effort russe. Sabotages des lignes ferrées pour bloquer la logistique, partage des mouvements sur les réseaux sociaux...
La population biélorusse ne suit pas son chef. Elle s'était déjà rebellée en 2020 après les dernières élections truquées, la situation n'est pas assez stable pour que le Lider Maximo (qui se réclame dernier dictateur d'Europe)se prive d'une force armée qui lui permet de maintenir diverses forces d'opposition "dans le droit chemin".
  • La frontière ukrainienne n'est pas praticable
Suite au retrait russe de la région de Kiev, les ukrainiens ont, logiquement, fortifié la frontière.
Si en janvier 2022 elle se limitait à des postes de garde et un peu de barbelé, aujourd'hui la donne n'est plus la même.
Le gouvernement Biélorusse s'est d'ailleurs plaint que les ukrainiens avaient détruit tous les ponts connectant les deux pays.
Les Biélorusses sont conscients que la frontière est désormais un immense champ de tir. Avec 10 mois de calme dans le secteur, les ukrainiens ont probablement repéré et cartographié toute les approches possibles et imaginables, créé des glacis et des entonnoirs, et minés les axes que les véhicules pourraient encore emprunter.
Les forces tentant de traverser la frontière se retrouveraient donc face à une défense bien préparée, et ne pourraient entrer en Ukraine qu'après de lourdes pertes.
L'armée biélorusse, qui ne comprend même pas 60 000 hommes d'active, équipés de matériels largement dépassés, ne durerait probablement pas longtemps dans ce type d'offensive.

Loukashenko, équilibriste ou pitre? / Twitter

Contrairement à ce que l'on pourrait penser de lui en écoutant/lisant ses interventions, Alexandre Loukashenko n'est pas un sombre crétin. A l'époque soviétique, il monte pas à pas les marches vers le pouvoir suprême biélorusse. Elu pour la première fois à la tête de l'état en 1994, il a réussi à se maintenir jusqu'à aujourd'hui, en 2023. Certains universitaires russes avancent même qu'il a été pressenti pour la présidence Russe, avant de se faire voler la vedette par un certain Vladimir Poutine.
Il a également, contrairement à son homologue russe, placé ses pions pour un maintien à la tête du pays après sa mort. Il entend fonder une dynastie (aspiration compréhensible venant d'un homme né d'un père inconnu), et veut donner les clés su pays à son troisième fils, Nikolaï.
Difficile de céder le pays à sa progéniture s'il se retrouve renversé, ou pire.

Il utilise donc ses talents de politicien et comique troupier pour se maintenir aux rênes du pouvoir. Il en fait juste assez pour ne pas attirer l'ire de son maître du Kremlin, mais pas assez pour que l'Ouest décide de lui mettre des bâtons dans les roues en soutenant réellement l'opposition, intérieur comme extérieure.

Les paris sont donc ouverts : La Biélorussie finira-t-elle par réellement s'engager dans le conflit, ou son "chef" réussira-t-il à ménager la chèvre russe et le chou ukrainien ?

Seul l'avenir nous le dira.

vendredi 17 février 2023

"Ce qu'il se passe en Ukraine, t'en penses quoi ?"

Le problème, quand on s'intéresse à la chose militaire, c'est que les gens s'en rendent compte.

Et du coup, quand il se passe des choses "militaires" qui nous impactent, des questions sont posées.

Pas toujours de façon habile, mais qui pourrait le condamner ? La majorité des gens ne savent pas quelle question poser, et les réponses ne sont pas simples non plus.


La question d'origine, en février 2022, était : "La guerre en Ukraine, t'en penses quoi ?"

Et la réponse, depuis février 2022, est : "ça dépend".

Seulement, ça dépend, bah ça dépasse...

Une guerre, ça n'est pas un blob homogène, qui s'explique, ou s'analyse, en deux phrases. Les guerres terminées depuis plus d'un siècle sont encore sujettes à débat, y compris chez des gens qui sont du même avis. Donc une guerre encore en cours, c'est compliqué.

Après, on peut dire que la guerre, c'est mal. C'est bien, mais ça ne fait pas avancer le schmilblick.

Tout d'abord, qu'on s'accorde sur une chose : je suis un militariste, mais pas un belliciste. Je suis pour une armée puissante et bien entraînée, mais aussi pour qu'elle ne serve pas à envahir les autres sous des excuses fallacieuses, comme celle de la langue parlée, par exemple, qui a le vent en poupe (comme dans les années 30). Donc la guerre, personnellement, je ne trouve pas ça drôle. Je n'ai pas étudié une guerre qui ait fait marrer qui que ce soit, surtout ceux qui sont revenus les pieds devant. Je n'ai pas parlé à un seul soldat ayant fait la guerre (la vraie, où l faut tirer sur des gens qui vous tirent dessus en retour) que ça ait fait rire.

Malheureusement, nous sommes des animaux, et les animaux se foutent sur la gueule régulièrement, pour des raisons qui leur sont propres, et qui leur paraissent super sérieuses sur le coup. Même si elles peuvent paraître idiotes plus tard. Ce n'est pas pour rien que Brassens chantait :

Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente

Jugeant qu'il n'y a pas péril en la demeure
Allons vers l'autre monde en flânant en chemin
Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure
Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain

 

Mais revenons à l'Ukraine, et au thème : l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • La guerre en Ukraine, évitable ?

Pour commencer, malheureusement, j'en pense que c'est une de ces choses que je voyais, personnellement, comme inéluctable, mais sans empressement de nous trouver dedans. Et les louvoiements politiques des années 2014 à 2021 trouvent leur origine, je pense, dans cette sorte de pensée magique. On s'imaginait pouvoir jouer la montre, et que l'empereur des Russes irait passer l'arme à gauche avant de se souvenir qu'il aime à imposer son opinion sur ses voisins, par la force de préférence.

C'était tellement inéluctable qu'il était nécessaire de blaguer sur le sujet, comme l'atteste cette saisie d'écran du 23 février 2022, tard dans la soirée :

Bonne blague à faire juste avant le déclenchement d'une guerre.

 

Et la surprise, en se levant le lendemain...

Notre "there will be peace in our time", c'est de n'avoir rien fait lorsque les russes ont envahi, de nouveau, la Tchétchénie. La Géorgie en 2008. L'Ukraine en 2014. Au contraire, jusqu'en 2015, on a fait pire que ne rien dire : au lieu d'isoler la Russie (contrairement à ce que sa propagande essaye de nous faire gober), on est allés leur vendre à manger, à boire, des équipements de haute technologie, on a investi chez eux. On a pensé, de façon collective, que si on les traitait comme des amis, ils nous traiteraient également comme tels.

Qu'en tant que gens civilisés, nous nous devions de les traiter comme des gens civilisés.

Même quand ils pourrissaient nos élections.

 

l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Humainement

Au-delà du reste, l'humain reste au centre de la guerre.

Pour commencer, ceux qui souffrent depuis 2014, et la première invasion russe. Celle des petits hommes verts, des "gens polis". Des "indépendantistes", ces soldats russes déguisés en Ukrainiens, qui créent une guerre avant d'aller se plaindre que ça tue des civils.

Puis, depuis février 2022, les milliers de civils morts. Les déplacés. Les déportés. Les enfants envoyés en rééducation.

Puis, tous ceux qui, de civils, ont dû devenir militaires, et sont morts au front, en défendant quelque chose. Leur pays, leur famille, leur ville. Leurs idées. Leurs idéaux.

La guerre en Ukraine est une tragédie. Pour les ukrainiens, envahis par une puissance hostile.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Ma vision pré-invasion

Je ne ne vais pas me voiler la face, je fais partie de ceux qui pensaient que les russes allaient avancer comme dans du beurre, sur la première centaine de kilomètres.

Songez, l'armée russe ! Un million d'hommes au bas mot. Du matériel (relativement) moderne. Des stocks à ne plus savoir qu'en faire. La propagande le disait haut et fort. Et si la Syrie était un mauvais exemple de la maîtrise du combat par l'armée russe, ça restait une armée de premier ordre.

Donc, dans mon scénario personnel du 24 février, les russes allaient avancer relativement vite jusqu'à ce que les ukrainiens puissent se rattraper, puis être obligés de s'arrêter pour consolider leurs acquis. Le gouvernement et commandement ukrainien irait se replier dans les Carpates, faciles à défendre, et on allait voir se développer une guerre hybride, avec une ligne de front potentiellement gelée sur une ligne Odessa-Kyiv-Lviv (grosso modo), et un pourrissement d'une occupation russe inadaptée. Une défaite sur 10-15 ans de combats de basse intensité.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • La réalité militaire

La réalité, c'est que les russes n'ont jamais réussi à consolider leurs acquis. Spécialement dans le Nord, d'où ils se sont retirés fin mars.

Avancée maximale de l'armée russe, source War Mapper sur Twitter

Bien entendu, comme beaucoup, à partir du 24 je suis scotché sur les réseaux, qui nous passent l'Ukraine en boucle. Je reconfigure mon compte Twitter pour me limiter aux nouvelles d'Ukraine. Je trouve quelques têtes de pont comme le britannique Mike Martin (@ThreshedThought) ou le général australien Mick Ryan (@WarintheFuture), qui me mènent à leur tour vers des analystes ou des comptes sérieux. Comme tout un chacun, je m'abonne à Oryx (@oryxspioenkop), pour suivre les pertes des deux côtés.

Et très rapidement, des éléments étranges commencent à apparaître.

Tout d'abord, ce sont des photos et vidéos de soldats russes. Ils ont étés abattus alors qu'ils mangeaient. Le moteur de leur camion ou BMP tourne encore. Ils déjeunaient tranquillement, hors de leurs véhicules. Ils ne semblent pas avoir posté de gardes. Les véhicules sont isolés.

Ce type de vidéo apparait une fois, puis deux, puis une dizaine de fois. Les troupes russes, en terrain ennemi, ne pratiquent aucune sécurité. Les véhicules logistiques et les ouvreurs (BMP, BTR, Iveco LMV...) semblent se déplacer de façon isolée, sans protection. Ils se comportent comme s'ils avaient déjà gagné, et que le pays leur était acquis.

Puis arrivent les "vraies" attaques. Les convois en cours de ravitaillement qui sautent. Les camions logistiques en convois qui sautent. Clairement, les russes n'ont pas sécurisé leurs arrières. Mais pire, les ukrainiens semblent l'avoir prédit, et laissé des unités derrière les lignes (ce qui se confirmera plus tard).

BM-21 russe en feu, 1er mars 2022

Arrivent ensuite les pannes d'essence. Les russes stoppent leur offensive, car ils n'arrivent pas à faire suivre le ravitaillement. Cela peut se comprendre pour une armée qui avance rapidement, et a été le cas plus d'une fois lors de la seconde guerre mondiale, mais pour une armée sensée s'être préparée à prendre un pays aussi grand que l'Ukraine en moins d'une semaine ? Se reposer sur les station-services civiles pour faire le plein d'un bataillon de T-72 est un peu optimiste.

Et, sur le front, les choses ne se passent pas aussi bien que décrit. Si les T-64 ukrainiens semblent relativement absents suite aux attaques d'hélicoptères des premiers jours, il semble qu'il y a une arme anti-char derrière chaque brin d'herbe.

Tourelle de T-72 dans un champ, 25 mars 2022

Les ukrainiens réussiront également quelques coups de com' pas piqués des hannetons, comme l'affichage des captures de matériels russes, souvent tirés par des tracteurs agricoles.


John Deere ukrainien tractant un poste SAM russe (Buk) lors de la première phase de la guerre

Les matériels russes, de conception relativement dépassée, montrent également leurs limites.

BMD-4 russe. Dû à sa coque en aluminium et son canon à carrousel, le BMD-4 tend à finir en flaque une fois touché...

 

La suite, on la connaît : les russes se retirent du Nord de l'Ukraine. Puis ils reculent au sud et au centre-est.

Aujourd'hui, ils appuient le trait sur des zones où leurs pertes sont élevées (certains rapportent 700 à 1200 morts par jour), probablement dans le but de gagner un peu de terrain, pour le premier anniversaire de l'invasion.

Les défenses anti-aériennes Buk et S400, sensées être les meilleures du monde, ont été plus d'une fois traversées par les ukrainiens, jusqu'à des frappes sur des bases de bombardiers stratégiques.

La flotte de la Mer Noire a perdu du matériel lourd, face à un ennemi qui n'a pas de marine militaire.


De son côté, l'Ukraine a tenu le choc. Ils ont reculé là où ils le devaient, et gardé la maîtrise là où ils ne pouvaient pas se permettre de reculer.

Ils ont absorbé le matériel occidental à une vitesse élevée.

Leurs offensives ont bousculés les russes avec une relative facilité, montrant qu'ils savent attaquer là où l'ennemi n'est pas préparé, et saisir les opportunités.


l'Ukraine, j'en pense quoi ?

  • Et nous, dans tout ça ?

Certains se questionnent sur eux-mêmes.

Et nous, devrait-on souffrir pour les Ukrainiens ?

Mais, souffrir de quoi ? D'un degré de moins dans nos chaumières ? De carburants plus chers ? D'avoir des gens qui mettent la pâté aux russes, et que ça ne nous coûte rien, à part des matériels destinés à la ferraille, pour leur majorité ?

Qu'on ne se voile pas la face : la guerre en Ukraine, à l'échelle des choses, ne nous coûte rien. Nous ne l'avons pas déclenchée, nous n'y avons pas d'hommes ni de femmes. Les bombes ne tombent pas chez nous.

Elle a lieu, qu'on le veuille ou non. La paix serait mieux, c'est sûr. Mais sommes-nous peureux au point de l'imposer à 41 millions (et des poussières) d'êtres humains, contre leur gré, pour notre petit confort personnel ? J'ose penser que les idéaux français sont au-delà de ça. Qu'on pourra se permettre un peu d'inconfort pour permettre à tout un peuple de rester libre, au prix de leur sang.


A bientôt pour la suite.